marche contre le racisme et la loi Darmanin décembre 2023

« On n’a pas retenu les leçons de l’histoire » : 40 ans après la marche pour l’égalité de 1983, le besoin urgent d’un sursaut collectif face au racisme


Près de 5000 personnes ont marché dans les rues de Paris ce dimanche 3 décembre, à l’appel du collectif Uni.e.s contre l’immigration jetable (UCIJ), 40 ans après l’arrivé de la marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983. Plus qu’un hommage, cette manifestation avait pour but d’inscrire le mouvement contre la prochaine loi immigration dans la continuité du combat initié par les marcheurs il y a 40 ans. Reportage photo dans une manifestation combative, mais profondément marquée par les régressions de ces 40 dernières années : un racisme toujours plus décomplexé et une extrême droite violente omniprésente, dans la rue, dans les médias et à l’Assemblée nationale.

 

Dans le cortège, l’heure n’est pas à la fête. Face à une loi immigration aux forts relents xénophobe qui sera débattue à l’Assemblée nationale à partir du 11 décembre et au racisme décomplexé qui inonde les institutions et les médias, pas question de souffler sur les 40 bougies de la marche de 1983. Il est plutôt question d’allumer le feu d’une riposte populaire. En tête de cortège, les anciens marcheurs et marcheuses ne cachent pas leur inquiétude en faisant le constat amer de l’échec de la lutte antiraciste initiée après 1983, incapable d’avoir pu empêcher les idées d’extrême droite et le racisme de s’installer durablement dans le paysage politique, médiatique et dans la rue.

Plusieurs centaines d’organisations politiques, syndicales et collectives ont signé l’appel de l’UCIJ, avec la volonté de bâtir un cadre unitaire aussi large que possible. Dans le cortège, derrière les marcheurs de 1983 et les collectifs de sans-papiers, on pouvait apercevoir la quasi-totalité des forces politiques de gauche, avec leurs nuances de positions politiques sur les questions migratoires ou sur le racisme. Yannick Jadot était de la marche, lui qui signait une tribune dans Libération avec une trentaine de députés, de l’aile gauche de la Macronie au parti Communiste, défendant la nécessité des régularisations dans les métiers en tension, adoubant à demi-mot l’article porté par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin (article 4 bis en l’état actuel du texte de loi). Une idée à rebours des positions de plusieurs organisations présentes à la marche, des collectifs de travailleurs sans-papiers ou de la France Insoumise, qui défendent une régularisation de l’ensemble des travailleurs sans-papiers.

Si la manifestation n’a pas rassemblé une foule immense (ils étaient 100 000 à l’arrivée de la marche de 1983), elle pose l’un des jalons de la suite du mouvement contre la loi immigration, qui arrive dans l’hémicycle dans une semaine.

 

 

marche contre le racisme et la loi Darmanin, décembre 2023

 

« Nous avons besoin d’un grand mouvement massif » : Djamel Atallah, 59 ans, l’un des initiateurs de la marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983

 

marche contre le racisme et la loi Darmanin, décembre 2023

 

 

« Il y a un besoin essentiel de lutter contre le racisme. Quand on voit la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui, où le racisme est complètement décomplexé, où des forces politiques montent des communautés les unes contre les autres, c’est dangereux et grave. Relayé notamment par des médias, le racisme s’exprime comme une opinion et plus un délit. Il y a un recul, la République se perd et on a besoin plutôt d’avoir une société qui soit dans la fraternité, la solidarité et l’égalité. Même si je sais que l’égalité c’est utopique.

Le personnel politique depuis ces 20 dernières années n’est que dans les calculs électoraux, et par leurs positions, ils ont ouvert la voie à l’installation de l’extrême droite dans ce pays. On n’a pas retenu les leçons de l’histoire. Est-ce qu’on va revivre des situations comme celles que l’on a vécu il y a 40 ans et plus ? Est-ce qu’on va assister à des ratonnades, parce que c’est ce qu’il se passe de plus en plus ces derniers temps, avec la descendes de groupuscules néo-fascistes… Darmanin est responsable, mais pas que lui. Macron a une grande responsabilité : à force de courir sur les thématiques d’extrême droite, on lui a fait son lit et ils sont en passe de prendre le pouvoir. Nous avons besoin d’un grand mouvement massif : nous sommes face à une recul par rapport à il y a 40 ans, et c’est très grave. »

 

« La discrimination à l’emploi, au logement et dans les entreprises existent toujours » : Youcef Sekimi, marcheur de 83

 

marche contre le racisme et la loi Darmanin, décembre 2023

 

« 40 ans après la marche, le racisme a mué, il a changé de forme, ce n’est plus les ratonnades, bien qu’on en ait quelques-unes qui se passent. Mais si le contexte a changé, les problèmes sont toujours les mêmes. La discrimination à l’emploi, au logement, aussi dans les entreprises ou le plafond de verre existent toujours pour certains. On espère que quand cette loi passera à l’Assemblée nationale, des députés auront conscience qu’on part sur une loi qui est vraiment très très dure et qu’on n’accepte pas. »

 

« La loi Darmanin, c’est la pire loi qu’on n’ait jamais connue contre les migrants, les demandeurs d’asile et leurs descendants » : Mehdi Lallaoui, réalisateur et marcheur de 83

 

marche contre le racisme et la loi Darmanin, décembre 2023

 

« Il y a 40 ans, on arrivait sur cette place. Nous étions ici 100 000 pour l’égalité, contre le racisme. 40 ans plus tard, nous reprenons ces revendications en y ajoutant la justice, en y ajoutant le combat contre cette loi Darmanin qui est présentée à l’Assemblée nationale après avoir été présentée au Sénat. Une loi qui revient très loin en arrière sur nos combats. Il y a 40 ans nous nous sommes battus pour une promesse de fraternité. 40 ans plus tard, nous sommes loin de cette fraternité. La marche ne s’est pas arrêtée le 3 décembre 1983 ici à Paris : tous les militants et militantes associatifs, syndicaux, politiques, ont continué à se battre pour la justice dans notre pays.

Depuis 40 ans nous nous sommes battus contre tous les gouvernements et leurs ministres de l’Intérieur. Tous les ministres ont mené des politiques discriminatoires à l’égard des demandeurs d’asile, des immigrés, mais aussi à l’égard de leurs descendants. Cette manifestation est un appel à la mobilisation. Nous ne sommes pas pour une manifestation commémorative, nous sommes pour prolonger le combat pour la justice, contre le racisme.

Il y a 40 ans nous n’avions aucun député fasciste à l’Assemblée nationale, 40 ans plus tard ils sont 88. Ça dit quelque chose de notre société, de notre responsabilité. Il faut plus que jamais aujourd’hui nous battre collectivement de façon unitaire pour faire reculer cette régression. La loi Darmanin, c’est la pire loi qu’on n’ait jamais connue contre les migrants, contre les demandeurs d’asile et contre leurs descendants dans ce pays. Il en va du sursaut des partis politiques, des syndicats, des associations pour être ensemble, pour s’opposer à cette loi. »

 

 

« En 2023, marcher pour la régularisation de tous les sans-papiers » : Ahamada Siby, collectif des sans papiers de Montreuil et membre de la Coordination 75 des Sans Papiers

 

marche contre le racisme et la loi Darmanin, décembre 2023

 

« C’est très important pour nous d’être ici, pour réclamer des droits, pour la régularisation de tous les sans-papiers. Dans notre collectif beaucoup de personnes travaillent dans chantier des JO, restauration, ménage. On a participé le 17 octobre à l’action, on était là pour réclamer la régularisation, on avait des camarades exploités là-bas. Le combat continue : certains ont eu des formulaires Cerfa pour la régularisation, mais ce n’est pas encore fini. J’ai vu les marcheurs de 83, ça m’a fait plaisir, ça m’a donné la force de me battre comme eux aussi. C’est en 83 qu’a été gagnée la carte de résident de 10 ans, alors pourquoi pas en 2023, marcher pour la régularisation de tous les sans-papiers ? »

 

« Nous refusons ce projet de loi qui vise à nous criminaliser » : Aboubacar Dembélé, délégué des grévistes Chronopost d’Alfortville

 

marche contre le racisme et la loi Darmanin, décembre 2023

 

« Avec ce projet de loi, le gouvernement veut jeter à l’eau tous les efforts des camarades de 83. Surtout en nous donnant un titre de séjour d’un an, appelé titre de séjour métier en tension, dont la durée et la validité va dépendre du patronnant et du gouvernement. Nous refusons cet article, comme nous refusons ce projet de loi qui vise à nous criminaliser, à nous discriminer, nous précariser et nous maintenir dans la misère. On voit tous les jours dans les émissions de télé : immigré est assimilé à délinquant. Ce projet de loi va construire plus de centres de rétention, donner plus d’OQTF, plus d’interdiction de retourner sur le territoire. Mais les gens qui viennent en France, c’est qui ? C’est des gens qui fuient pour ne pas être tués, des gens qui viennent ici pour vivre dignement. Des gens qui fuient la guerre, la précarité, la misère. On ne peut pas accueillir toute la misère du monde ?  Alors, arrêtez de laisser la misère partout où vous passer. »

 

« On se mobilise malgré les différences entre nos organisations » : Cybèle David, Co-secrétaire nationale de l’Union syndicale Solidaires, animatrice à l’UCIJ

 

 

« La marche est sur des mots d’ordre large : pour l’égalité, la justice, contre le racisme et contre loi Darmanin. Le texte d’appel a été signé par des organisations qui abordent toutes ces questions-là, il est normal qu’on puisse se retrouver avec des organisations avec lesquelles on n’est pas d’accord sur tous les sujets. Mais ça ne change pas les positions qu’on peut avoir à l’Union syndicale Solidaires, pour la régularisation de tous les sans-papiers, mais aussi avec l’UCIJ dans laquelle on se mobilise contre la loi Darmanin et pour la régularisation des sans-papiers, malgré les différences entre nos organisations sur les modalités des régularisations. Ce sur quoi on est d’accord aujourd’hui, c’est qu’on marche aujourd’hui tous contre la loi Darmanin et contre les politiques migratoires qui sont menées depuis 40 ans en France. »

 

« Le fond de l’air est un peu brun en ce moment » : Geneviève Jacques, militante à la Cimade, présidente nationale entre 2013 et 2018.

 

 

« 40 ans après la marche, il y a une droitisation voire une perméabilité d’idée de l’extrême droite jusqu’au niveau du pouvoir qui nous préoccupe beaucoup comme citoyens. Sur la question du traitement que l’État accorde aux personnes étrangères, on constate une régression vraiment très préoccupante.

En 1983, la gauche était au pouvoir ; et si le résultat de la Marche pour l’égalité a été l’obtention d’un titre de séjour de dix ans, il a été remis en cause depuis. Aujourd’hui, si vous rajoutez le rôle des médias, y compris de certains médias mainstream, la puissance des réseaux sociaux pour passer des messages de peur, de haine, la situation me semble beaucoup plus tendue et compliqué en France et dans toute l’Europe. Le fond de l’air est un peu brun en ce moment. »

 

« On enfreindra la loi s’il le faut » : Cherine Benaouid, cardiopédiatre à l’hôpital Robert Debré (Paris)

 

 

« Même si les macronistes disent que non, il n’est pas question d’abolir l’AME (Aide médicale d’État) ou de la supprimer, ils disent en même temps qu’il y aura un toilettage, une amélioration. On n’est pas dupe, il faut que ça s’arrête. Il y a un problème de santé dans ce pays qui est énorme, on est passé en trois ans d’un manque de 7500 infirmières à 60 000, il faut arrêter de dire que c’est à cause des migrants ou des sans-papiers. C’est 0,5% du budget de la sécu. 8 personnes sur 10 qui pourraient avoir droit à l’AME n’ont pas de droits ouverts. Il faut arrêter de faire porter le chapeau sur les plus faibles d’entre nous. Transformer l’AME en aide médicale d’urgence (AMU), n’a aucun sens sur le plan médical, sanitaire, financier. Nous on les soigne, nous on les voit : on travaille dans un hôpital pédiatrique, nous on soignera et on traitera ces enfants ; et si des fachos votent ce genre de truc, qu’ils le fassent, mais on ne sera jamais d’accord et on enfreindra la loi s’il le faut ».