Ce mardi, les agents de la fonction publique étaient en grève dans tout le pays, de Lille à Bordeaux. À Paris, la manifestation a réuni des milliers de salariés des hôpitaux, de l’éducation nationale, des finances publiques, de la culture, ou encore de la territoriale. Face aux coupes budgétaires annoncées et à l’absence de revalorisations générales des salaires, ces agents défendent le rôle de leurs services publics, que beaucoup tiennent à bout de bras.
Claire remonte le boulevard d’un pas pressé, tout sourire, aux côtés de deux collègues enseignants. Avec un objectif : prendre la tête du cortège parisien, en ce 19 mars, journée de grève nationale dans la fonction publique. Les enseignants de Seine-Saint-Denis comme elle, en grève reconductible depuis le 26 février, sont très nombreux cet après-midi.
« Notre lutte est dynamique et forte, d’où l’envie d’être en tête du cortège », soutient Claire, qui enseigne l’histoire-géographie dans un collège de Pierrefite-Stains. « Et même si nous sommes là pour défendre le plan d’urgence pour la Seine-Saint-Denis et pour s’opposer à la réforme du “choc des savoirs”, la question des salaires est importante aussi dans notre métier ».
Ses nombreux collègues s’éparpillent donc au-devant du cordon, protégé par le service d’ordre, derrière lequel marchent les dirigeants des organisations syndicales à l’initiative de cette journée. Pas moins de huit syndicats (CGT, CFDT, CFE-CGC, FA-FP, FO, FSU, Solidaires, UNSA) sont porteurs de cette grève dans la fonction publique. Tous dénoncent « l’absence de toute perspective de mesures générales d’augmentation des rémunérations dans la fonction publique dans un contexte d’inflation encore soutenue ».
Dans le collège de Claire, 60 % d’enseignants sont en grève aujourd’hui. Le Snes-FSU décompte 53% de grévistes dans le département s’agissant du second degré. Le FSU-SNUipp, relève, lui, 40 % de grévistes dans le premier degré. Dans cette marche parisienne, des enseignants d’autres départements, notamment des Hauts-de-Seine, suivent : la force et la constance de la mobilisation du 93 font des émules.
Au-delà des enseignants, pas moins de 5,7 millions d’agents de la fonction publique ont été appelés à se mobiliser ce mardi. À la mi-journée, les ministères concernés annonçaient 6,4% de grévistes dans la fonction publique d’État, 2 % dans la fonction publique territoriale et hospitalière, et 8,8% d’enseignants (en moyenne, tous degrés confondus).
« À l’hôpital, on est les smicardes de la fonction publique »
Les organisations syndicales estiment qu’il est « urgent d’ouvrir sans délai des négociations pour améliorer les carrières et prendre des mesures générales pour les salaires, notamment en revalorisant le point d’indice ». Et ce, pour mettre un terme à « la spirale de paupérisation de l’ensemble des personnels de la fonction publique ».
Des mots qui résonnent avec le quotidien de Laurène* et Sam*, deux aides-soignantes de l’AP-HP (assistance publique des hôpitaux parisiens). « À l’hôpital, on est les smicardes de la fonction publique », lance Sam. « On fait ce métier avec dévouement, mais sans reconnaissance », complète Laurène à ses côtés.
Faute d’indexation, elles dénoncent le décrochage de leurs salaires par rapport au SMIC, au fil des années. Et des revalorisations limitées à des primes, qui ne compteront pas pour la retraite. C’est le cas du Ségur, octroyé en sortie de crise sanitaire, « qui n’est pas à la hauteur de tout ce que l’on a perdu pendant une dizaine d’années », rappelle Laurène. Malgré ses 18 ans d’expérience au sein de l’AP-HP, l’aide-soignante ne gagne que 1794 euros brut par mois, hors primes.
Dans le contexte actuel d’inflation, « pour pouvoir vivre, avec toutes les charges que l’on a, il nous faudrait au moins 600 euros net d’augmentation. Je n’avais jamais été découvert de ma vie, avant. Maintenant, je le suis », alerte Sam, après 30 ans d’expérience professionnelle.
L’hôpital, « ce ne sont pas que les soignants » tient aussi à rappeler, un peu plus loin dans le cortège, Christophe Prudhomme, médecin urgentiste en Seine-Saint-Denis, par ailleurs conseiller régional LFI. Au-delà des salaires, celui-ci réclame la fin de la sous-traitance dans les services indispensables au fonctionnement des hôpitaux. « On veut des vraies cuisines, avec des cuisiniers fonctionnaires, fournissant des repas de qualité, comme on avait auparavant. On veut du personnel ouvrier, parce que nos hôpitaux sont dans des états lamentables », insiste-t-il. « S’il faut réparer l’angle d’une porte abîmée par un brancard : quand on a des ouvriers à l’hôpital, c’est fait dans la journée. Mais quand c’est de la sous-traitance, il faut attendre une semaine… Et c’est la logique du moindre coût, avec de l’emploi de personnes sans-papiers. On veut des serruriers, des climaticiens, des peintres, des maçons ! »
Le refus de « subir une année blanche en termes de traitement »
Mais voilà : « ça fait des années que l’on est dans la rue et que l’on ne nous écoute pas. Parce que la santé ne rapporte pas d’argent, elle en coûte » raille Sam, l’aide-soignant, sur un ton malgré tout plein d’énergie et de détermination.
Il y a bien eu une annonce gouvernementale. Samedi dernier, conscient de la mobilisation intersyndicale approchant, le ministre de la Transformation et de la Fonction publique, Stanislas Guerini, a annoncé sur FranceInfo des primes allant de 500 à 1500 euros pour les agents de la fonction publique mobilisés lors des Jeux olympiques. À part cela ? Rien. Et pour cause : le ministre a pour tâche de resserrer le cordon de la bourse. Mi-février, en effet, le ministre des Finances Bruno Le Maire a annoncé un plan de coupes budgétaires de 10 milliards d’euros, au nom de son engagement à réduire le déficit à 4,4 % du PIB.
Les détails en ont été donnés le 21 février dans un décret paru au Journal Officiel. Une vingtaine de secteurs sont concernés, en premier lieu l’écologie, mais aussi l’éducation, l’administration territoriale, la justice, la culture ou encore la défense. Au sein du cortège de ce 19 mars, une variété de corps de métiers touchés par ces coupes sont représentés. Ici, une poignée de fonctionnaires de la défense, portant des drapeaux Force Ouvrière. Là, une banderole « Toute la culture dans la rue », soutenue par des militants de la CGT Spectacles. Au milieu et en fin de cortège, des employés des finances publiques, venus nombreux, sous les bannières Solidaires et CGT.
Les syndicats réclament de nouvelles augmentations générales, après celles de 3,5% et 1,5% obtenues en 2022 et 2023. Mais pour cette année 2024, Stanislas Guerini a seulement proposé d’instaurer des négociations salariales annuelles dans la fonction publique. Un modèle calqué sur les NAO dans les entreprises du privé. « On n’est pas une variable ajustable », avait réagi auprès de l’Agence France-Presse (AFP), Fabien Golfier, secrétaire général de la Fédération autonome-Fonction publique. « On demande des augmentations générales et (…) surtout des vraies négociations » avec l’exécutif, avait pour sa part rappelé, sur RTL lundi, la secrétaire générale de la CFDT Marylise Léon.
En outre, quand bien même des négociations salariales annuelles auraient lieu dans les différents secteurs, les revalorisations obtenues ne se concrétiseraient qu’en 2025, alertent les syndicats. Ceux-ci refusent donc de « subir une année blanche en termes de traitement », concluent-ils dans leur communiqué.
Agents territoriaux au cœur de la grève de la fonction publique pour défendre « un service public de qualité »
« On veut des augmentations de salaire, on veut le Ségur, on veut des embauches, on veut être respectés. Parce que les agents publics se battent pour tout le monde », lance un homme au micro devant une banderole déployée par des agents du Centre d’action sociale de la Ville de Paris (CASVP). Le CASVP s’était longuement battu fin 2022 contre les inégalités de versement de la prime Ségur. Si les professionnels du médico-social l’avaient obtenu, les agents administratifs ou techniques, eux, continuent d’en être exclus.
En rejoignant cette diversité de corps de métier présents à la marche parisienne, Sandrine et Emmanuelle, agentes de la fonction territoriale, espèrent « faire bloc ». Le but : « arrêter de dire que l’on coûte cher, et plutôt parler de la valeur que l’on produit en tant que service public. Notre métier attire par le sens de ce que l’on fait. Mais on a un vrai problème de salaire », détaille Sandrine. Elle et sa collègue Emmanuelle travaillent depuis 12 et 20 ans dans la territoriale. Toutes deux dirigent une administration communale, en banlieue parisienne.
Plusieurs collègues de leur service sont présents aujourd’hui. « Il faut continuer à se rendre visibles, face à ce gouvernement qui nous stigmatise, en mettant uniquement en avant ce que l’on coûte », insiste Sandrine. « Et il faut poser cette question du salaire, pour développer un service public de qualité. Et éviter que les gens aient envie de partir dans le privé. »
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