Nordine

Nordine, criblé de balles par la police à Stains, condamné à deux ans de prison


Touché par sept balles de la police en août 2021, Nordine a été condamné en appel le 29 novembre 2022 à deux ans de prison pour tentative d’homicide sur personnes dépositaires de l’autorité publique. Il dénonce l’inversion de la culpabilité dans cette affaire de violence policière et reste déterminé à poursuivre le combat judiciaire.

 

Comité de soutien, militants antiracistes, gilets jaunes, plusieurs dizaines de personnes attendaient Nordine à la sortie du délibéré au palais de justice de Paris ce mardi 29 novembre. Quatre ans de prison avaient été requis par l’avocate générale lors du procès en appel en octobre dernier, jugé pour refus d’obtempérer et violences avec arme par destination. En sortant de la salle sous des applaudissements, Nordine annonce le verdict : « J’ai été condamné à deux ans de prison aménageables, je ne vais pas en prison immédiatement. Mais c’est toujours une condamnation alors que je suis réellement une victime. Bien sûr je continuerai mon combat », lance-t-il.

Raphaël Kempf, son avocat, s’est dit « heureux qu’il ne retourne pas en prison », mais regrette « qu’il ait été reconnu coupable alors qu’il a subi des violences extrêmement graves de la part de la police ». Sa chemise blanche cache en effet de graves blessures :  un bras qui a failli être amputé, des fractures osseuses, des éclats de balles à la cuisse, à la main, au thorax.

 

« J’ai de la chance d’être en vie »

 

Dans la nuit du 15 au 16 août 2021, Nordine et sa compagne Merryl sont brusquement arrêtés alors qu’ils roulent dans une rue de Stains en Seine-Saint-Denis. Trois agents de la BAC sans insignes ni signes distinctifs tentent d’immobiliser leur véhicule. Nordine prend peur, recule, puis avance, tandis qu’un des policiers est accroché à sa voiture. Les deux autres ouvrent le feu. Nordine est gravement blessé par sept balles. La huitième transperce l’omoplate gauche de Merryl. Enceinte d’un mois, elle perdra l’enfant.

En repensant à cette nuit gravée à jamais dans sa mémoire, Nordine rappelle cette évidence : « J’ai cette chance d’être en vie. Il faut que je continue à vivre et que je profite de cette chance que d’autres n’ont pas eue.  Combien de fois j’ai assisté à des marches avec des gens qui ont perdu des frères, des sœurs, des mères, des enfants. Je suis heureux que ma mère n’ait pas à pleurer mon décès, c’est tout ce qui importe ».

 

Le combat continue pour Nordine

 

Ni gagné ni perdu, le combat de Nordine pourrait se poursuivre en cassation. « On a toujours confiance en la justice, ils [les policiers] ne sont pas au-dessus des lois. Ils se croient au-dessus des lois, mais ne le seront jamais », clame-t-il.  Car son histoire, loin d’être un fait divers, s’ajoute à la longue liste de personnes tuées par la police lors de contrôles. En juin, Rayana, 20 ans, passagère d’une voiture, est morte d’une balle dans la tête lors d’un contrôle alors que le conducteur aurait redémarré en direction d’un policier. Le 14 octobre, Amine, 32 ans, est pris en chasse par une voiture de police pour défaut d’assurance. Arrêté, puis entouré par deux policiers, le conducteur aurait lui aussi redémarré sa voiture. Les policiers tirent, une balle touche son cœur, Amine est décédé quelques minutes plus tard. Au total, douze personnes sont mortes cette année dans le cadre d’un refus d’obtempérer, un chiffre qui n’a jamais été aussi haut.  Tous ces cas posent des questions sur l’usage d’arme à feu par les forces de l’ordre et en particulier les notions “d’absolue nécessité” et de “menace”, qui peuvent être soumise à interprétation.

Nordine souhaite justement que la mobilisation autour de son affaire puisse éveiller les consciences : « On ne peut pas tuer quelqu’un sur un refus d’obtempérer. Un refus d’obtempérer c’est un délit routier, tuer des gens pour ça c’est énorme». Il attend aussi un autre procès où cette fois, il sera sur le banc des victimes. Deux policiers ont été mis en examen pour violence volontaire ayant entraîné une ITT supérieure à 8 jours par personne dépositaire de l’autorité publique et avec usage de leur arme de service. L’instruction étant en cours, aucune date de procès n’est pour l’instant connue. Ce procès, s’il a lui, permettra de qualifier si les policier ont tiré dans le cadre de la légitime défense ou non.

 

« Pas de justice pas de paix »

 

Pour réaliser l’ampleur du soutien apporté à Nordine et Merryl, il fallait tendre l’oreille ce mardi 29 novembre dans le palais de justice de Paris. « Pas de justice pas de paix ! », ont scandés les militants à plusieurs reprises, venant rompre avec la quiétude et la froideur des lieux.

« Au début, Nordine était un peu tout seul. Désormais il est entouré de Gilets jaunes, de collectifs antiracistes, de collectifs de lutte contre les violences policières, d’autres qui sont venus spontanément, énumère Fatiha, qui a monté un comité de soutien pour Nordine et Merryl.  Une militante gilet jaune et membre du collectif «Les mutilé.e.s pour l’exemple », qui rassemble celles et ceux qui ont été blessés par la police pendant le mouvement, a tenu à faire le déplacement : « Son histoire nous touche et c’est normal d’être solidaire, c’est une force pour eux et pour nous ».

Fatiha, qui s’improvise parfois en relationniste de presse, souhaite porter l’histoire de Nordine et Merryl au-delà des salles d’audience ou des rubriques de faits divers des journaux : « On essaie de faire en sorte que la société civile accompagne l’histoire de Nordine ». Elle voudrait aussi que les médias cessent de criminaliser les victimes et de se faire le relais de la préfecture : « Nordine s’est retrouvé l’agresseur dans une affaire où il a failli perdre la vie. On a eu au départ une communication mensongère de la police », soutient-elle, faisant référence à une vidéo publiée sur Twitter par la préfecture au lendemain des faits. En une minute, une porte-parole de la police propose un «décryptage» des événements, dédouanant au passage les policiers. Le site Arrêt sur images avait d’ailleurs noté l’utilisation quasi identique des éléments de langage de la préfecture dans certains articles publiés après les faits. Il faudra attendre plus d’un an pour obtenir un éclairage nouveau sur ce qu’il s’est réellement passé durant cette nuit du 15 aout 2021, grâce à une reconstitution en 3D réalisée par l’ONG Index. « La version de la préfecture a été démentie par Index, qui a pu renverser le cours de l’histoire et faire en sorte que les médias s’interrogent d’une autre manière sur l’affaire », commente Fatiha.

 

Crédit photo : Simon Mauvieux