Malgré une manifestation historique et des grèves fortes, l’intersyndicale n’appelle pas à la grève interprofessionnelle la semaine prochaine. La date du mardi 31 janvier a été préférée. Comment comprendre ce choix ?
« Il est très probable qu’il y aura une grève dès la semaine prochaine. À la FSU, nous sommes pour », nous expliquait Benoît Teste, secrétaire général de la FSU, à la veille de la grève. Raté. Le 19 janvier au soir, après une journée de mobilisation historique, c’est la date du 31 janvier qui sort du chapeau de l’intersyndicale. La semaine qui vient sera donc une semaine sans journée de grève majeure. Dans son communiqué l’intersyndicale appelle également à des mobilisations partout en France, « y compris par la grève », le lundi 23 janvier, jour de présentation du texte en conseil des ministres. Des propositions qui semblent en décalage avec la puissance de la mobilisation du 19 janvier.
Stratégie de la pression pour la CFDT
Interrogé dans la soirée sur le caractère tardif de cette journée de grève, Laurent Berger explique : « Dans le cortège aujourd’hui, il y a eu des salariés qu’on n’avait pas l’habitude de voir dans les manifestations. Souvent, c’est parce qu’ils sont dans des secteurs où ce n’est pas facile de faire grève toutes les semaines. Si on veut créer les conditions pour que ces salariés puissent se mobiliser, il faut le faire en cadençant. » En multipliant les appels à la grève, le secrétaire général craint de perdre l’effet de masse du 19 janvier et d’apparaître comme affaibli.
Rien de nouveau sous le soleil de la CFDT. Pour le premier syndicat de France, la grève, et a fortiori la grève reconductible, est loin d’être le mode d’action favori. Laurent Berger se méfie d’ailleurs de son pouvoir de nuisance sur les usagers, craignant de se mettre l’opinion à dos. « Il y a deux éléments de rapport de force pour obtenir le retrait, ce type de mobilisation (ndlr : celle du 19 janvier) et le soutien de l’opinion. Or si l’on veut garder l’opinion de notre côté, on a intérêt à cadencer comme il faut la mobilisation, plutôt que de créer des mobilisations qui seraient difficiles à tenir », a confié Laurent Berger sur LCI.
Face au gouvernement, la CFDT joue donc la stratégie de la pression et non celle du blocage de l’économie. Elle s’appuie sur le fait que la réforme est largement impopulaire aux yeux des français et loin d’être nécessaire, comme l’a d’ailleurs fait savoir le président du Conseil d’orientation des retraites le 19 janvier au soir. Le syndicat réformiste insiste d’ailleurs sur la pétition intersyndicale contre la réforme, signée par 660 000 personnes. Les cédétistes souhaitent également que la bataille de l’opinion pèse sur les parlementaires, de manière à ce qu’ils refusent de voter le texte. Refusant de fracturer l’intersyndicale, la CGT, mais aussi Solidaires, FO, et la FSU, syndicats réputés comme plus offensifs, ont accepté la date du 31 janvier. Le numéro d’équilibriste consiste désormais à continuer de porter une stratégie de la grève.
Construire la grève pour la CGT
Interrogé sur le même point en direct sur la chaîne Twitch Backseat, le 19 janvier au soir, Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, insiste à son tour sur la difficulté, pour les salariés, de multiplier les jours de grève. « Il faut aussi écouter ceux qui disent que perdre deux journées de salaire sur dix jours c’est beaucoup. Ce qui n’empêche pas d’encourager ceux qui veulent y aller tous les jours. »
La CGT en revanche dit continuer de porter une stratégie de la grève au sein de l’intersyndicale. Elle fait valoir que la date tardive du 31 janvier doit permettre de construire un mouvement de grève d’ampleur, capable de tenir dans la durée. Elle « invite, donc, ses organisations professionnelles, territoriales et ses syndicats à poursuivre l’élargissement de la mobilisation dans les entreprises, les services et les lieux de vie », avance la confédération CGT dans son communiqué du 20 janvier.
Prochaine mobilisation le 31 janvier : trop loin ?
“Il faut des temps forts de mobilisation.” 🎙️Philippe Martinez continue de répondre à nos questions ▶ https://t.co/SJxuJyIM4L#Backseat pic.twitter.com/L1ER2usr2w
— Backseat🎙 (@Backseat_fr) January 19, 2023
Un mouvement qui reste à construire
Pour l’heure, un mouvement de grève de longue durée reste en effet à construire. L’appel à la grève reconductible dés le 19 janvier, lancé par la puissante fédération CGT de l’énergie (FNME-CGT), n’a pas été suivi d’effet. Les appels à des grèves de plusieurs jours, lancés par les syndicats CGT du pétrole, démarrent le 26 janvier (48 heures) et le 6 février (72 heures, assorties d’une proposition de reconductible). Dans l’éducation, le 19 janvier a permis au enseignants les plus impliqués dans la lutte de se retrouver pour une première assemblée générale. Cela reste insuffisant pour lancer une grève longue et massive.
Désormais, c’est le mardi 31 janvier qui pourrait apparaître comme une nouvelle date de départ en reconductible. Sud Éducation, le premier, a dégainé et annoncé se lancer pleinement dans la bataille de la reconduction ce jour-là. Les cheminots de la CGT ont déclaré, ce 20 janvier, par le voix de leur secrétaire fédéral Laurent Brun, « aller au-delà de ce qui est programmé par l’intersyndicale ». Reste à voir comment l’intersyndicale résistera à ces divergences stratégiques. Lorsqu’on lui demande quels effets ont sur lui les appels des fédérations CGT les plus offensives, Laurent Berger répond pour l’heure : « Aucune fédération n’appelle à la grève reconductible à la CFDT. »
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