Facilitation de l’enfermement dans les CRA, comparutions immédiates pour les 16-18 ans, limitation des exceptions en matière de justice pour mineur : lors de son discours de politique générale, ce 1er octobre 2024, Michel Barnier a exprimé sa volonté d’enfermer toujours plus ceux qu’il ne supporte pas de voir.
Ne surtout pas donner l’impression d’être laxiste quand le RN vous attend au tournant. Torse bombé, dos droit “de montagnard”, comme aiment à le souligner les médias, Michel Barnier s’est livré, ce 1er octobre 2024, à l’exercice canonique de la déclaration de politique générale. Outre ses propos portant sur l’austérité à venir (voir notre article), le Premier ministre a fait des annonces concernant l’immigration et la sécurité, marottes de la droite et de l’extrême droite. Parmi elles, plusieurs laissent transparaître une obsession : la volonté d’enfermer les personnes qu’il juge indésirables, en premier lieu, les mineurs délinquants et les immigrés.
Des comparutions immédiates pour les mineurs
“Nous reprendrons la discussion sur la création d’une procédure de comparution immédiate pour les mineurs délinquants de plus de 16 ans déjà connus de la justice et poursuivis pour des actes graves d’atteinte à l’intégrité physique des personnes”, a déclaré le Premier ministre lors de son discours, poursuivant ainsi le chantier ouvert sous son prédécesseur, Gabriel Attal.
Pour l’heure, la comparution immédiate est un dispositif réservé aux seuls adultes. Il est très défavorable pour le prévenu puisqu’il multiplie par huit la probabilité d’être incarcéré par rapport aux autres modes de jugement. “L’appliquer aux mineurs de 16 à 18 ans, c’est un retour sur l’ordonnance de février 1945, qui fonde la spécificité de la justice des mineurs“, note Josselin Valdenaire, secrétaire général de la CGT PJJ. A l’époque, le Conseil National de la Résistance actait la primauté de l’éducatif sur le répressif en matière de justice des mineurs. “On voit que cette tendance est en train de s’inverser alors que les chiffres ne montrent ni une hausse de la délinquance de la jeunesse, ni une justice des mineurs trop laxiste“, commente le cégétiste.
L’augmentation du recours aux comparutions immédiates prolongerait la méthode utilisée pendant les révoltes urbaines de l’été 2023 (mort de Nahel) : vider la rue pour remplir les prisons. A l’époque, 60% des prévenus sont passés par des procédures de comparution immédiate. Un chiffre particulièrement élevé puisque la moyenne de l’année 2021 était de 11%. Le reste avait été confié aux juges pour enfants – 25% – ou à des juges d’instruction – 5%. Il y a fort à parier que le taux de comparutions immédiates aurait bien été plus élevé encore si le tribunal correctionnel avait pu juger les mineurs entre 16 et 18 ans, rendant les procès toujours plus expéditifs.
Restreindre les exceptions pour la justice des mineurs
Autre mesure proposée par le Premier ministre : l’atténuation de l’excuse de minorité, qui diminue de moitié les peines pour les mineurs par rapport aux majeurs. Là encore, Gabriel Attal avait déjà manifesté sa volonté de réfléchir à cette mesure, portée de longue date par la droite et le RN. “Le fait d’appliquer aux mineurs de 16 à 18 ans la même peine qu’à un adulte, alors qu’ils devraient bénéficier de l’excuse de minorité, est aujourd’hui une exception. Un magistrat qui fait ce choix doit le justifier. Le projet du gouvernement consiste à inverser ce principe“, décrypte Josselin Valdenaire. Et le syndicaliste de poursuivre : “On sous-entend que la justice des mineurs serait trop laxiste et que la seule solution est la prison. Une vision qui met totalement sous le tapis le travail éducatif au profit du répressif“. Or la justice des mineurs est loin d’être “laxiste“. Le taux de poursuite des mineurs est supérieur à 90% et leur durée de détention ne fait que s’accroître, passant de 5,5 mois en 2010 à 9 mois en 2020, rappelle le collectif Justice des enfants. Enfin, pour pouvoir assumer une politique sécuritaire qui enferme toujours plus, Michel Barnier a également annoncé sa volonté de créer de nouvelles places de prison et des “établissements pour courtes peines”, affaire à suivre.
“Lutter contre le racisme”…
Autre mesure sécuritaire, cette fois teintée de “racisme”, soulignent des syndicats et des associations d’aide aux migrants : Michel Barnier souhaite “faciliter la prolongation exceptionnelle” de la rétention des étrangers sous OQTF (Obligation de quitter le territoire français). Comprendre : allonger la durée moyenne d’enfermement dans les CRA (Centres de rétention administratifs). Actuellement un juge des libertés est consulté à plusieurs moments pour prolonger la rétention d’un étranger en situation irrégulière dans un CRA. Une première fois si aucune expulsion n’a eu lieu au bout de 48 heures, puis une deuxième et une troisième fois aux 30eme et au 60eme jours de rétention. Au-delà de ces deux mois, deux prolongations supplémentaires de 15 jours sont à nouveau soumises à l’approbation du juge, portant la durée maximale de la rétention administrative à 90 jours (210 dans de très rares cas d’activités terroristes).
Enfermer ces étrangers qu’on ne veut pas voir
“L’idée de Michel Barnier, c’est peut-être de quasi automatiser la prolongation de la détention pour ces deux dernières périodes de quinze jours“, anticipe Paul Chiron, chargé de l’action juridique à la Cimade. Il continue : “Ce serait une mesure démagogique, clairement faite pour flatter l’extrême droite, dans la continuité de la polémique autour du meurtre de Philippine. En réalité, il n’y a que 3% des personnes qui sont enfermées au-delà de 75 jours qui sont finalement expulsées, cela a très peu d’efficacité. En revanche cela allonge la souffrance des personnes qui subissent cet enfermement. Or, passer 3 mois enfermé c’est physiquement et psychologiquement éprouvant. On n’est pas en train de créer une rétention administrative pour expulser des personnes mais plus une mise à l’écart de personnes qu’on ne souhaite pas voir dans notre société“. La détention administrative est passée de 7 jours en 1984 à 90 jours aujourd’hui. “Et ça ne m’étonnerait pas qu’on l’allonge encore“, estime Paul Chiron.
Crédit photo : Serge D’ignazio
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