Chez Vertbaudet, entreprise de prêt-à-porter pour enfant, sept semaines d’une grève massive des préparatrices de commande ne sont toujours pas parvenues à faire plier la direction. Payées au SMIC, des femmes continuent la lutte pour obtenir des augmentations de salaire et pour leur dignité.
Un début de journée à 4h45, 15 à 25 km de marche par jour et une paie au SMIC. Depuis des années, Manon Ovion et ses collègues se lèvent aux aurores pour assurer l’expédition des produits de prêt-à-porter pour enfants Vertbaudet. Mais depuis 7 semaines, environ un tiers des 200 à 250 préparatrices de commandes du site de Marquette-lez-Lille (59) – qui compte 90% de femmes – sont entrées en grève reconductible. « Un mouvement comme ça, c’est du jamais vu ici, on a des collègues qui ont passé 40 ans dans l’entrepôt sans jamais connaître une grève », assure Manon Ovion, déléguée syndicale CGT Vertbaudet.
Pourtant, malgré ces 7 semaines de grève, la direction ne bouge pas d’un pouce. Ce 9 mai, après une négociation de plusieurs heures, sa proposition la plus haute consiste à racheter les jours de congés acquis par les salariés grâce à leur ancienneté. « Ils prennent dans la poche gauche pour remplir la droite. C’est encore une fois une marque de mépris », estime Samuel Meegens, secrétaire général de l’union locale CGT de Tourcoing, qui soutient la lutte depuis le départ. Une sorte de « travailler plus pour gagner plus » à mille lieux de ce que demandent les grévistes : une augmentation du salaire horaire. Pris de colère, leurs soutiens bloquent une nouvelle fois les issues de leur entrepôt, comme cela a déjà été le cas au cours du conflit. La police viendra sans doute les débloquer rapidement.
0% d’augmentation
« Les dernières négociations annuelles obligatoires (NAO) ont été indignes. Elles n’ont permis d’obtenir qu’un jour de congé de déménagement, un autre pour enfant malade et un dernier pour conjoint malade. À cela s’ajoute une prime de partage de la valeur de 650 euros pour un temps plein, mais beaucoup d’entre nous sont à temps partiel et ne la toucheront pas dans sa totalité », raconte Manon Ovion.
Pourtant, un accord a bien été signé par les syndicats majoritaires Force Ouvrière (FO) et CFTC (représentant 63% des voix aux dernières élections professionnelles). « Les ouvrières ont eu 0% d’augmentation de salaire mensuel alors que la direction nous a annoncé qu’elle avait fait 27 millions d’euros de bénéfices sur l’année 2022 ! », dénonce Manon Ovion. Pour Samuel Meegens, la situation est claire : « On est face à deux syndicats qui font, de manière grossière, le jeu de la direction. Aujourd’hui ce sont les premiers à se prononcer contre la grève. Ils luttent contre les augmentations de salaire ».
« Force Ouvrière et la CFTC ont à leur tête des agents de maîtrise ou des cadres. On ne se retrouvait pas dans les revendications de ces syndicats. Il nous fallait un syndicat qui nous représente », explique Manon Ovion. Début 2023, alors que la CGT Vertbaudet participe à sa première élection syndicale, elle obtient la seconde place dans le collège ouvrier, le seul dans lequel elle est candidate. Preuve que ses revendications résonnent chez les préparatrices de commande.
Le 20 mars, puisque les augmentations de salaire sont balayées d’un revers de main par la direction, la grève reconductible est lancée. Environ 80 salariées suivent le syndicat. Objectif : obtenir 150 euros d’augmentation de salaire, l’amélioration des conditions de travail et l’embauches des intérimaires.
Sexisme et conditions de travail
« C’est aussi une question de dignité. Ce n’était pas un rêve d’enfant de travailler chez Vertbaudet, mais comme toutes mes collègues, à un moment il nous a fallu trouver un emploi pour vivre », résume Manon Ovion. En plus d’un salaire au ras des pâquerettes, elle est aussi censé s’accommoder de conditions de travail indignes. « Travailler dans cet entrepôt c’est très dur. La plupart des femmes qui sont sur le piquet ont des troubles musculo-squelettiques », assure Samuel Meegens. À cela s’ajoutent les brimades d’un nouveau directeur de site. « On a une coutume : lorsqu’une collègue fête son anniversaire, on lui laisse quelque chose à manger. Un coca, un paquet de chocolats. Mais ce nouveau directeur nous a interdit de manger dans les allées alors que tous les colis sont emballés et qu’on n’a aucune chance de les salir. C’est injustifié et injuste, on n’est pas au bagne ! »
Venue sur le piquet de grève de Vertbaudet le 21 avril, Sophie Binet a fait le lien entre ces conditions de travail et la grande féminisation du secteur. « Votre combat est emblématique de la situation des femmes : des emplois précaires, des horaires impossibles, la dévalorisation des métiers féminisés… Vous représentez le cumul du mépris de classe et du sexisme », a déclaré la secrétaire générale de la CGT. « Ce sont des femmes donc la direction se permet des propos infantilisants. Leur patron leur a quand même sorti qu’il n’allait pas augmenter leur salaire sinon elles allaient perdre des aides de la CAF ! », s’indigne Sylvie Vachoux, secrétaire fédérale de la CGT Commerce et Services. Manon Ovion confirme : « On sent bien que la direction se permet des choses qu’elle ne se permettrait pas avec les hommes, comme certaines remarques totalement déplacées et sexistes. »
Des intérimaires pour casser la grève chez Vertbaudet ?
Face à une mobilisation combative, la direction du site de Vertbaudet compte bien faire vaciller les grévistes. Notamment en faisant appel à des intérimaires. « À peine quelques jours après le début de notre grève, la direction a embauché environ 80 intérimaires, quasiment autant que de grévistes. Comme c’est interdit on est allé en justice », rapporte Manon Ovion.
Mardi 25 avril, la direction de Vertbaudet a comparu devant le tribunal de Lille. Mais la CGT n’est pas parvenu à faire la démonstration que les intérimaires sont bien là pour remplacer les grévistes. Selon l’ordonnance de référé, que Rapports de Force a pu consulter, « la CGT ne produit aucun procès-verbal dressé par un inspecteur du travail », mentionnant que les intérimaires remplaçaient effectivement les grévistes. « Nous n’avions que des mails de l’inspection du travail et pas des PV et nous n’avons donc pas obtenu gain de cause », regrette Samuel Meegens. La version de la direction, selon laquelle l’embauche de ces intérimaires vient seulement répondre à une surcharge d’activité, comme c’est courant dans cette entreprise en cas de ventes promotionnelles, reste donc valide en attendant une procédure d’appel de la fédération CGT du commerce.
Forte de cette décision de justice et après 7 semaines de conflit, la direction de Vertbaudet, entreprise dont le propriétaire est le fonds d’investissement Equistone Partners Europe, campe donc sur ses positions. « On a l’impression d’être confronté aux mêmes méthodes que lors de la bataille des retraites. Un : “vous n’avez pas compris”. Deux : “On n’a pas les moyens”. Trois : allez vous faire foutre. 49.3 », conclut Samuel Meegens. Mais comme pour les retraites, les grévistes ne lâchent rien.
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