À l’occasion de cette troisième journée de mobilisation contre la réforme des retraites, le nombre de grévistes paraît en baisse par rapport aux 19 et 31 janvier. Mais certains secteurs stratégiques, comme l’énergie, les cheminots et les raffineries, se tiennent prêts à durcir le mouvement de grève. Secteur par secteur, retrouvez l’état de la mobilisation ce 7 février.
Gare de Lyon : les cheminots se préparent pour la grève reconductible
À l’assemblée générale de la Gare de Lyon, les cheminots étaient nombreux. « On est 150, donc au moins autant que le 19 et le 31 », se réjouit Fabien Villedieu, secrétaire fédéral de Sud Rail. Sur place, les caméras de télévision n’ont d’yeux que pour les deux personnalités politiques de la France Insoumise présentes sur place : Jean-Luc Mélenchon et Thomas Portes. L’information capitale du jour, c’est pourtant que sur le site, 50 % des salariés ont fait grève. « Et sur les lignes où je suis, la D et la R, on est même à 95 % de grévistes ! Cela prouve qu’il y a encore du souffle », s’exclame Fabien Villedieu à l’adresse de ses camarades.
Au niveau national, le taux de grévistes était de 25% indique l’AFP, qui cite une source syndicale, contre 36 % le 31 janvier et 46% le 19 janvier. Devant le reste de l’assemblée, le responsable syndical est revenu sur la décision des organisations cheminotes de ne pas appeler à la grève le 11 février : « Il y a aussi une bataille de l’opinion publique, qui est de notre côté. Mais samedi, il faut qu’il y ait une déferlante dans les manifestations ».
Sur la suite du mouvement, Fabien Villedieu a explicité la position de Sud Rail : « la question à la SNCF et ce qu’on portera chez Sud Rail et qui, on l’espère, convaincra l’intersyndicale, c’est qu’il faudra, à un moment donné, peut-être après les vacances, partir en grève reconductible ». Quelques minutes plus tard, il est rejoint sur ce terrain par Béranger Cernon, élu CGT. « Oui, à un moment, on prendra nos responsabilités. On va tenter quelque chose. J’entends qu’on n’a pas envie de se retrouver seul comme en 2019. Mais là, on est pas seuls ! », souligne-t-il avant d’énumérer plusieurs secteurs qui commencent à s’impliquer dans le mouvement, comme les dockers ou les étudiants. Daniel Teirllynck, représentant de l’Unsa ferroviaire Paris Sud-Est, est du même avis : « On va être clair : si le gouvernement n’entend pas la rue, alors il prendra la responsabilité d’un conflit long, reconductible, et qui visera le blocage économique ».
Raffineries : entre 75 et 100 % de grévistes selon les sites
Plus d’un salarié sur deux des raffineries TotalEnergies était en grève ce mardi, selon la direction de la multinationale, qui reconnaît 56 % de grévistes. « Les expéditions de produits au départ des sites de TotalEnergies sont interrompues ce jour », a-t-elle indiqué à la presse. La CGT, à l’initiative du mouvement, dénombre quant à elle entre 75 et 100 % de grévistes selon les sites.
Le syndicat recense 87 % à la raffinerie de Normandie, la plus importante de France. Mais aussi 90 % à la raffinerie de Donges (Loire-Atlantique), 75 % de grévistes à la bio-raffinerie de La Mède (Bouches-du-Rhône), ou encore 100 % au dépôt de carburants de Flandres, près de Dunkerque (Nord).
Les journées précédentes, les chiffres étaient peu ou prou similaires. Le 31 janvier, la raffinerie de Normandie comptait ainsi 75% de grévistes, celles de Feyzin (Rhône), La Mède et Donges entre 80 et 90% de grévistes, et le dépôt de carburants de Flandres était déjà en grève à 100%, selon Eric Sellini, coordinateur national du syndicat pour TotalEnergies.
Énergie : « Nous sommes prêts à aller dans un mouvement plus dur »
Du côté des électriciens et des gaziers, la mobilisation reste également solide. La FNME CGT revendique 100 % de grévistes à la conduite de Martigues, Civaux, Paluel, Cordemais, Gravelines, Cattenom… La conduite ne représente pas l’ensemble des effectifs : « mais c’est significatif, car ce sont ceux qui pilotent les centrales nucléaires, thermiques, hydrauliques », explique Fabrice Coudour. « On a entre 75 et 100 % de grévistes sur les différents sites. Ça se tient par rapport aux journées précédentes ».
Grâce au mouvement de grève, le syndicat revendique une baisse de 10% de la production d’électricité, soit 7 000 méga watts (voir les données nationales du réseau RTE) de moins dans la consommation. « Il n’y a aucun impact sur les usagers », souligne Fabrice Coudour. Du côté du secteur gaz, un filtrage est organisé à l’entrée du site de Gournay-sur-Aronde, dans l’Oise. C’est le deuxième plus important site de France, et le plus gros site du Nord. Le 19, il n’y en avait pas eu.
« On ne voit aucune baisse de motivation et de la détermination. Chaque jour, des initiatives se déclarent », raconte le responsable syndical. L’ouverture à la gratuité du réseau pour certains services publics, foyers en précarité ou petits commerces en difficulté se poursuit, ici ou là. À Chinon, des salariés perturbent la maintenance nucléaire. Une première, dans la mobilisation contre la réforme des retraites. « D’après nous, d’autres actions de ce type vont se développer dans les semaines à venir ».
Le secteur de l’énergie, traditionnellement stratégique, a conscience des regards qui se tournent vers lui. Alors, partir en reconductible, ou non ? « Depuis le 19, on sait que l’on doit faire la démonstration que l’on est capables de tout. Du très positif par les actions « Robins des Bois », au plus démonstratif par des coupures ciblées et des baisses de production, on a montré que les électriciens et gaziers maîtrisent leur outil de travail. Nous sommes prêts à aller dans un mouvement plus dur », expose, sans en dire plus pour le moment, Fabrice Coudour.
Mobilisation retraites le 7 et 11 février : la stratégie de l’intersyndicale décryptée
Territoriale : « là où l’unité syndicale se maintient, on a des forts taux de mobilisation »
Dans la fonction publique territoriale, le taux de grévistes n’est jamais évident à calculer, au vu de la multiplicité des collectivités et des services. À chaque fois néanmoins, le ministère communique un chiffre : ce soir, il pourrait être inférieur à celui des précédentes semaines. « Le ministère avait indiqué 14,5% de grévistes le 19 janvier, rappelle François Livartowski, membre de la direction fédérale CGT Fédération des services publics. Pour nous, c’était bien en-deçà de la réalité. Mais rien que cela, ça représentait 300 000 personnes. Cela faisait longtemps que l’on avait pas vu ça ! »
Aujourd’hui, pour se mobiliser, les fonctionnaires territoriaux font des choix stratégiques. « Il y a une forme de turn-over : certains y sont allés la semaine dernières, d’autres y vont cette semaine. D’autres encore posent des RTT. Mais cela n’empêche pas les gens d’être en colère contre cette réforme », soutient le responsable syndical. D’après les remontées de terrain, beaucoup d’agents territoriaux prévoient plutôt de se mobiliser ce samedi. « Pour la territoriale, cela a un sens particulier : environ 40% des territoriaux travaillent le samedi ».
La mobilisation reste inégale selon les secteurs géographiques et les services. Le syndicat a estimé qu’il y avait en moyenne 20 % de grévistes dans les conseils départementaux, le 31 janvier. Mais avec « beaucoup de différences selon les secteurs. Dans le Jura par exemple, il y avait des services des routes avec 30% de grévistes. Dans d’autres départements, ces services étaient complètement fermés ». En somme, « cela dépend beaucoup de l’affirmation de l’unité syndicale. Là où elle se maintient, on a des forts taux de mobilisation », conclut François Livartowski.
Éducation : des « arbitrages personnels », mais une mobilisation « installée dans les établissements »
Dans l’Éducation nationale, la mobilisation est perturbée du fait des vacances scolaires qui ont commencé dans la zone A. À Paris, le SNUipp-FSU annonce que la mobilisation reste très importante : 50% des professeurs des écoles sont en grève et 60 écoles sont fermées.
Dans le second degré, le SNES-FSU a fait le choix de ne pas communiquer de chiffres de grévistes, forcément biaisés par le début des vacances. « La mobilisation reste forte et les collègues sont déterminés. Mais avoir trois journées de grève en l’espace d’un mois, pour beaucoup cela coûte cher. Y compris dans la réalisation des programmes, explique Gwenaël Le Paih, secrétaire général adjoint du SNES-FSU. Beaucoup essaient de trouver des arbitrages personnels. Certains établissement continuent la mobilisation aujourd’hui, d’autres se réservent pour samedi. »
Conditions de travail, salaires, réformes contestées comme celle qui touche actuellement l’enseignement de la technologie au collège… Les enseignants trouvent de nombreuses raisons de se mobiliser, au delà-même de la réforme des retraites. « On est sur une mobilisation qui est amenée à durer. Et qui s’est vraiment installée dans les établissements scolaires », assure Gwenaël Le Paih.
À la RATP, des conducteurs de bus « dans l’attente »
Les travailleurs de la RATP étaient à la pointe de la mobilisation contre les retraites en 2019. Cette fois, la réalité est bien plus nuancée. Ce mardi, la mobilisation sur la partie métro et RER est forte. Sur la majorité des lignes, un seul train sur trois est en circulation, et le trafic globalement « très perturbé ».
Mais sur la partie bus, le mouvement est moins suivi. La RATP annonce 8 bus sur 10 en fonctionnement ce mardi. « Depuis plus d’un an, on est sur tous les fronts au niveau des conditions de travail, des NAO… Rien que cette année, on doit être à la dixième journée de mobilisation. Financièrement, c’est difficile. La priorité, c’est vraiment l’inflation et les salaires », expose Ahmed Ouhab, machiniste-receveur, de Solidaires RATP.
Dans son dépôt de bus, celui de Lagny, une AG s’est tenue tôt ce matin. Près de 80 personnes étaient rassemblées, dans un contexte tendu. La direction a engagé un huissier pour veiller à ce qu’il n’y ait aucun blocage de bus. Quant aux forces de l’ordre, elles sont venues en nombre. « Le 19 ils étaient là, le 31 aussi, mais ils sont de plus en plus nombreux », soupire Ahmed Ouhab.
Conclusion de l’AG : pas de reconduite, et pas de piquet de grève samedi non plus, faute d’effectifs. La priorité, pour les quelques conducteurs, qui comme lui ne lâchent pas, reste donc de grossir les rangs. En convainquant, un à un, leurs collègues. « La retraite, beaucoup d’entre eux voient ça de loin, ne se sentant pas la capacité ni la responsabilité de se battre pour… Et ils regardent les autres secteurs, en attendant un chevalier blanc ».
Maïa Courtois et Victor Fernandez
Crédit photo : Ricardo Parreira
Faisons face ensemble !
Si les 5000 personnes qui nous lisent chaque semaine (400 000/an) faisaient un don ne serait-ce que de 1€, 2€ ou 3€/mois (0,34€, 0,68€ ou 1,02€ après déduction d’impôts), la rédaction de Rapports de force pourrait compter 4 journalistes à temps complets (au lieu de trois à tiers temps) pour fabriquer le journal. Et ainsi faire beaucoup plus et bien mieux.