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Grève du bac : « les enseignants ont surveillé la mort dans l’âme »

 

S’opposer à la réforme des retraites par la grève du bac ? Ou assurer le bon déroulement d’une épreuve à laquelle ils préparent leurs élèves toute l’année ? Les enseignants sont confrontés à ce dilemme depuis le 20 mars. Bilan d’une grève du bac en demi-teinte.

 

On n’en a pas encore l’habitude, mais du 20 au 23 mars, les lycéens de terminale des filières générales et technologiques ont passé les épreuves de spécialité du baccalauréat. Une première depuis la réforme de cet examen par l’ex-ministre Jean-Michel Blanquer. Encore plus inhabituel : dans de nombreux lycées, ils sont entrés en salle d’examen sous les encouragements de leurs enseignants…grévistes.

« Force à vous les élèves ! » « N’oubliez pas de faire un brouillon » , « Prenez un goûter ! » : au lycée Maurice Utrillo de Stains (93), les enseignants mobilisés sont réunis sur le parvis devant l’entrée. Tout en prodiguant des conseils à leurs élèves, ils rappellent leurs revendications au micro : « On est là pour vous ! Le bac au mois de mars est inégalitaire. On dénonce aussi Parcoursup et la sélection dans l’enseignement supérieur. Et puis cette réforme des retraites, qui va toucher vos parents, dont beaucoup font des métiers déjà pénibles ! ».

Une illustration parfaite du conflit de loyauté qui tiraille ces professeurs : comment s’opposer à la réforme des retraites sans perturber les élèves ? Un dilemme impossible à résoudre. « Les enseignants ont surveillé le bac la mort dans l’âme », résume Claire Guéville, secrétaire nationale du SNES-FSU en charge des lycées.

 

« De toute façon c’était impossible »

 

Faire la grève du bac contre la réforme des retraites ? L’idée a bien sûr effleuré l’esprit de nombreux enseignants, massivement mobilisés depuis le début du conflit social. Mais ce lundi 20 mars, force est de constater que la grève est loin d’être majoritaire. Dans les lycées les plus mobilisés, des piquets rassemblant vingt à trente enseignants grévistes sont tenus. Si le nombre de ces mobilisations n’est pas anecdotique, impossible de savoir quelle est la part des lycées concernés, car aucun décompte national n’a été mené.

 

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Affichage des grévistes au lycée Utrillo de Stains. Crédit photo : Maïa Courtois.

 

Les épreuves ne sont toutefois pas entravées. « L’idée n’a jamais été de bloquer le bac. De toute façon c’était impossible, l’administration et les chefs d’établissement étaient préparés. Et même lorsque le nombre d’enseignants est insuffisant, le bac peut-être surveillé par des AED, par du personnel administratif. On estime qu’il faut qu’au moins 50% des effectifs d’un établissement soit en grève pour que les épreuves soient entravées, tout type de personnel confondu. C’est énorme », analyse Claire Guéville du SNES-FSU, premier syndicat enseignant.

 

« On est plusieurs à culpabiliser »

 

En plus d’être compliqué à mener, le blocage du bac n’était pas souhaité par la majorité des enseignants, y compris les grévistes. Sur le parvis du lycée Utrillo, une petite musique se fait entendre. « On est plusieurs à culpabiliser de ne pas aider nos élèves : notre absence fait que l’on va manquer des heures. Moi je suis prof pour le bac de français, je regarde quel jour tombent les grèves, et je suis obligé d’adapter un planning, je m’en veux… et c’est un frein pour beaucoup », assure Aurélien, sur le piquet du lycée Utrillo.

Sabrina, prof de physique-chimie et syndiquée à la CGT éduc’action acquiesce : « J’avais des heures de spécialité, le bac étant en mars, ça a joué sur le fait de ne pas lâcher les élèves. Parfois, je me suis déclarée gréviste, mais tout en prenant mes élèves… Il y a quelques collègues qui font ça aussi. Je n’étais donc pas fer de lance du mouvement comme d’autres collègues, même si je l’aurais voulu.»

Autour de ces enseignants, les lycéens affluent devant l’entrée, sortent fébrilement leurs convocations de leurs sacs. Certains disent timidement un mot de la réforme des retraites, applaudissent leurs profs au micro. Mais la plupart filent sans s’arrêter vers la salle d’examen. Sila, élève en terminale redoublante, a l’air moins stressée que ses camarades et aurait aimé soutenir la grève : « aujourd’hui on aurait pu faire blocus. Si j’avais su je serais venue aider ! Si on ne bloque pas, ça ne va rien changer… » , juge-t-elle. « De ce que m’ont dit les élèves, beaucoup d’élèves se seraient mobilisés si les épreuves n’étaient pas en mars« , abonde Sabrina. « Là, c’est trop de pression. »

Ces épreuves de spécialité de terminale du baccalauréat représentent un gros enjeux pour les lycéens, puisqu’elles compteront pour Parcoursup, c’est-à-dire pour leur orientation dans l’enseignement supérieur. « On n’a pas encore de recul pour s’en rendre compte, mais il est très possible que ces épreuves soient finalement une sorte de concours d’entrée dans l’enseignement supérieur qui ne dit pas son nom », estime Claire Guéville, du SNES-FSU en charge des lycées.

 

La grève du bac, un dilemme qui se prolonge

 

C’est avec ce contexte en tête, que les organisations syndicales ont rédigé, quelques jours avant le début des épreuves, un communiqué mi-figue mi-raisin sur la grève du baccalauréat. Dans ce dernier, elles appelaient « à poursuivre la mobilisation pendant les épreuves de spécialité y compris par la grève des surveillances là où cela est possible », sans appeler concrètement à des journées de grève.

Pas assez offensif, pour la CGT éduc’action et Sud-Education, qui, bien que signataires du communiqué intersyndical appelaient clairement, en leur nom propre, à la grève du bac. Mais déjà trop radical pour la CFDT et l’UNSA, mal à l’aise avec l’idée de perturber même à minima l’organisation des épreuves, et qui ont, elles, refusé de signer le communiqué.

Ce dilemme, mettant dans la balance avenir des élèves et lutte contre la réforme des retraite, pourrait malheureusement se prolonger tout au long du mois de mars. Et déteindre sur la mobilisation des enseignants du secondaire. « Le bac n’est pas plié en trois jours. Il va y avoir des épreuves orales, pour lesquelles les enseignants seront encore convoqués, mais aussi les corrections. Les profs vont encore devoir jongler avec les jours de grève », estime Claire Guéville. Reste que la prochaine journée de mobilisation interprofessionnelle aura lieu ce jeudi 23 mars. « Par contre, les collègues attendent ce jeudi avec impatience, la grève va être massive », conclut la syndicaliste.

 

Maïa Courtois et Guillaume Bernard