Les intérimaires, chair à canon de la crise sanitaire


 

Ils ont été congédiés dès le début de la crise du Covid-19, pourtant, il n’est pas rare de les voir rappelés au sein des effectifs réduits de ce début de reprise. Pression à l’emploi, difficulté d’accès au chômage, manque de protection sanitaire, la crise actuelle exacerbe leur précarité.

 

« On mangera moins mais on sera en bonne santé. » Sylvie* et son mari ne retourneront pas à FedEx ce mois-ci. Le décès d’un de leurs collègues intérimaires travaillant pour le géant du fret aérien à Roissy a fini de les convaincre. « C’est devenu n’importe quoi pour les salariés intérimaires. Dans certaines équipes, il y avait 35 intérimaires pour 15 salariés de FedEx. Déjà qu’en temps normal on nous donne des responsabilités qui ne devraient pas être les nôtres, là les intérimaires faisaient tout », détaille Sylvie, intérimaire de longue date. Employés à la journée, parfois appelés au dernier moment, leur flexibilité est appréciée par le groupe alors que de nombreux salariés se sont mis en arrêt. Sylvie ne croit pas aux mesures de sécurité mises en place dans l’entreprise. « Le pire c’est que les salariés intérimaires ne se déclarent pas malades », nous dit-elle, « ils ont trop peur de ne plus être rappelés avant un moment et ils ont besoin de cet argent. »

Alors que la reprise s’amorce et que de nombreuses boîtes sont confrontées à l’absence de leurs propres salariés, cette pratique se banalise. Certaines entreprises habituées à travailler avec des intérimaires, comme FedEx ou Amazon, les ont massivement rappelés, quitte à les exposer au danger sanitaire. La flexibilité de leur contrat est un atout pour les entreprises.

Pour cette raison, on trouve de nombreux intérimaires parmi les 3000 employés que le groupe La Poste a appelés le lundi 6 Avril afin de relancer progressivement son activité. Suite aux accords trouvés entre la direction et les organisations syndicales, les volontaires manquent au sein du groupe. La Poste a donc rappelé certains des salariés de sa filiale Médiapost, dont l’activité avait cessé au début de la crise, et les a intégrés sur le circuit classique de la maison mère en tant qu’intérimaires. « Ils redéploient l’activité via l’intérim ce qui permet aussi que ces médiapostiers ne puissent prétendre au statut de postier », précise Eddy Talbot, responsable fédéral de Sud PTT. Même scénario dans les bureaux de poste qui réouvrent progressivement : des intérimaires se retrouvent à l’accueil. Si les mesures de sécurité sanitaires sont rigoureuses, Eddy Talbot déplore que ce personnel non formé et découvrant son environnement de travail soit inévitablement plus exposé aux risques.

 

La peur d’être blacklisté

 

« Les intérimaires sont le baromètre de l’emploi, ils savent très bien qu’ils seront les premiers touchés par la récession à venir, ils sont donc obligés de prendre tout ce qui est à prendre en ce moment », explique Mathieu Maréchal, délégué syndical central FO chez Randstad.

Ainsi chez PSA Vesoul, bien que le nombre d’employés soit passé de 2600 à 1800 environ, 420 intérimaires travaillent toujours pour l’entreprise. « Bien sûr la plupart des intérimaires ont continué à travailler, précise Jean-Yves Poulet, délégué FO, ils ne sont pas idiots, ceux qui refusent ont peur d’être blacklistés. Il y a inévitablement une pression sur les intérimaires. » Une pression bien souvent suffisante pour oublier les 3 cas de coronavirus confirmés par la direction et les 128 cas suspects placés en quatorzaine sur le site depuis le début de l’épidémie.

De même, dans le programme A350 du site Airbus de Saint Nazaire, quatre salariés intérimaires ont été rappelés mardi 7 Avril alors qu’ils venaient d’apprendre que leur contrat ne serait pas renouvelé dans deux semaines comme convenu, conjoncture économique oblige. Francis*, salarié intérimaire du site, ne décolère pas : « Ils les rappellent là parce qu’ils sont à la ramasse et que leurs employés ne veulent pas tous venir, mais après ils vont les jeter ! ». Lui, dans tous les cas ne compte pas y remettre les pieds, tant pis pour le CDI intérim qu’il aurait pu décrocher, dégoûté par la gestion de la crise sanitaire, il considère irresponsable cette reprise dans des locaux où il est impossible de nettoyer l’ensemble des machines manipulées.

 

Face au Covid-19, l’intérimaire sujet à risque

 

Le fonctionnement même de l’intérim rend les intérimaires plus exposés au Covid-19. Sébastien Briou, membre du CSE d’une agence Randstad, indique avoir été souvent appelé par des chauffeurs intérimaires lui signalant l’absence de gel, de gants ou de masques dans les entreprises utilisatrices au début de la crise. Les organisations syndicales soulignent l’absence de soutien et d’encadrement de la part des agences d’intérim. « Celles-ci sont censées faire régulièrement des vérifications des postes qu’occupent leurs intérimaires. C’était déjà de moins en moins fait ces dernières années, et c’est devenu impossible avec le Covid-19 alors même que la situation l’impose », s’indigne Philippe Jutant, membre du CSE CGT Adecco Sud-Ouest. Ces mesures de vérification sont déléguées aux boîtes utilisatrices qui sont elles-mêmes en effectif réduit : « Il y a moins de monde pour accueillir les intérimaires, leur montrer tout ce qu’il y a à savoir, et donc les risques augmentent », alerte Jean-Luc Saussaye, membre du CSE CGT Adecco Nord.

« L’intérimaire se retrouve esseulé entre deux structures qui se rejettent les responsabilités », explique Dominique Glaymann, Professeur de sociologie au Centre Pierre Naville, Université d’Evry Paris Saclay. Il rappelle que l’intérim fait partie des secteurs où les accidents de travail sont les plus fréquents. « Les équipements ne sont pas toujours adaptés, les informations bien souvent partielles, l’intérimaire doit évoluer dans un environnement qu’il connaît mal. Il est exclu des logiques internes de solidarité et d’entraide. »

De plus, l’intérimaire manque d’interlocuteurs depuis la digitalisation croissante des agences d’intérim. Ainsi chez Adecco, « les tests de sécurités que doit faire tout travailleur avant de rentrer en mission se font à présent en ligne, facilitant la fraude »,  déplore Philippe Jutant. De quoi inquiéter en cette période de crise sanitaire. « Pourtant les grandes directions de l’intérim n’ont donné aucune consigne allant dans le sens de la protection des salariés, s’indigne Mathieu Maréchal, cela se fait au cas par cas, selon les différentes directions d’agence. »

 

Un chômage hypothétique

 

Malgré tous ces risques, la possibilité de travailler est vue comme un luxe pour de nombreux intérimaires à l’heure actuelle. Prism’emploi, syndicat patronal de l’intérim, annonçait la semaine dernière une activité en baisse de 60% dans ce secteur qui comptait plus de 2,5 millions de travailleurs avant la crise.

Or, les salariés intérimaires ne peuvent prétendre au chômage partiel que lorsque leur entreprise utilisatrice le propose à ses propres employés. La période de chômage partiel étant égale à la période de contrat, seuls les contrats longs permettent d’être indemnisé pendant la durée de la crise sanitaire. Ils sont malheureusement rares dans l’intérim. « Et encore faut-il que leur agence d’intérim joue le jeu », prévient Laëtitia Gomez, secrétaire générale adjointe de la CGT intérim.

Si ce n’est pas le cas, ils doivent s’en remettre à Pôle Emploi. Mais là aussi ça bloque : « Les intérimaires ne sont généralement pas inscrits à Pôle Emploi, ça ne rentre pas dans leurs pratiques », explique Ludovic de la CGT Select Intérim. Mêmes doutes chez Philippe Jutant qui estime qu’à Adecco, 10 000 à 15 000 personnes ne toucheront rien du tout, certains n’ayant pas les connexions nécessaires pour s’inscrire à Pôle Emploi. Evidemment, le durcissement des conditions d’accès au chômage prévu par la nouvelle réforme n’arrange rien.

« On attend chaque jour un décret du gouvernement qui a du mal à tomber, confie Mathieu Maréchal délégué syndical central FO chez Randstad, nous demandons que le chômage partiel soit attribué à tous les salariés intérimaires. »

Cette exigence semble d’autant plus légitime que certains intérimaires ont tout simplement vu leur contrat rompu par l’entreprise utilisatrice, faisant dépendre leur accès au chômage partiel du bon vouloir de l’agence d’intérim. « J’ai même été contacté par des chauffeurs intérimaires dont le contrat a été annulé au dernier moment, alors qu’ils avaient bloqué leur journée et qu’ils s’étaient déjà rendus sur le lieu de travail, avec les risques que ça implique ! », s’indigne Sébastien Briou, membre du CSE d’une agence Randstad. « L’intérimaire est toujours considéré comme un sous-salarié », résume Mathieu Maréchal. Et c’est d’autant plus vrai en temps de crise.

* Les prénoms ont été modifiés.