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Grève des enseignants : le mouvement du 93 s’étend en Île-de-France


Les personnels de l’éducation en Seine-Saint-Denis mènent une grève reconductible depuis le lundi de la rentrée, 26 février. Et leur mouvement en inspire d’autres. Dans le Val-de-Marne, le Val d’Oise et les Yvelines, des enseignants emboîtent le pas de leurs collègues du 93. Des actions éparses, mais pensées au niveau départemental, s’organisent cette semaine. Deux dates cristallisent les velléités de grève : le 7 mars, mais aussi et surtout, le 19 mars. 

 

Aux alentours de 7h50, ce lundi 4 mars, ils sont une quinzaine d’enseignants à envahir une salle du rectorat de Versailles. D’autres manifestants patientent dehors. Tous exigent une audience immédiate avec le recteur. « On a vu nos collègues, dans le 93, faire plusieurs jours de grève à la rentrée, en raison des coupes budgétaires et d’annonces gouvernementales qui ne font pas consensus », expose William, professeur des écoles dans le Val d’Oise, participant à l’occupation. Ce mouvement est en train de s’étendre à d’autres départements.

Depuis le lundi de la rentrée, le 26 février, les personnels de l’éducation du 93 construisent en effet un mouvement de grève reconductible. Dans le Val d’Oise, « nous avons des revendications communes », explique William. D’autant qu’une partie du 95 se trouve juste à coté du 93. « Le découpage est un peu surfait : on a les mêmes populations d’élèves, qui rencontrent les mêmes difficultés, extrêmement précaires, et subissant l’inflation de plein fouet », rappelle ce professeur des écoles.

Pour comprendre le départ du mouvement dans le 95, il faut également remonter au lundi de la rentrée. Le 26 février, un établissement refuse de reprendre : le lycée Simone de Beauvoir, à Garges-les-Gonesse. Le taux de grève atteint 80 %. Un compte instagram est créé : « Simone à 30 ». Là est leur revendication principale : pas plus de 30 élèves par classe. D’autres revendications sont portées, comme l’embauche d’une infirmière à plein temps, ou d’un.e troisième CPE.

 

« Comment ne pas faire de lien avec ce qui se passe dans le 93 ? »

 

Dès le mardi 27, les grévistes de Simone de Beauvoir se rendent devant le rectorat et y obtiennent une audience. Mais la réponse écrite qui leur parvient le lendemain déçoit. « Un mail arrive pour nous dire : « pas de moyens supplémentaires ». Les collègues étaient en colère d’avoir perdu deux jours de salaire, pour rien », retrace Christine Marchetti-Hakani, secrétaire départementale FO lycées collège (FOLC). Une opération « lycée mort » s’ensuit, le jeudi et vendredi.

« Depuis cette impulsion, des AG se sont tenues avec des gens du premier et second degré, des parents, des AESH… La volonté de mener des actions au rectorat pour être plus largement entendus a émergé », raconte William. Plusieurs établissements scolaires sont représentés dans ces AG, y compris ceux d’autres communes, comme Sarcelles. La grève du lundi 4 mars est votée, avec le souhait d’être à nouveau reçus par le rectorat. Un appel à débrayer aussi le jeudi 7 mars est également adopté.

Le 95 rejoint ainsi l’appel déjà lancé par le 93 sur cette date. « Comment ne pas faire de lien avec ce qui se passe dans le 93 (…) avec la grève déclenchée sur le mot d’ordre qui concentre toutes les revendications « pas de moyens ? pas de rentrée ! » La question n’est-elle pas posée partout ? » expose dans un communiqué le syndicat Force Ouvrière, qui soutient la mobilisation dans le département, aux côtés de la CGT Éduc’action et de Sud Éducation.

 

De la Seine-Saint-Denis aux Yvelines, un « souffle propagé par les militants syndicaux » pour la grève des enseignants

 

De fait, d’autres départements se mette en mouvement. Dans les Yvelines aussi, un appel à la grève jeudi 7 mars est lancé en intersyndicale par la CGT, CFDT, FSU, UNSA, Sud. Ainsi qu’un rassemblement départemental dès ce mercredi 6. « Nous prenons exemple sur le 93. Il y a comme un effet d’aubaine pour les militants syndicaux : si ça bouge là-bas, alors on peut bouger aussi. Ce souffle est propagé par les militants syndicaux sur le terrain, dans les tournées », expose Kévin Scribot, enseignant en histoire-géographie à Mantes-la-Jolie, membre du bureau départemental de la CGT Éduc’action.

L’appel dans les Yvelines s’inscrit aussi dans la continuité de mobilisations locales et éparses, qui se sont tenues juste avant les vacances scolaires. En pleine séquences des dotations horaires globales (DHG), plusieurs établissements ont connu des mouvements de grève.

Le lycée professionnel Jean-Monnet, par exemple, était en grève près d’une semaine pour le maintien de sa classe ULIS. D’autres, comme à Mantes-la-Jolie, ont connu une succession de grèves ou d’exercice du droit de retrait, sur l’enjeu des DHG. Là encore, sur plusieurs jours. Une intensité inédite, selon Kévin Scribot : « c’était une vague de mobilisations. Et c’est la première fois que l’on observait, au syndicat, autant de mouvements forts et qui durent dans ce département ».

Ces agitations locales sont donc en train de basculer vers une grève des enseignants au niveau départemental – et donc, régional. « On essaie de créer du commun, sur le modèle du 93. Car on peut certes grappiller des heures ici ou là, mais l’idée reste quand même d’avoir un plan global, pour notre département », soutient Kévin Scribot.

 

« Colère » dans les salles des profs face aux réformes nationales

 

Le fait que les mobilisations locales soient en train de s’agglomérer, à l’échelle d’un département d’abord, puis entre départements, éclaire en fait un contexte national. La réforme du collège annoncée par l’ex-ministre Gabriel Attal, autour du “choc des savoirs”, « a particulièrement heurté les personnels. D’abord sur l’aspect symbolique des groupes de niveaux qui représente un changement de paradigme important. Mais aussi parce qu’il s’agit d’une réforme à moyens horaires constants… Voire en baisse. Il y a donc une double brutalité. D’un côté, ce que l’on nous demande de mettre en place. De l’autre, le fait que l’on nous demande de le faire avec moins de moyens », résume Kévin Scribot.

Enseignants : amplifier la grève « pour que notre école publique ne disparaisse pas »

« Cette réforme n’est pas financée. Elle se fait au détriment de la diversité des enseignements. Dans mon collège, on ferme l’allemand. Ailleurs, on ferme le grec, le latin », raconte Camille Ferdinand, co-secrétaire du SNES FSU dans le Val-de-Marne. Dans son département aussi, un appel à la grève des enseignants le 7 mars, ainsi que le 8 au moment de la journée internationale des droits de femme, se diffuse. « On souhaite suivre le 93 », résume simplement l’enseignante et militante syndicale.

Un collectif s’est créé dans le bassin autour de Champigny-sur-Marne après les annonces sur le choc des savoirs. « Je faisais des tournées dans les bahuts de ce secteur, et j’y ai constaté énormément de colère dans les salles des prof, notamment sur cette histoire de groupe de niveaux. Personne n’en veut ! », retrace Camille Ferdinand. La militante créé alors un groupe Whatsapp, qui réunit aujourd’hui une cinquantaine d’enseignants de plusieurs établissements, y compris non syndiqués. Ce collectif est l’un de ceux qui portent le plus la velléité d’une dynamique départementale.

 

« On met toutes nos forces dans le 19 mars » : vers une grève reconductible des enseignants ?

 

Mais pour le Val-de-Marne, comme pour les Yvelines, on attend de voir quelles seront les forces vives pour la journée du 7. Si les volontés syndicales sont là, tout reste encore incertain sur le terrain. Dans le 94, « ce sera un peu diffus », reconnaît Camille Ferdinand. Idem dans le 78 : « on se comptera à ce moment-là, pour voir si l’on est entre militants… Ou si la mobilisation prend plus largement », abonde Kévin Scribot. « Quoi qu’il en soit : le but est d’aller vers un mouvement élargi, dans la durée ».

C’est là qu’intervient une date décisive : le 19 mars, journée de grève nationale dans la fonction publique. L’intersyndicale en Seine-Saint-Denis veut tenir la grève des enseignants jusqu’à cette date, voire au-delà. Le 78, le 94 et le 95 espèrent bien relayer la dynamique. « On met toutes nos forces dans le 19 mars. C’est une date clé. On encouragera la poursuite des mobilisations à partir de là, tant que les réformes annoncées ne deviendront pas quelque chose de vivable et d’applicable, pour les élèves comme pour nous », insiste Camille Ferdinand.

Et le premier degré compte bien se faire entendre. Pour le 7 mars, difficile de se mobiliser : les professeurs des écoles doivent déclarer leur intention de faire grève au moins 48 heures en amont. Mais pour le 19 : « on portera l’idée d’une grève reconductible », confirme Johanna Cillaire, de Sud Education 94. Cette professeure des écoles à Ivry le rappelle : la mise en place des groupes de niveaux au collège implique, dès le CM2, que les professeurs et directeurs « trient les élèves pour décider qui ira dans le groupe des faibles ou des forts en 6ème

D’autres mesures annoncées l’inquiète : la réduction des programmes en primaire, par exemple, « avec l’idée de revenir sur les savoirs fondamentaux… Ce qui réduit l’école au trio “lire-écrire-compter” », cite la professeure des écoles. Conclusion : « on va communiquer sur notre soutien aux collègues du 93 », promet-elle. « Et préparer fortement le 19 ».