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A Paris, professeurs et élèves se mobilisent pour défendre leurs lycées menacés de fermeture

 

À Paris, neuf lycées sont menacés de fermeture. Objectif pour la Région Île-de-France : économiser 300 000€ sur le dos des élèves. Le mardi 8 novembre, professeurs et élèves se sont rassemblés devant le Conseil Régional, pour protester contre cette mesure austéritaire. Beaucoup craignent que la scolarité des élèves n’en pâtisse.

 

« Vous fermez nos filières, vous nous mettez en colère ». Ce mardi matin, élèves et professeurs sont venus en nombre pour manifester leur indignation suite à l’annonce de la fermeture de sept lycées parisiens d’ici à 2023 et deux autres d’ici à 2024. La majorité de ces établissements sont des lycées professionnels.

Pour François, professeur de commerce au lycée Suzanne Valandon (XVIIIᵉ arrondissement), ces fermetures vont impacter directement la réussite scolaire. « Ce sont des élèves qui sont parfois déjà en grave difficulté. Cela va augmenter le décrochage », regrette-t-il. Dans son lycée, les classes comportent entre 17 et 20 élèves, contre plus de 30 dans les établissements dans lesquels les élèves seront réaffectés. En outre, ce faible effectif permet à chacun d’avoir accès à un ordinateur, un outil essentiel à leurs études, mais auxquels ils n’auront peut-être pas accès s’ils se retrouvent dans des classes déjà surchargées et aux moyens limités. « La région a distribué des ordinateurs à chaque jeune, mais les réseaux Wifi des lycées sont insuffisants pour que cela fonctionne correctement », se désespère-t-il.

 

Les économies avant tout

 

Des dépenses seront-elles au moins engagées pour améliorer ce réseau Internet ? Rien n’est moins sûr : avec ces suppressions, la Région Île-de-France compte avant tout faire des économies. Ces dernières pourraient s’élever à 300 000€.

Dans un rapport paru en novembre 2021, la Chambre Régionale des Comptes (CRC) recommandait ainsi d’engager « une réflexion tendant à restructurer la carte des lycées et à en fermer plusieurs », afin de permettre à la Région de dépenser moins d’argent dans l’entretien des établissements scolaires.

« Une telle démarche serait d’autant plus justifiée à Paris que le territoire bénéficie […] d’un réseau très dense de transports en commun facilitant le déplacement des élèves », argumentait même la CRC. Les élèves des lycées Suzanne Valandon ou Armand Carrel apprécieront le conseil : leurs nouveaux lycées pourrait se situer de l’autre côté de la capitale, à 45 minutes de trajet en transports en commun de leur ancien établissement.

 

Des spécialités menacées

 

Pour Rania, élève de première au lycée George Brassens (XIXᵉ arrondissement), la décision est incompréhensible. Son lycée est le seul de la capitale à proposer un double cursus artistique, permettant aux élèves de bénéficier d’horaires aménagés pour allier leur passion artistique et des cours classiques. « J’ai dû travailler très très dur pour intégrer ce lycée. J’ai été refusé ailleurs parce que je venais du 93, d’Aubervilliers, souligne-t-elle. J’ai dû me battre, mais découvrir Paris, c’est vraiment autre chose ». Si elle doit changer de lycée l’année prochaine, elle craint que ces horaires aménagés ne soient pas maintenus.

« On se coupe d’un enseignement de qualité dans des classes de petite taille », regrette Emmanuel, père d’une fille scolarisée dans ce lycée. « L’annonce de cette nouvelle a été très violent, souligne Véronique, une autre mère d’élève. Ma fille a fait de l’eczéma du jour au lendemain quand elle a appris que son lycée allait fermer ».

Au lycée Brassaï (XVᵉ arrondissement), les élèves sont également révoltés. Devant les grilles du Conseil Régional, une ancienne élève prend la parole : « Ce lycée, c’était vraiment ma famille. Les professeurs m’ont vraiment aidé », raconte-t-elle d’une voix émue. Il s’agit du seul établissement de Paris proposant un bac professionnel photographie. « Il y en a quelques-uns dans la région, mais la plupart sont privés et ça coûte trop cher », explique Charlotte, une élève de première.

« Si notre lycée est supprimé, on craint d’échouer au bac, assure Jonathan, un de ses camarades. Il manque certains types de salles nécessaires pour la photographie dans le lycée où ils vont nous envoyer et certains professeurs ne vont peut-être pas pouvoir nous suivre, car il s’agit de personnes diplômées en photographie et non de professeurs classiques ». Chaque jour, celui qui se verrait bien photojournaliste ou photographe de guerre, fait 1 h de trajet pour venir étudier. Un investissement de temps qui en vaut la peine : « c’est un lycée à taille humaine, c’est plus facile d’avoir un esprit de travail », assure-t-il.

 

La polyvalence, une priorité pour qui ?

 

Dans son rapport, la CRC justifie la suppression des lycées parisiens de petite taille en pointant leur « carte de formation peu développée », par opposition aux plus grands lycées où « la pluralité des filières […] facilite les changements de parcours de formation au sein d’un même établissement, réduisant ainsi les risques de décrochage », écrit-elle. La fermeture de lycées serait donc justifiée par des motivations pédagogiques ? L’argument paraît osé.

La Région, elle, ne s’encombre pas de telles préoccupations. Au lycée Louis Armand (XVᵉ arrondissement), qui se prépare à accueillir les élèves du lycée Brassaï, la filière générale va peu à peu être supprimée, remettant en cause la polyvalence du lycée. « On a une mixité sociale et scolaire, c’est ça la richesse de notre lycée, explique Sylvia, professeur d’histoire-géographie. Cela permet par exemple à des élèves qui sont en filière professionnelle de se réorienter vers une filière générale, et même à nous, professeurs, de pouvoir travailler avec nos collègues de la filière professionnelle ».

Déjà, la future réforme de la voie professionnelle risque de réduire le nombre d’heures d’enseignements dispensées aux élèves au profit d’un plus grand nombre de semaines de stages, rendant plus difficile les réorientations. Au lycée Louis Armand, ce ne sera tout simplement plus possible de se réorienter en restant dans le même lycée.

Alors que la décision de fermeture a été entérinée mardi matin, à la quasi-unanimité, lors du Comité Inter-académique de l’Éducation Nationale, un autre rassemblement a été appelé le mercredi 16 novembre. Professeurs et élèves sont déterminés à ne rien lâcher. « Nous, dans notre lycée, on est obstinés, alors, on ne lâchera rien » promet Rania.