Restauration

Salaires dans la restauration : ces patrons qui veulent déshabiller Pierre pour payer Paul

 

Soumis à des difficultés de recrutement, le secteur de la restauration est invité par la ministre du Travail à « faire des propositions » sur les rémunérations, qui ne sont « pas à la hauteur ». Mais, malgré de bas salaires et des conditions de travail difficiles, les organisations professionnelles de l’hôtellerie et de la restauration rechignent à passer à la caisse. À la place, elles demandent des suppressions de cotisations sociales comme moyen d’augmenter le salaire net.

 

Interrogé par France Info, lundi 6 septembre, Pascal Mousset, le président du Groupement national des indépendants (GNI) de Paris Île-de-France, l’assure : « on a beaucoup de jeunes dans nos métiers. On ne peut pas les recruter en leur disant “Vous allez avoir une retraite”. Ça n’a pas de sens pour eux. Ils veulent avoir un revenu net disponible qui leur permette de vivre décemment ». D’où sa proposition de ne plus payer de cotisations sociales sur les heures supplémentaires. Et, de cette façon : gonfler le salaire net en ne reversant rien aux caisses de retraite ou à l’assurance chômage, à qui il fait reporter la charge du « vivre décemment » pour ses salariés.

Une proposition culottée, dans des métiers où les heures supplémentaires sont loin d’être toujours payées et où le travail dissimulé est légion. Selon une étude, lancée en 2015 par le ministère de l’Économie et le Credoc, le secteur de l’hôtellerie-restauration serait le second secteur le plus exposé au travail dissimulé, au coude à coude avec celui de la construction. Ce que confirment des données de l’Urssaf, qui établissent un taux de « dissimulation redressée » de 6,7 % sur 5791 contrôles en 2017. Un chiffre non négligeable, d’autant que les activités de nuit ou de week-end, fréquentes dans ce secteur, sont moins contrôlées.

Et même, une proposition doublement culottée dans un secteur d’activité qui utilise abondamment les contrats courts, pendant les saisons, et renvoie vers l’assurance chômage une partie de ses salariés, embauchés en CDD ou en contrat d’extra le temps d’un été. Salariés qui sont alors indemnisés grâce à des cotisations sociales que le GNI propose de supprimer pour les heures supplémentaires.

 

À la fin, c’est le patron qui gagne !

 

Du cash tout de suite, plutôt que des protections collectives tout au long de la vie. Dit autrement par Pascal Mousset : des jeunes seulement intéressés par le montant de leur paye à la fin du mois et indifférents au fait d’avoir une retraite. Mais, peut-être moins insensibles à la question, non évoquée par le président du GNI d’Île-de-France, d’être indemnisés lorsqu’ils s’inscrivent à Pôle emploi à la fin de leur contrat. Ou encore, à la question du financement de la branche maladie.

En tout cas, une proposition qui serait une bonne opération pour le patronat du secteur, qui pourrait présenter des offres d’emploi un peu plus attractives à première vue, sans pour autant augmenter ses dépenses en salaire. Évidemment, une bien moins bonne affaire pour les différentes branches de la Sécurité sociale et pour l’Unédic, dont les comptes ont déjà largement été plombés par la baisse d’activité économique en 2020 et par les mesures de soutien à l’économie du gouvernement en 18 mois de pandémie.

 

Qui ne tente rien, gagne moins !

 

En tout cas, un avantage bien compris par le patronat, au-delà du seul secteur de la restauration. Ainsi, François Asselin, le président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) a repris à son compte cette proposition, à l’occasion de sa rencontre à Matignon avec le Premier ministre et les ministres de l’Économie et du Travail, le 2 septembre. La veille, la seconde organisation patronale expliquait dans un communiqué de presse que « pour concilier à la fois le besoin de main-d’œuvre des entreprises et la volonté de voir progresser le pouvoir d’achat, la CPME propose de réactiver la suppression des charges patronales sur les heures supplémentaires ».

Une option qui trouve également grâce aux yeux du Medef. Son président délégué, Patrick Martin, expliquant fin août sur Europe 1 qu’il souhaitait une discussion avec l’État et les syndicats sur ce point. Estimant qu’il y « a probablement des marges de manœuvre sur les charges sociales », il a, lui aussi, avancé son argument massue : « les salariés, eux, voient le salaire net ». Là évidemment où le patronat regarde le bénéfice qu’il pourrait tirer d’une telle mesure.

 

Un gouvernement peu volontariste

 

Si, samedi dernier, Élisabeth Borne a qualifié de « pas à la hauteur » les salaires dans l’hôtellerie-restauration, pas question pour autant pour l’exécutif de prendre la main. La ministre du Travail s’est contentée de signifier qu’elle attendait des propositions du secteur, tout en suggérant aux « entreprises dont les marges le permettent » d’utiliser la prime Macron, d’un montant maximum de 2000 € défiscalisés. Mais, pour l’heure, pas question de conditionner les aides aux entreprises à l’ouverture de négociations de branche, comme l’a réclamé le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger.

Une position gouvernementale bien molle, comparée à l’acharnement déployé pour la mise en œuvre de la réforme de l’assurance chômage au 1er octobre, qui impliquera une baisse des allocations mensuelles pour plus d’un million de demandeurs d’emploi. Une réforme à plusieurs milliards d’économies en trois ans, sur le dos des chômeurs, afin de réduire le déficit de l’Unédic. Un trou que la CPME, favorable à cette réforme comme à l’allongement de l’âge de départ à la retraite, pour éviter l’endettement, creuserait parallèlement, si les heures supplémentaires étaient exemptées de cotisations sociales.