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Les intermittents du spectacle, dans le viseur de la réforme de l’assurance-chômage, veulent « amplifier » leur mobilisation


Les intermittents du spectacle, mobilisés depuis le 20 octobre à l’appel de la CGT Spectacle, comptent sur une journée forte de débrayages et de perturbations ce jeudi 26 octobre. L’objectif : peser sur les négociations autour de leur régime d’assurance-chômage, qui doivent aboutir dès vendredi 27 octobre. Le Medef et les organisations patronales, avec l’appuie de trois syndicats, imposent 15 % d’économies au régime spécifique des intermittents, laissant craindre une réduction des droits d’indemnisation. 

 

Ce jeudi 26 octobre, des débrayages d’une heure pour « organiser des AG, retarder les levers de rideaux et les tournages dans toute la France », à l’appel de la CGT Spectacle, agitent le monde des artistes et techniciens intermittents du spectacle. Demain, vendredi 27 octobre, une grande AG réunissant les professionnels du secteur est prévue à la Bourse du Travail à Paris.

Auparavant, tout au long de la semaine, des assemblées générales se sont tenues, de Nantes à Toulouse en passant par Grenoble, ou encore dans la petite commune bretonne de Rostronen. La CGT Spectacle a également occupé mardi un Pôle Emploi dans le 15ème arrondissement de Paris. Pourquoi cette mobilisation ? Parce que les intermittents du spectacle sont dans le viseur du Medef, dans le cadre de la réforme de l’assurance chômage.

Remontons le fil : le 1er août, une lettre de cadrage est envoyée par le gouvernement aux organisations patronales et syndicales en vue des négociations sur le régime général. Le ton est tonné : le gouvernement enjoint à une ponction de 12 milliards d’euros dans les caisses de l’Unédic sur quatre ans, essentiellement pour financer France Travail. Les organisations patronales et syndicales sont actuellement en négociation jusqu’au 15 novembre sur le régime général, sous l’égide de ce cadrage.

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Un délai de négociations trop court

 

Dès lors que des négociations sur le régime général de l’assurance-chômage se tiennent, la loi impose depuis 2015 que des négociations parallèles se tiennent aussi sur le régime spécial des intermittents, défini aux annexes 8 et 10 de la convention générale. Ces négociations se sont ouvertes début octobre. Pour celles-ci, La FESAC (Fédération des entreprises du spectacle vivant, de la musique, de l’audiovisuel et du cinéma), organisation patronale qui ne fait pas partie du MEDEF, est à la table des discussions.

Les organisations patronales et syndicales du secteur ont jusqu’à ce vendredi 27 octobre pour parvenir à un accord, selon le calendrier fixé par le gouvernement. D’où les mobilisations prévues ce jeudi et vendredi. Cette semaine est la dernière ligne droite : des sessions de négociation ont eu lieu mardi, ce jeudi, et une ultime séance pourra être tenue vendredi si besoin.

Un mois pour négocier. Ce sont là des délais « très contraints », regrette Denis Gravouil, chef opérateur à la tête de la CGT Spectacle depuis plus de dix ans, négociateur de longue date pour sa confédération du régime général de l’assurance-chômage et membre du bureau confédéral de la CGT depuis quelques mois. Ce constat fait l’unanimité. « Il n’est pas raisonnable de mener sereinement, en si peu de jours, une négociation de qualité, alors même qu’elle touche à la vie de nos entreprises et des salariés dans un délai aussi contraint que celui-ci », a ainsi protesté la FESAC dans un communiqué du 13 octobre

 

Une ponction imposée de 15 % sur l’assurance-chômage des intermittents

 

Les négociations sur l’assurance-chômage des intermittents sont contraintes par une seconde lettre de cadrage, sectorielle, signée le 28 septembre par les trois organisations patronales MEDEF, CPME, et U2P… Mais aussi par trois organisations syndicales : CFDT, CFTC, et CGC.

Les syndicats FO et CGT ont refusé de signer. Et pour cause : cette lettre de cadrage affirme que l’indemnisation des artistes et techniciens relevant du régime de l’intermittence doit « contribuer solidairement à l’amélioration de l’équilibre financier et au désendettement du régime d’assurance chômage ». Comprendre : il faut passer d’un ratio dépenses – recettes « de 3,45 en 2022 à 2,93 à l’horizon fin 2026 », impose la lettre de cadrage. Soit -15 % : une ponction similaire à ce qui est demandé au niveau général.

Communiquant cet été son opposition à la ponction de 12 milliards d’euros dans les caisses de l’Unedic, le MEDEF « est en fait est revenu à ses vieux démons en s’en prenant aux intermittents », souffle Denis Gravouil. Même la FESAC est critique de cette lettre de cadrage, dont la trajectoire financière pour 2026 « a été établie par analogie avec la trajectoire financière appliquée au régime général, alors même que les deux régimes ont des objets et fonctionnements très différents ».

 

Argument « fallacieux »

 

Dès le 20 octobre, des manifestations ont été organisées, à l’appel de la CGT Spectacle, pour faire pression sur les négociateurs. À Marseille ce jour-là, les manifestants se sont rassemblés devant le siège du Medef, puis ont occupé une agence Pôle Emploi à la Belle de Mai. À Paris, ils sont plusieurs centaines à avoir défilé dans les rues jusque devant le ministère du Travail. 

 

Le principal argument du Medef et des autres signataires de la lettre de cadrage est le suivant : « alors que le régime général d’assurance-chômage a produit en 2022 un excédent de 4,3 milliards d’euros, le régime spécifique des intermittents du spectacle reste déficitaire de plus de 953 millions d’euros ». Cet argument, justifiant à chaque réforme les coupes budgétaires, reste « fallacieux » selon Denis Gravouil.

« C’est comme si on présentait les cotisations des chômeurs comme devant couvrir les dépenses faites pour eux. Évidemment que cela ne les recouvre pas ! Quand il y avait un régime des intérimaires, les recettes ne couvraient pas non plus les dépenses, mais ça ne dérangeait pas le Medef… », raille-t-il. Pour rappel, les cotisations sociales des travailleurs et des employeurs relevant du régime de l’intermittence sont déjà plus élevées qu’ailleurs, depuis leur doublement en 2002 (pour aider à combler le déficit existant à l’époque). 

 

« Un intermittent ne coûte pas plus cher qu’un chômeur »

 

En outre, « nous venons de recevoir de nouveaux chiffres confirmés par l’UNEDIC : les intermittents ne représentent que 5 % des dépenses en termes d’indemnisation, et 5 % des effectifs d’indemnisés. Un intermittent ne coûte donc pas plus cher qu’un chômeur », insiste Denis Gravouil.

En 2022, 304 000 salariés ont travaillé au moins une heure pour un ou plusieurs employeurs relevant de ces fameuses annexes 8 et 10. Ces dernières statistiques concernant les intermittents viennent d’être publiés par Pôle Emploi mi-septembre. « Les hausses de l’activité en 2022 permettent de rattraper, voire de dépasser, les niveaux d’activité de 2019, avant la crise sanitaire  , note Pôle Emploi dans sa publication.

La crise sanitaire, justement, est la grande absente des calculs présentés dans la lettre de cadrage. Le coût du régime de l’intermittence « ne peut pas être mis aux comptes de l’UNEDIC comme si la crise sanitaire n’avait jamais existé, après avoir fermé à plusieurs reprises les salles de spectacles sur décision administrative de l’État », insiste la FESAC dans son communiqué. 

La hausse d’activité observée par Pôle Emploi 2022 est due à « un effet “rattrapage” » avec « une forte concentration des réadmissions », présente le comité d’experts guidant les négociations en cours. Ce comité d’experts a établi un bilan de l’accord du 28 avril 2016, dernier accord en date qui régit l’assurance-chômage des intermittents.

Ce bilan, réalisé en un temps extrêmement contraint, n’a été communiqué que la semaine dernière aux organisations syndicales à la table des négociations. Les experts eux-mêmes reconnaissent que tirer des conclusions est « complexe, en raison de la crise sanitaire et de l’année blanche, qui sont intervenues au moment où l’accord de 2016 trouvait sa pleine application, et qui perturbent les chiffres y compris sur l’année 2022 ». 

 

« Il faudra amplifier la mobilisation »

 

La CGT Spectacle espère bien aboutir à un accord pour le 27 octobre. Son objectif premier : « pérenniser l’accord de 2016 », obtenir des améliorations sur…. mais aussi « reprendre l’accord de 2019 », expose Denis Gravouil. L’accord de 2019 ? Celui-ci est moins connu, et pour cause : il n’est jamais entré en vigueur malgré sa signature il y a quatre ans. 

Celui-ci constitue en fait un avenant à la convention de 2016, et il est centré sur la lutte contre le travail illégal, fléau majeur dans le secteur. Sauf qu’entre les années Covid et des lenteurs entre les ministères du Travail et de la Culture, qui se sont tous deux renvoyés la balle, cet accord n’a encore jamais été mis en œuvre par décret gouvernemental. Après des années de blocages, une réunion convoquant les différentes organisations syndicales a été fixée au 14 novembre, pour avancer sur l’application de l’accord de 2019.

D’ici là, peut-être que les négociations sur le régime assurance-chômage de l’intermittence auront abouti à un accord ce vendredi 27 octobre. Si tel est le cas, cet accord devra être repris tel quel au niveau interprofessionnel. Mais à une condition, et pas des moindres : les négociateurs au niveau interprofessionnel doivent confirmer que l’accord respecte la lettre de cadrage initial. S’ils l’estiment inadéquat ; ou si les négociations n’aboutissent pas le 27 ; alors seul le niveau interprofessionnel reprendra la main.

Dans tous les cas, « la lutte ne s’arrêtera pas le 27 octobre », rappelle la CGT Spectacle dans son communiqué de la mi-octobre. « Même si nous parvenons à un accord au niveau du spectacle, il nous faudra ensuite le défendre ». Pour espérer que les organisations patronales et syndicales au niveau interprofessionnel intègre bel et bien l’accord dans la convention du régime général, « il faudra amplifier la mobilisation » conclut le syndicat.