Bientôt dix jours de grève reconductible pour les avocats. Depuis le 6 janvier, ils sont entrés dans un conflit historique pour préserver leur régime autonome mais aussi la possibilité pour eux de défendre les plus démunis sans que cela ne pénalise leur retraite. Interview de Julien Brel, avocat au barreau de Toulouse et membre du Syndicat des Avocats de France.
Pourquoi les avocats et avocates sont-ils en grève ?
Les avocats disposent d’une caisse de retraite autonome depuis 1945. Nous cotisons à hauteur de 14% dans une caisse à part, qui est bénéficiaire. La réforme des retraites veut mettre fin à cette caisse autonome. Nous passerions ainsi, grosso modo, de 14% de cotisation à 28%, comme les salariés du privé. On pourrait penser que cela nous mettrait sur un pied d’égalité avec eux mais ce n’est pas le cas. Dans le privé, environ la moitié des cotisations sont prises en charge par l’employeur, nous, nous devrions assumer seuls les 28% de cotisation. Enfin notre régime garantit un minimum de 1400 € de retraite et il est solidaire du régime général des retraites puisque nous participons chaque année à son financement à hauteur de 80 millions d’euros. Cela serait aussi perdu.
Votre mouvement est surprenant dans sa temporalité : votre grève se durcit en janvier, après un mois de mobilisation interprofessionnelle, dans une période qui suit celle des fêtes où il a dû être difficile de se réunir pour préparer la mobilisation en amont. Comment l’expliquez-vous ?
Avant le 6 janvier, nous avions seulement participé aux grosses journées d’action qu’ont été le 5 et le 17 décembre et à des journées de grève en septembre. Pendant la période des fêtes de noël, le Conseil National des Barreaux (CNB), qui représente tous les barreaux de France, s’est aperçu que certaines professions comme les danseurs de l’opéra de Paris, ou les pilotes de lignes obtenaient des avancées concernant leur régime de retraite. De notre côté, il ne se passait rien et nous étions de surcroît totalement ignorés par la ministre de la justice qui ne voulait pas nous recevoir. Le 6 janvier, le CNB a donc tiré la sonnette d’alarme en demandant aux 164 barreaux de France de se mettre en grève pour une semaine, ce qui n’était jamais arrivé dans l’histoire de la profession. Dès le 7 janvier, à Toulouse, une AG a confirmé la grève et mis en place des actions. Le 13, nous avons voté une semaine de grève supplémentaire.
Quel est votre pouvoir de blocage ?
Nous pouvons refuser de plaider. Si aucun avocat ne peut être nommé dans des procès où sa présence est obligatoire, et qu’aucun commis d’office n’a été désigné par le bâtonnier alors les magistrats sont obligés de reporter les procès. Notre but est d’obtenir un maximum de reports dans toutes les juridictions, c’est là que réside notre pouvoir de blocage. Ce n’est pas simple. Il nous faut parfois subir la pression de certains magistrats qui sont simplement dans la gestion de leur flux de dossier. On a pu assister à cela lors d’un procès en assise qui s’est déroulé récemment, un magistrat, c’est son droit, a obligé un avocat à plaider. Pour le contrecarrer nous avons eu l’idée de venir plaider à une cinquantaine. Impossible pour le magistrat de nous entendre tous, c’était trop long. Face à cette sorte de grève du zèle, l’audience a finalement été reportée.
Diriez-vous que votre grève est corporatiste ?
Non, notre lutte défend une certaine idée de la justice et de l’accès au droit. Si la loi passe et que nous perdons notre caisse autonome, ce sont les avocats les moins riches qui en feront les frais. Or il faut bien comprendre que pour se constituer une belle retraite, le plus simple c’est de prendre des clients fortunés et de demander de hauts honoraires. Si vous ne défendez que des clients précaires, financés par l’aide juridictionnelle, vous cotisez moins. La grande force de notre régime autonome, c’est qu’il garantit 1400 euros de retraites, c’est une sécurité. Si on perd ce droit, il va falloir être beaucoup plus regardant sur nos honoraires et ce sont nos clients les plus démunis qui en pâtiront.
On a l’impression que si le gouvernement lâche sur votre caisse autonome les avocats sortent de la grève, c’est ce que nous entendions par grève corporatiste.
C’est effectivement aussi une de mes craintes. Si demain on obtient un retrait du gouvernement sur le régime des avocats, pas sûr que le CNB continue d’appeler à la grève. Or cette victoire nous ne l’aurions pas obtenue seuls, mais avec l’aide de tous les autres secteurs mobilisés.
Faisons face ensemble !
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