Grève dans l’énergie : où en est la bataille contre le projet Hercule ?


 

Alors que les salariés de l’énergie organisent une sixième journée de grève contre le démantèlement annoncé d’EDF, le gouvernement fait mine de revoir son projet, qu’il n’appelle désormais même plus « Hercule ». Entre mobilisation massive, faux changement de cap et tentative de déstabiliser l’interfédérale, où en est la bataille de l’énergie ?

 

« Voilà plus d’un an et demi que la bataille dure », affirme Juliette Lamoine. La secrétaire générale du syndicat lyonnais de l’énergie (CGT) en est à sa sixième journée de grève contre le projet de démantèlement d’EDF, dit « projet Hercule », depuis novembre 2020. Ce 8 avril, également journée d’anniversaire des 75 ans d’EDF, elle rejoint les travailleurs sociaux et les étudiants devant la préfecture du Rhône. Partout en France, une multitude d’actions ont lieu dans les villes où à proximité des centrales nucléaires.

« Les journées contre Hercule sont toujours très suivies, avec parfois près de 50 % de grévistes. Les salariés les plus mobilisés sont souvent techniciens et  travaillent dans la production, mais globalement Hercule mobilise dans tous les corps de métier. On atteint même des chiffres de 15 % à 20 % de grévistes chez les cadres, ce qui est rare », souligne l’ancienne commerciale chez Enedis, aujourd’hui totalement consacrée à son mandat syndical.

 

Esquives gouvernementales

 

Pourtant, malgré une mobilisation massive, l’interfédérale des l’énergie (CGT, FO, CFE-CGC, CFDT) peine à engager le dialogue avec le gouvernement et Jean-Bernard Lévy, le patron d’EDF. C’est ce 6 avril qu’elle les rencontre pour la première fois.

« Depuis le départ, les discussions se font entre le gouvernement et la Commission européenne, nous n’y sommes pas conviés. Ce que nous savons du projet Hercule, nous l’avons d’abord appris par des fuites », assure Sébastien Menesplier, secrétaire général de la CGT-FNME (Fédération Nationale des Mines et de l’Énergie).

 

Piquet de grève contre le projet Hercule. Décembre 2020 devant l’agence ENEDIS de Rillieux-la-Pape (Rhône). Crédit : DR.

 

La réunion du 6 avril, pendant laquelle le gouvernement a soumis à l’interfédérale les conclusions de sa discussion avec la Commission européenne, n’a pas permis de faire retomber la pression. Barbara Pompili et Bruno Le Maire, qui mènent la discussion, ont beau promettre un nouveau projet, les syndicats ne sont pas dupes. « Pour l’instant on a seulement réussi à faire retirer le nom du projet », s’agace Sébastien Menesplier, présent à la réunion.

 

C’est quoi le projet Hercule ?

 

Pour comprendre le slalom géant du gouvernement, il faut rappeler les enjeux du projet Hercule et faire un petit tour par l’histoire d’EDF. Depuis sa création, EDF a toujours assumé la totalité de l’électrification de la société française, de sa production à sa distribution, et ce sans aucune concurrence. Ce monopole d’État se termine le 1er juillet 2011 avec la loi NOME (Nouvelle Organisation du Marché de l’Électricité). La Commission européenne impose alors à EDF d’ouvrir le marché de l’électricité : l’entreprise doit revendre 25 % de sa production d’électricité d’origine nucléaire à des distributeurs privés qui la revendront aux particuliers par la suite.

Pour permettre à ces entreprises privées de concurrencer EDF, la vente se fait à prix coûtant : 42 euros par mégawattheure, ou au prix du marché quand celui-ci est plus favorable aux opérateurs privés. Ce tarif réglementé s’appelle l’Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique). Or si le coût de production de l’électricité n’a pas diminué depuis lors, les prix du marché sont souvent passés au-dessous de la barre des 42 euros, poussant EDF à vendre à perte mais aussi, bien entendu, à perdre des clients. Rien de mieux pour creuser une dette évaluée à plus de 40 milliards d’euros en 2021.

 

Un projet haut en couleur

 

Or, lors des négociations avec les syndicats, c’est la question de la dette qui est brandie par le gouvernement et le patronat d’EDF pour justifier les réformes. Le projet est simple : pour tenter de la rembourser, on souhaite à la fois rehausser le prix de l’Arenh mais également libéraliser encore davantage le marché de la distribution d’électricité.

Pour ce faire, le projet Hercule envisage de découper EDF SA (qui appartient à 84 % à l’État) en trois morceaux identifiés par des couleurs. Deux resteraient publics : « EDF bleu », qui se chargerait des activités les plus coûteuses : la production nucléaire et thermique ainsi que le transport d’électricité haute tension (actuel RTE) et « EDF Azur », responsable des concessions hydroélectriques.

Le troisième pôle, dit « EDF Vert », regrouperait les activités les plus lucratives : les énergies renouvelables mais surtout la commercialisation et la distribution (actuel Enedis) qui exploite des réseaux de distribution. Son capital serait introduit en bourse à hauteur de 30 % maximum, comme l’y contraint la loi. « Mais les lois changent », commente Jérôme Schmitt porte parole de la fédération Sud Énergie, non représentatif au niveau de la branche et exclue de ce fait de l’interfédérale. Le syndicaliste rappelle d’ailleurs que le capital de GDF n’avait été ouvert qu’à un tiers au privé avant de l’être totalement par la suite.

 

« Derrière la dernière couche de peinture »

 

Retour à la réunion de mardi 6 avril, où, tout à coup, il n’est plus question de projet Hercule, ni d’une quelconque couleur. Pourtant, le plan du gouvernement reste le même saucissonner EDF en 3 parties. Les ministres souhaitent créer une maison mère à 100 % publique qui regrouperait les activités de production (ex EDF bleu), une filiale également publique, pour gérer l’hydraulique et une autre à 30 % privée pour les énergies renouvelables et, surtout, la lucrative distribution.

Pour faire passer la pilule, Bruno Le Maire et Barbara Pompili promettent une augmentation du montant de l’Arenh, qui pourrait passer de 42 euros le mégawattheure à 49 euros, et un rachat du capital privé d’EDF SA pour un montant de 10 milliards d’euros. « Les ministres nous ont dit que la Commission européenne ne ferait pas de meilleure offre, qu’il fallait saisir cette chance. Pour nous c’est toujours exclu », maintient Sébastien Menesplier.

« Même se réjouir d’une hausse du prix de l’Arenh c’est impossible pour nous. Car c’est accepter qu’une part de notre production électrique soit toujours privatisée. Chez Sud, nous luttons contre l’Arenh », objecte Jérôme Schmitt. Même constat à la CGT où on milite toujours pour « un grand service public de l’énergie », complètement nationalisé.

 

Projet Hercule : l’heure tourne

 

La réforme aura-t-elle lieu sous le mandat d’Emmanuel Macron ? « Le calendrier annoncé au départ prévoyait des débats à l’assemblée à l’automne 2021. On sait que ça peut aller très vite après », estime Sébastien Menesplier. Pourtant, la large opposition suscitée par le projet Hercule, qui va de la France Insoumise aux Républicains en passant par le PS, et embarque tous les syndicats ainsi que de nombreuses associations, a de quoi freiner les ardeurs du gouvernement.

Le nouveau plan proposé le 6 avril, et présenté comme très avantageux, cache mal la volonté d’accélérer encore le mouvement. Il pourrait également avoir pour objectif de tenter de casser l’interfédérale. « Les ministres nous ont promis un document papier clair d’ici la fin de semaine pour mettre à plat leur nouveau plan. À partir de là, des réunions bilatérales (ndlr : syndicat par syndicat) vont s’ouvrir, on verra ce qui en sortira », annonce Sébastien Menesplier. Jointe à de nombreuses reprises, la secrétaire générale de la CFE-CGC Énergies, deuxième force syndicale chez EDF, ne nous a pour l’heure pas répondu.