grève enseignants 6 février Seine-Saint-Denis

En Seine-Saint-Denis, la grève au lieu de la rentrée scolaire : « un signal fort en direction du ministère »

Pas de rentrée dans le 93 : tel est le mot d’ordre soutenu par quatre syndicats en Seine-Saint-Denis pour alerter sur le manque de postes dans le premier et le second degré, ainsi que sur la dégradation des infrastructures. En grève lundi 26 et mardi 27 février, les enseignants demandent un plan d’urgence, budgété à 358 millions d’euros, et visent de nouvelles dates de mobilisation.

 

En Seine-Saint-Denis, 40 % des personnels enseignants étaient en grève dans le second degré, lundi. L’assemblée générale départementale d’hier soir a décidé de poursuivre la grève ce mardi. Quatre syndicats sont à l’initiative de cette mobilisation visant à faire émerger un plan d’urgence pour l’éducation dans le 93 : la CGT éduc’action, Sud, la FSU et la CNT.

« La date du 7 mars, adossée à la grève féministe du 8 mars, et l’idée d’une semaine de reconductible à partir du 19 ont été évoquées », raconte Émilie Benoît, de Sud Éducation 93. Le 8 mars sera important : « on est un service public extrêmement féminisé avec 72 % de travailleuses ; plus de 95 % chez les assistantes sociales ; plus de 93 % chez les AESH ; 85 % des professeures des écoles… On a donc en tête cette grève féministe, qui a un arc unitaire très large, y compris la CFDT », souligne Louise Paternoster, co-secrétaire de la CGT Éduc’action 93 et professeure des écoles.

Certains grévistes, comme Cédric, professeur documentaliste dans un collège de Villetaneuse, ont bien en tête pour leur part la date du 19 mars, journée de grève nationale dans la fonction publique. Dans son établissement, ce lundi et mardi, la moitié des enseignants sont grévistes. « Tenir un mouvement sur plusieurs semaines est compliqué. L’idée est plutôt de faire des grèves perlées : deux jours cette semaine, puis a minima le 19 mars avec la fonction publique », indique-t-il.

Une nouvelle AG aura lieu ce mardi en fin de journée pour décider des modalités de reconduite de la mobilisation.

 

Une grève à la rentrée en Seine-Saint-Denis, « c’est déjà un mouvement inédit »

 

« Pour nous, c’est déjà un mouvement inédit. Se coordonner sur une date de rentrée, avec tout l’effet symbolique que ça a, c’est un signal fort en direction de l’académie et du ministère », se satisfait Louise Paternoster. Hier, des piquets de grève ont été dressés devant certains établissements, « pour s’adresser aux parents notamment », décrit Émilie Benoît. Surtout, une manifestation parisienne, non loin du lycée privé Stanislas, a réuni l’après-midi 700 personnes selon les syndicats.

L’établissement est un symbole. L’ex-ministre de l’Éducation nationale Amélia Oudéa-Castéra (désormais ministre des Sports) avait jeté de l’huile sur le feu en affirmant y avoir inscrit ses enfants en raison « du paquet d’heures qui n’était pas sérieusement remplacé » dans le public. Les syndicats du 93 rappellent aujourd’hui la responsabilité de la politique gouvernementale sur ce sujet : les élèves du département « perdent jusqu’à un an de cours sur leur scolarité en raison des non-remplacements » – une estimation tirée d’un rapport parlementaire paru fin novembre.

Ce mardi, les grévistes vont déposer à la DSDEN à Bobigny la liste de leurs doléances. « L’idée est, pour une fois, de ne pas être sur un mouvement défensif face aux attaques qui nous tombent dessus. Mais d’être, nous, à l’attaque. Avec des revendications propres à notre département », exposait Lisa, enseignante de français dans le 93, lors de la dernière manifestation nationale des enseignants le 6 février.

 

Les revendications : 4 000 enseignants et 850 instituteurs en plus

 

Ce cahier de doléances, consulté par Rapports de Force, contient des demandes précises et chiffrées. Le plan d’urgence est budgété à 358 millions d’euros. « La nécessité de ce plan d’urgence, elle est acquise dans la tête de tout le monde », insiste Louise Paternoster. Il couvre, en premier lieu, des embauches. 2 000 postes d’enseignants pour les collèges ; 2 200 pour les lycées. Avec, comme horizon, l’abaissement du seuil à un maximum de 20 élèves par classe.

L’enseignement du premier degré n’est pas oublié : 850 postes de maîtres et maîtresses sont exigés. Avec, pour chaque classe en maternelle, la garantie d’avoir un poste d’ATSEM (agent territorial spécialisé des écoles maternelles, un soutien précieux pour les instituteur.ices), à l’heure où le constat est plutôt celui d’ « inégalités territoriales » persistantes.

Mais le manque de personnel autre que les enseignants dans les établissements se fait tout aussi criant dans le département. « Pas de médecin scolaire ni d’infirmier-e dans 40 % des collèges », cite le cahier des doléances. Quant aux assistant.es de service social scolaire, il en manque dans 30 % des lycées et 23 % des collèges du département.

Les grévistes demandent 100 CPE (conseiller principal d’éducation) pour les collèges ; 75 pour les lycées. Et 350 assistant-es d’éducation pour les collèges ; 300 pour les lycées.

« Aux parents qui ont les moyens, le privé. Aux pauvres, un résidu de service public » : les enseignants en grève le 1er février

La dégradation des infrastructures est également soulevée dans ce diagnostic. Selon le cahier de doléances, les deux tiers des écoles sont en « mauvais état » ; plus de la moitié des collèges et lycées ont une « mauvaise isolation » doublée d’un « chauffage insuffisant » – sans compter des toilettes en nombre insuffisant ou encore les problématiques d’humidité et de moisissures.

Cette double problématique des postes manquants et des infrastructures dégradées avait déjà fait l’objet, dans le collège de Cédric, d’une grève à l’automne 2023. 36 enseignants sur la quarantaine en exercice s’étaient mobilisés, pour deux jours de grève. Une assistante sociale avait pu être nommée alors que le poste était vacant, la secrétaire absente remplacée, et « quelques améliorations ont été réalisées pour nos locaux, même si cela reste insuffisant », se souvient le professeur documentaliste.

L’enjeu pour les grévistes est de démontrer l’articulation entre ces problématiques locales avec celles qui concernent tout le 93. Et plus encore, avec l’échelle nationale. Par exemple, pour dénoncer la réforme lancée par l’ex-ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal sur les groupes de niveaux en français et mathématiques, « délétères et opérant un tri social » selon l’intersyndicale. Ou encore, pour appeler à l’abrogation de la réforme actuellement mise en oeuvre pour le lycée professionnel.

 

Mobiliser les parents et les personnels non-enseignants

 

Le cahier des doléances déposé par les syndicats exige 2 200 postes supplémentaires d’AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap). Des revendications sont aussi formulées pour un véritable statut, des revalorisations salariales, et la fin du temps partiel imposé. Mais il est difficile, pour ces professionnels précaires de l’Éducation nationale, de s’engager dans le mouvement aux côtés du personnel enseignant.

Cédric le constate dans son établissement : les AESH « ont déjà un temps de travail très conséquent, avec plusieurs élèves à gérer en même temps, une heure de maths par-ci, une heure de français par-là… » Leurs bas salaires « sont aussi un frein. Et elles sont très isolées dans leur situation ». Quant au personnel de la vie scolaire, l’un des freins à la mobilisation reste « la précarité de leurs contrats : la majorité exercent à mi-temps », décrit-il.

L’un des principaux enjeux est également d’emmener les parents dans la mobilisation. « La difficulté que l’on a souvent, dans ce genre de mobilisations, c’est d’avoir les parents avec nous », retrace Cédric. Lors de l’AG de secteur, lundi matin, à Stains, priorité leur a été donné : « plusieurs parents étaient présents et ont beaucoup eu la parole ». Les établissements mobilisés ont tous prévu une réunion ouverte aux parents, jeudi, pour leur présenter « les conséquences des réformes nationales, et la situation de l’éducation dans notre département ».