grève Emmaüs

Dans le Nord, la grève chez Emmaüs s’étend


 

Commencée début juillet, la grève des compagnons Emmaüs de Saint-André-lez-Lille s’étend, depuis le 22 août, à la communauté de Grande-Synthe. Les grévistes demandent la reconnaissance de leur statut de salarié mais aussi l’obtention d’une carte de séjour. Si ce n’est pas la première fois que la situation des compagnons Emmaüs est dénoncée, la grève est rare chez ces travailleurs précarisés.

 

Des conditions de travail proche de l’esclavage, une paie au lance-pierre, une régularisation qui ne vient pas. Ce samedi 26 août, les compagnons sans-papiers de la Halte Saint-Jean, communauté Emmaüs de Saint-André-lez-Lille (59), et leurs soutiens, ont organisé une manifestation dans les rues de Lille pour dénoncer une situation qui dure depuis plusieurs années. « Nous étions une centaine de personnes encadrées par la police, tout s’est bien déroulé », résume Ibrahim Yattara, porte-parole des grévistes. Voilà 58 jours qu’ils et elles sont en grève et tiennent un piquet sur leur lieu de travail. Les 21 grévistes s’y relaient et reçoivent le soutien de diverses organisations : l’UD CGT du Nord, le collectif des sans-papiers 59, le FUIQP, dont une de ses figures de proue, le sociologue Saïd Bouamama.

« On ne le lèvera que lorsqu’on aura obtenu ce à quoi on a droit », continue le jeune guinéen de 28 ans. À savoir : l’obtention d’une carte de séjour, la démission de la directrice et du président du site ainsi que la reconnaissance de leur statut de salariés. Et leur mobilisation a donné des idées. A 80 km de là, une quarantaine de compagnons de la communauté de Grande-Synthe se sont également mis en grève illimitée le 22 août. Ils dénoncent à leur tour leurs conditions de travail, ainsi que « l’autoritarisme et le racisme de leur direction ».

 

Après les dénonciations, la grève chez Emmaüs

 

Si les grèves sont particulièrement rares chez les compagnons d’Emmaüs, notamment du fait de la situation de grande précarité de ces derniers et de leur dépendance envers l’association créée par l’abbé Pierre, ce n’est pas la première fois que des maltraitances y sont dénoncées.

En 2022, le média indépendant Reporterre publiait une enquête qualifiant certaines communautés de « zones de non-droit ». Un an plus tard, c’est un article de StreetPress qui lève le voile sur la situation à Saint-André-lez-Lille. Il dénonce « des conditions de travail insupportables et des violences psychologiques », ainsi que le racisme de la directrice de la communauté. L’alerte est prise au sérieux et une enquête pour « traite des êtres humains et travail dissimulé » est ouverte. Mardi 13 juin, la communauté Emmaüs de la Halte Saint-Jean est perquisitionnée par l’office central de lutte contre le travail illégal (Oclti).

Ces diverses enquêtes racontent souvent comment les compagnons attendent que leur travail au sein d’Emmaüs leur permette d’avoir accès à une régularisation. De fait, la loi immigration du 10 septembre 2018 donne la possibilité aux compagnons sans-papiers d’Emmaüs d’obtenir une carte de séjour sur la base de leur expérience au sein des communautés. Mais, un an et demi après l’entrée en vigueur des textes, Emmaüs France a pu constater que cela n’a rien d’automatique et diffère en fonction des préfectures, rappelle le Gisti.

Or, selon les grévistes, la direction d’Emmaüs à Saint-André-lez-Lille a entretenu le flou quant au caractère aléatoire de cette démarche. « On nous avait dit qu’au bout de trois ans on aurait des papiers. Si on ne nous avait pas fait cette promesse, on n’aurait pas accepté de travailler pour 150€. Or ça fait cinq ans que je suis là et je n’ai pas été régularisé. La directrice nous a trahis ! », tranche Ibrahim Yattara. Pire, l’enquête de Streetpress révèle que les compagnons de la Halte Saint-Jean n’auraient même pas bénéficié officiellement du statut de compagnon, la directrice se déclarant incapable de payer l’Urssaf et réduisant ainsi leurs chances d’être régularisés.

 

Ni papiers ni contrats de travail

 

S’ils n’ont pas de papiers, les grévistes d’Emmaüs n’ont pas non plus de contrat de travail, le statut de compagnon n’étant pas considéré comme du salariat. Ce que la direction de la Halte Saint-Jean n’a pas manqué de rappeler pour se dédouaner. « Il n’y a pas de semaine de travail, on n’a jamais recruté ni salarié», explique Pierre Duponchel, président de l’association auprès de France Info.

Reste que dans la mesure où ce public est particulièrement précaire, qu’il loge sur place et qu’il espère obtenir une régularisation par le biais d’Emmaüs, il paraît difficile de dire non à un directeur. A partir de là, les abus peuvent être nombreux. Ainsi, à Saint-André-Lez-Lille, les compagnons racontent travailler 40 heures par semaine, subordonnés légalement ou non. De son côté, Emmaüs France a déclaré ne pas « souhaiter être résumé ou caricaturé par les éventuelles pratiques locales d’un groupe ». L’association a demandé le retrait de la responsable et mis en place un audit pour « vérifier le fonctionnement pratique » de la Halte Saint-Jean

 

 

Crédit photo : UD CGT Nord