Que restera-t-il de la tentative d’attaque de l’extrême droite qui s’est déroulée le 25 novembre dans le quartier de la Monnaie à Romans-sur-Isère ? Des vidéos de militants fascistes humiliés ? Ou la preuve que l’extrême droite vient de franchir un nouveau cap en termes d’organisation et de violence ? Un peu des deux, sans doute. Car si l’attaque de ce quartier populaire a rapidement échoué, elle n’en demeure pas moins un signal de montée en puissance du fantasme de « choc des civilisations » porté par l’extrême droite, et banalisé par des relais politiques de plus en plus nombreux.
Romans-sur-Isère, dans la nuit du samedi 25 au dimanche 26 novembre. Sur le portable de Maxime L., un message s’affiche : « Tournez pas bon sang. Tapez pas de bougnoules. Cachez-vous. Ordre de gros lardon. » Quelques instants plus tôt, le jeune homme défilait fièrement aux abords du quartier de la Monnaie, à Romans-sur-Isère, lançant des slogans racistes en compagnie de 80 de ses camarades néo-nazis, pour la plupart armés.
Après une confrontation désastreuse avec les CRS, le voilà isolé de son groupe, tentant vaguement de répondre aux questions des habitants qui ont confisqué son téléphone et le filment. Non, il n’est pas là pour en découdre, jure-t-il. Il « rejoint [ses] potes ». Malheureusement, ses messages le trahissent : il est bien là pour agresser des « bougnoules », son équipe est en déroute et son chef se surnomme… « gros lardon ».
La débâcle de l’extrême droite à Romans-sur-Isère
Bien entendu, ce n’est pas un hasard si Maxime L, membre de la Division Martel, groupe de rue bien connu des antifascistes parisiens, se retrouve ce samedi soir à Romans-sur-Isère. Depuis le meurtre de Thomas, jeune homme de 16 ans tué lors d’un bal à Crépol quelques jours plus tôt, ce quartier populaire est désigné par l’extrême droite comme étant celui de l’assassin.
Bien que l’enquête soit toujours en cours et que neuf personnes aient été mises en examen pour des motifs tels que « meurtre en bande organisée » et « tentatives de meurtre », l’extrême droite a déjà choisi sa cible : « l’immigration », « les cités ». En guise de réponse, des militants issus de divers groupuscules violents (identifiés par Streetpress) se rassemblent dans la petite ville, samedi 25 novembre aux alentours de 18h, et tentent d’investir le quartier. Ils sont bloqués par les CRS. S’ensuivent des affrontements et la déroute des agresseurs.
Sur les réseaux sociaux, voilà ce qu’on retient au lendemain de l’attaque de Romans-sur-Isère : des assaillants captifs et couards, 17 des leurs en garde à vue, deux blessés, et la honte. « Pour les fachos, c’est dramatique ! Ils voulaient attaquer une cité et ils sont repartis en slip. Ils se retrouvent à 80 alors qu’ils ont lancé un appel dans toute la France, c’est bien la preuve qu’ils ne représentent personne. Bilan de leur attaque : c’est #groslardon qui se retrouve en tendance », estime un militant antifasciste mayennais, qui connaît bien certains des membres du commando, venus de son coin.
L’action aura aussi un bilan judiciaire, puisque six militants ont été condamnés à des peines de six à dix mois de prison ferme.
Attaquer une cité : le fantasme de l’extrême droite
Si l’attaque du quartier de la Monnaie est un échec militairement, elle est cependant un signal de plus de la montée en puissance de l’extrême droite, documentée depuis quelques années déjà. Depuis les 20 dernières années, hormis quelques préparations d’attentats, elle s’en tenait à des attaques de locaux, des batailles rangées avec les antifascistes, des agressions de militants et des agressions racistes.
La confrontation physique avec la jeunesse des quartiers populaires avait beau être un fantasme persistant (voir les appels à former des « milices anti-casseurs » pendant les révoltes urbaines qui ont suivi la mort de Nahel), jamais, durant ces 20 dernières années, des militants ne s’étaient coordonnés nationalement pour commettre des agressions dans un quartier populaire. Ainsi, même s’ils se sont heurtés au mur du réel – policier avant tout – un pallier a été franchi lors de l’attaque de Romans-sur-Isère. Et le fantasme raciste de la confrontation avec une population d’origine immigrée a été à demi réalisé.
« A Romans-sur-Isère, on retrouve toute une galaxie de groupuscules dont nous dénonçons les actions depuis des années. C’est parce qu’ils ont pu faire des actions ensemble, se regrouper dans des locaux et agresser des militants et des personnes racisées dans les rues qu’ils en arrivent aujourd’hui à attaquer un quartier tout entier », explique Raphaël Arnault, porte-parole de la Jeune Garde.
De fait, parmi les militants présents dans la Drôme, on retrouve la Division Martel (groupement de fait que Gérald Darmanin veut désormais dissoudre), les bisontins de Vandal Besak, ou encore le groupe mayennais Meduana Noctua. La plupart sont régulièrement identifiés lors d’actions de rue, documentées pendant 15 mois par Rapports de Force, juste avant les dernières présidentielles.
L’attaque du quartier de la Monnaie aurait d’ailleurs pu être bien plus destructrice qu’elle ne l’a été. Selon une information de France Info, certains des assaillants possédaient « les noms complets des principaux suspects du meurtre de Thomas, leurs adresses, leurs numéros de téléphone, ainsi que les prénoms et noms des membres de leur famille habitant le quartier de la Monnaie. »
« Allumer la mèche »
Malgré la débâcle et l’humiliation, les membres du commando de Romans-sur-Isère comptent profiter de la visibilité de leur action pour passer pour les courageux de service. Depuis plusieurs jours, ils adaptent donc leurs discours à la situation. Un de leurs éléments de langage transparaît au fur et à mesure des visuels et vidéos postés sur leurs canaux Telegram : il n’y a pas eu de défaite, mais un sacrifice mûrement réfléchi.
« Nous avions tout à perdre, mais nous n’avions pas d’autre choix que d’allumer la mèche », déclare un auto-proclamé meneur de l’expédition. Par ces déclarations, les militants se rêvent en première pierre de l’édifice accélérationniste, une idéologie complotiste qui soutient qu’une guerre civile entre « Français de souche » et « population d’origine étrangère » est inéluctable et qu’il vaut mieux la déclencher avant que la proportion d’immigrés ne soit trop importante.
L’objectif est triple : renforcer une fois encore la thèse du choc des civilisations, susciter de nouvelles actions, ou encore recruter de nouveaux membres. Ainsi, depuis plusieurs jours, des visuels appelant les militants isolés à « rejoindre des groupes locaux » sont apparus sur leurs réseaux sociaux.
1000 manifestants d’extrême droite : « ici, c’est Reconquête qui fait le lien entre les pro-Zemmour, les néo-nazis et les catholiques intégristes »
La descente de Romans-sur-Isère ouvre-t-elle une nouvelle séquence de manifestations pour l’extrême droite ? Bien malin qui pourra le dire. Dans une note consultée par la presse, les renseignements territoriaux se disent inquiets.
En attendant, plus d’une dizaine de manifestations ont déjà eu lieu. Une fois passée la marche blanche pour Thomas, qui a réuni 6000 personnes à Crépol, des militants d’extrême droite ont organisé des rassemblements à Paris, Albi, Toulouse, Bordeaux, Annecy, Colmar, Rennes, Aix-en-Provence, Reims, Laval, Grenoble, Lyon et Romans-sur-Isère. Au total, un millier de personnes ont été comptabilisées par les renseignements.
Ces manifestations n’étaient toutefois pas de même nature que celle de Romans-sur-Isère. La plupart du temps, elles ont agrégé quelques dizaines de personnes, avec prise de parole et photos pour les réseaux sociaux.
Parfois, elles ont rassemblé plus d’une centaine de manifestants dans des cortèges mobiles, comme à Laval ou à Annecy. « La ville a servi de point de chute à toute l’extrême droite savoyarde. La manifestation était déclarée en préfecture. Ici, c’est Reconquête qui fait le lien entre les pro-Zemmour, les néo-nazis et les catholiques intégristes de Civitas. La manifestation est restée cantonnée au centre-ville et s’est rapidement dispersée à la fin. Mais un journaliste a tout de même été agressé », raconte une militante antifasciste annécienne.
D’autres manifestations ont pris l’aspect de descentes nocturnes à visages couverts comme à Reims, à Rennes ou encore à Lyon dans la nuit du lundi 27 au mardi 28. Dans cette ville connue pour la forte activité de ses groupuscules d’extrême droite, c’est le collectif Les Remparts, recomposition de Génération Identitaire, qui a appelé à manifester. D’autres manifestations sont prévues dans la semaine, comme à Lille ou à Bordeaux.
Changement de discours
L’attaque de Romans-sur-Isère consacre en outre une victoire de l’extrême droite sur le plan du discours politique. La démonstration la plus éclatante reste l’intervention d’Eric Ciotti qui a d’abord refusé, ce week-end, de condamner l’attaque de Romans-sur-Isère… avant de s’y résigner à demi-mot lundi considérant que « des idiots » avaient « manifesté ». Le ténor des Républicains a toutefois refusé de « mettre sur le même plan » la mort de Thomas et le « rassemblement d’extrême droite », comme si une quelconque comparaison avait un sens.
« Il y a quelques années des dirigeants de droite se seraient sentis obligés de condamner une attaque de néonazis armés, c’était la moindre des choses. La grille de lecture a changé, la thèse du choc des civilisations est désormais admise », s’indigne Raphaël Arnault.
Certains éléments de langage, popularisés par le RN et Reconquête, sont même en partie repris par le gouvernement. En déplacement à Crépol ce lundi 27 novembre, Olivier Véran a avoué craindre « un basculement de la société » et ajouté que le meurtre de Thomas n’était « ni une bagarre, ni une rixe, ni un fait divers ».
Les ténors du Rassemblement national et de Reconquête ne s’échinent même plus à passer sur tous les plateaux télé : leur travail a déjà payé et leurs mots sont dans toutes les bouches. En voie de dédiabolisation, Jordan Bardella s’est même offert le luxe de condamner l’attaque de Romans-sur-Isère.
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