grève enseignants 6 février Seine-Saint-Denis

Enseignants : amplifier la grève « pour que notre école publique ne disparaisse pas »


Les enseignants étaient de nouveau en grève ce mardi 6 février. Opposés aux réformes annoncées par Gabriel Attal avant son départ du ministère de l’Éducation nationale, notamment sur les groupes de niveaux, ces personnels continuent de manifester leur colère face à la nouvelle ministre Amélie Oudéa-Castéra. Avec quelles perspectives pour se mobiliser dans la durée ? 

 

Une semaine après une importante journée de grève le jeudi 1er février, rebelote ce mardi 6 février. Les enseignants étaient en grève à l’appel de la CGT Éduc’action, du SNES-FSU et de Sud Éducation. Et dans la rue. À Paris, plusieurs centaines de manifestants sont partis de la Sorbonne pour rallier le ministère de l’Éducation nationale. Le siège de la nouvelle ministre, Amélie Oudéa-Castéra, qui dès sa prise de poste a mis de l’huile sur un feu déjà très vif : « on s’est sentis agressés. Je ne comprends pas qu’elle soit encore notre ministre du public… », retrace Laurence, enseignante d’EPS (éducation physique et sportive) exerçant depuis 30 ans dans un collège parisien du 15ème arrondissement.

Laurence est venue manifester avec deux collègues du même établissement. « On ne se bat pas pour nous, mais pour nos élèves. Pour que l’école publique, telle qu’on l’a connue, ne disparaisse pas », insiste-t-elle. Pour ce 6 février, le SNES-FSU avance le chiffre de 40 % d’enseignants grévistes dans les collèges. Selon les chiffres du ministère de l’Éducation nationale, ils ne sont que 9,52 % de grévistes au collège, et 4,79 % au lycée général.

Abstraction faite de l’écart entre les chiffres ministériels et syndicats, ces taux restent, dans tous les cas, en-deça des chiffres de jeudi dernier. Le 1er février en effet, le SNES-FSU avait annoncé 47 % de grévistes dans les collèges et lycées. Dans le primaire, le SNUIPP-FSU comptabilisait 40% de grévistes. Le ministère évoquait, lui, une moyenne de 20,26 % d’enseignants grévistes.

 

Les groupes de niveaux, « à l’opposé de ce pour quoi je me suis engagé dans ce métier »

 

Cette journée de grève du 6 février est le pilier de la « semaine d’actions du 5 au 9 février » à laquelle ont appelé, plus largement, les syndicats Sud Éducation, Unsa Éducation, FSU, Sgen-CFDT et CGT Éduc’action. Des grèves isolées ont lieu, cette semaine, dans des établissements scolaires. Et pour cause : les dernières annonces de l’ex-ministre Gabriel Attal en décembre – un ensemble de réformes regroupées sous le nom de « choc des savoirs » – sont en train d’être mises en oeuvre.

« Ce sont beaucoup d’annonces, alors que sur le terrain, rien n’est fait pour nous aider. On nous demande de travailler beaucoup plus… Pour gagner moins, car les salaires n’augmentent plus », introduit Laurence. Une mesure fait particulièrement polémique : la mise en place de groupes de niveaux, en français et mathématiques, tout au long du collège. Les textes relatifs à cette réforme seront présentés ce jeudi au Conseil supérieur de l’Éducation, une instance consultative.

Ces groupes de niveaux au collège, « c’est un tri social des élèves. Ceux qui sont dans les groupes les plus faibles sont généralement les plus défavorisés », rappelle Nathalie, enseignante de mathématiques depuis 20 ans. Celle-ci tient à évoquer les ULIS [unités localisées pour l’inclusion scolaire] et les UPE2A [unité pédagogique pour élèves allophones arrivants] : « on ne parle jamais d’eux… Ils se retrouveront dans les groupes les plus faibles, mais pour des raisons très différentes et alors qu’ils auraient besoin d’un accompagnement spécifique ».

 

« Aux parents qui ont les moyens, le privé. Aux pauvres, un résidu de service public » : les enseignants en grève le 1er février

Un peu plus en arrière dans le cortège, Jérémy tient une banderole représentant son collège, à Saint-Denis. Le jeune homme enseigne le français depuis cinq ans – dont trois comme contractuel, en parallèle de ses études. C’est dans son établissement que Gabriel Attal était venu présenter, en décembre, son plan autour de l’uniforme à l’école.

Pour Jérémy aussi, mettre en place les groupes de niveaux reviendrait à « ségréguer plus encore que ne le fait déjà l’Éducation nationale. Dans nos classes, il y a déjà très peu de mixité sociale. Faire des groupes de niveaux, c’est recréer des inégalités là où il y en a déjà », insiste-t-il. Avant de lâcher : « c’est à l’opposé de ce pour quoi je me suis engagé dans ce métier ».

Ces groupes de niveaux auront plusieurs conséquences. D’abord, les professeurs en mathématiques et français ne pourront plus être professeurs principaux, « puisqu’on aura plus de classe », souligne Nathalie. Seulement des groupes, en théorie mouvants, composés d’élèves issus de plusieurs classes. « Plus de vrais projets possibles avec sa propre classe », soupire l’enseignante de mathématiques.

 

L’intersyndicale vise « au printemps, une mobilisation dans la durée »

 

Mais surtout : pour faire ces groupes de niveaux, « on nous supprime les heures en demi-groupes. Tout cela disparaît », alerte Nathalie. Un dispositif pour en remplacer d’autres… Au risque de perdre ce qui fonctionnait. Pire, dans le collège de Jérémy, « un poste d’histoire-géographie est menacé de suppression à la rentrée. Parce que pour multiplier les groupes de niveaux, on grappille des heures à droite et à gauche… Des heures de dédoublement en histoire-géo sont supprimées », explique l’enseignant.

Des heures en moins, et des postes en moins. Ces enjeux sont pressants : les conseils d’administration votent, en ce moment même, la répartition de la dotation horaire globale accordée à l’établissement.

« L’école publique est à un point de bascule. Cela implique de prendre nos responsabilités et d’inscrire la mobilisation dans la durée. On sait qu’une journée de grève ne suffira pas », soutient Sophie Vénétitay, secrétaire générale du SNES-FSU, marchant au milieu de la foule des grévistes du jour. Objectif, avec l’intersyndicale : « construire, au printemps, une mobilisation dans la durée ». Le calendrier est en train d’être élaboré.

Avant même cette échéance du printemps, un département veut porter une voix forte : la Seine-Saint-Denis. Un territoire qui, par les problématiques qu’il concentre, est « l’emblème de la politique de classes qui a été menée par Emmanuel Macron », soutient Sophie Vénétitay. Un plan d’urgence va être lancé, en intersyndicale, pour la rentrée scolaire fin février. « On a la volonté de montrer que l’on peut agir ensemble pour obtenir des moyens. Des moyens pour la jeunesse. Et notamment pour la jeunesse populaire ».

 

Pas de rentrée fin février : le mot d’ordre des enseignants en grève en Seine-Saint-Denis

 

Ce plan d’urgence est en préparation depuis décembre. L’ambition ? Rien de moins qu’une grève reconductible, à partir du lundi de la rentrée, le 26 février. Dans la pratique, les militants sont encore en train d’organiser les forces vives. Une série d’AG s’est tenue, dont la dernière a eu lieu le soir du jeudi 1er février, à la bourse du travail d’Aubervilliers. Quatre syndicats sont porteurs : CGT, Sud, SNES-FSU, et la CNT.

« L’idée est, pour une fois, de ne pas être sur un mouvement défensif face aux attaques qui nous tombent dessus. Mais d’être, nous, à l’attaque. Avec des revendications propres à notre département », pose Lisa, enseignante de français dans le 93, défilant au côté de ses collègues. Au coeur des revendications du département : combler les postes manquants. « Il faudrait 5 000 postes de profs supplémentaires pour enseigner correctement, 2 200 AESH [accompagnants d’élèves en situation de handicap], et davantage de médecins scolaires, infirmières scolaires, psychologues », liste la professeure de français.

Pour ces AESH, des revendications sont aussi formulées en faveur de l’amélioration de leur salaire, de leur statut, et de la définition de leurs missions. Ces dernières ne sont pas toujours clairement définies : « c’est un peu au bon vouloir des chefs d’établissements. Ceux-ci abusent parfois des AESH en leur demandant des tâches qui ne sont pas les leurs », tient à souligner Lisa. Reste qu’il sera difficile, pour ces professionnels précaires de l’Éducation nationale, de s’engager sur une reconductible. Lisa met en avant l’importance d’une caisse de grève, pour que ces AESH comme les personnels de la vie scolaire puissent se mobiliser autant que les enseignants à la rentrée.