Philippe Poutou

Philippe Poutou : « Nous ne nous satisfaisons pas du discours d’impuissance de l’État » sur la fermeture de Ford

 

Jeudi après-midi, le ministère de l’économie a annoncé aux syndicats de l’usine Ford de Blanquefort le rejet par le constructeur automobile de la dernière offre de reprise de Punch Powerglide. Le sort du site est scellé : ce sera la fermeture laissant sur le carreau les 850 salariés de l’usine et menaçant des milliers d’emplois induits sur la région.

 

Aussitôt proposé, aussitôt rejeté. Il n’aura fallu que 48 à 72h à la direction de Ford pour balayer d’un revers de main la dernière mouture d’offre de reprise de l’usine de Blanquefort, présentée par Punch le lundi 18 février dans l’après-midi. « Nous n’avons eu aucune information sur le contenu du dernier plan de reprise, mais il n’y avait pas trop de suspense » a réagi Philippe Poutou quelques heures après avoir été informé du clap de fin pour le site où il est délégué syndical CGT. « Cela fait 10 ans que Ford veut fermer l’usine, ce coup-ci ils ont pensé que la situation était mûre », rappelle, un peu dépité, l’ancien candidat à la présidentielle.

Force est de constater que la direction de Ford ne s’est pas beaucoup trompée. Avec des départs en retraite non remplacés sur plusieurs années, la moyenne d’age des salariés de l’usine est passée à 51 ans, explique Philippe Poutou, laissant entrevoir pour un tiers d’entre-eux une possible pré-retraite. Un an jour pour jour après l’annonce initiale de l’intention de Ford de partir de Blanquefort, les salariés sont usés, et les équipes syndicales aussi. Cela fait dix ans que leur site est promis à la fermeture. Pour autant, cela n’a pas empêché une grosse centaine de salariés de se battre bec et ongles pour tenter d’imposer un autre scénario, que celui des primes de licenciement dans le cadre d’un bien mal nommé Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Leur acharnement a poussé l’État à dénoncer les agissements du constructeur automobile et à intervenir pour qu’un repreneur émerge.

 

Un PSE retoqué peut en cacher un autre : identique

 

Avec le rejet de l’offre de Punch, Ford peut espérer obtenir maintenant la validation de son « nouveau » PSE. Sa première version jugée déloyale, à défaut d’être illégale, avait été retoquée par la Dirrecte le 29 janvier. En effet, ni l’absence de motifs économiques pour justifier les licenciements ni les milliards de bénéfices du groupe mondial ne sont aujourd’hui des raisons légales d’invalidation. Cependant, Ford n’a pas oublié d’empocher des dizaines de millions de subventions publiques en échange d’un maintien de l’activité et des emplois, jusqu’à sa décision de fermeture l’an dernier.

« Ford, sans attendre la nouvelle offre de Punch, a convoqué une réunion du Comité d’entreprise en montrant le même PSE qu’elle a ensuite présenté le 11 février à la Dirrecte », assure Philippe Poutou pour mettre en lumière l’absence de scrupules du constructeur automobile. Réponse de la Dirrecte au plus tard le 4 mars. Mais selon le syndicaliste, Bercy a laissé entendre qu’ils seraient dans l’obligation de l’accepter. « C’est grotesque », s’agace-t-il en soulignant l’aberration qu’un même PSE puisse être retoqué fin janvier et validé début mars par la même instance.

Une forme de démission de l’État ? En tout cas, après avoir soutenu l’offre de reprise de Punch, la nouvelle option de Bercy est « la fermeture de l’usine et la revitalisation du bassin d’emploi », assure le porte-parole du NPA. Pour lui : des reclassements et des formations bidons à Pôle emploi. Amèrement il constate que : « du coté des pouvoirs publics, il n’y a pas de moyens de contraindre, d’empêcher quoi que ce soit, à moins d’engager un bras de fer politique ». Une option qui manifestement n’était pas à l’agenda du gouvernement.

 

« Qu’est ce qui vous empêche de voter d’urgence une loi anti-casseur d’emploi ? »

 

« Ils ont été capable de voter une loi anti-casseurs », met en avant Philippe Poutou pour montrer en miroir une absence de volonté politique lorsqu’il s’agit de s’attaquer à la voracité d’une multinationale telle que Ford. Pour le délégué syndical de l’usine Ford, les réformes concernant le droit du travail depuis 30 ans ont mis « des outils supplémentaires dans les mains des capitalistes », organisant une sorte d’auto-impuissance volontaire des pouvoirs publics. En face, il n’y a eu réellement que la volonté des salariés de sauver leurs emplois pour tenter de renverser la vapeur.

« Nous ne nous satisfaisons pas du discours d’impuissance de l’État. Nous avons essayé de pousser, mais nous n’avons pas eu assez de force pour les bousculer suffisamment. Nous les avons juste embêtés, nous avons repoussé les échéances », reconnaît Philippe Poutou. Maintenant l’équipe syndicale travaillera sur les conditions de licenciement dans le cadre du PSE explique-t’il. Mais malgré la lassitude, une partie d’entre-eux continuera à batailler « pour qu’il y ai demain une activité sur le site de Ford ». Pour cela, ils s’appuient sur le discours de Bercy qui leur aurait laissé entendre que des solutions innovantes pourraient être mises en œuvre.

Pas tout à fait encore le clap de fin à l’usine Ford de Blanquefort. « La résistance, c’est toujours un peu contagieux », veut croire Philippe Poutou, sans optimisme ni pessimisme.