Déjà un licenciement, une mise à pied et deux avertissements pour le seul mois de janvier. La semaine prochaine, ce sera au tour de la représentante syndicale CGT de la clinique Bonnefon à Alès d’être convoquée à un entretien disciplinaire. Mais ce mercredi 26 janvier, aides-soignant.es et infirmier.es ont décidé de dire stop. Elles et ils ont entamé un mouvement de grève illimitée pour dénoncer un profond malaise social et réclamer le remplacement systématique des absences.
« Nous demandons la réintégration immédiate de Frédéric, notre infirmier de bloc opératoire qui a été licencié abusivement, ainsi que l’annulation des sanctions pour les trois autres salariés : Élodie, Hélène et Isabelle », annonce au micro Hella Kherief, la représentante de la section syndicale (RSS) CGT de la clinique Bonnefon. Une grosse trentaine de salariés de la clinique et une vingtaine de syndicalistes extérieurs à l’entreprise l’écoutent dans le froid, face à l’établissement où ils ont installé quelques tables, des thermos de café et des viennoiseries. Depuis 7 h ce matin, ils tiennent un piquet de grève, le premier en vingt ans dans la grande clinique alésienne, passée peu avant l’épidémie de Covid-19 sous pavillon du groupe Elsan, le numéro deux français du secteur.
Un premier préavis de grève met le feu aux poudres de la clinique
Tout commence le 15 décembre lorsqu’un préavis de grève pour le lendemain est déposé auprès du directeur de la clinique par Frédéric S, au nom des infirmiers de bloc opératoire (couvert par la CGT et FO). Leurs revendications portent sur les salaires et les primes, au moment où la direction et la CFDT, seule organisation syndicale représentative depuis les dernières élections professionnelles, participent aux négociations annuelles obligatoires (NAO). Il s’y profile une modification, défavorable pour les agents, du calcul de certaines primes. « Les salariés ont découvert que la prime RAG se transforme en prime de présentéisme, où le moindre jour d’absence fait baisser la prime », explique Bruno Biondini, le représentant de Force ouvrière. Avec un manque à gagner qu’il estime entre 100 € et 150 €.
La grève n’a finalement pas lieu le 16 décembre, faute de combattants. Un arrêté, signé de la préfète du Gard Marie-Françoise Lecaillon, réquisitionne nominalement 22 salariés, quelques heures après le dépôt du préavis de grève. En tête de sa liste des 22 : Frédéric S. celui qui avait déposé le préavis la veille. Finalement, les salariés renoncent à leur mouvement et le signifient par écrit à la directrice de soin infirmier.
Fin de l’histoire ? Non, loin de là ! Une semaine plus tard – deux jours avant le réveillon de Noël – la direction de la clinique envoie à Frédéric S une convocation à un entretien disciplinaire pour le 5 janvier, par lettre recommandée avec accusé de réception. Elle y précise qu’elle envisage de prendre une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement. Un autre courrier de même nature est envoyé à trois autres salariés. Il leur est reproché une altercation avec la représentante CFDT de la clinique qui a entériné les plans de la direction pendant les NAO. Et les sanctions tombent le 17 janvier. Le licenciement pour Frédéric S, sept jours de mise à pied pour Élodie C et un avertissement pour Hélène B comme pour Isabelle C.
« C’était un monologue. La direction avait déjà statué sur les sanctions avant l’entretien », assure Bruno Biondini qui a accompagné les quatre salariés, syndiqués à Force ouvrière, lors de leur entretien disciplinaire. Pour lui, les accusations de la direction sont factices et n’ont pour but que de « nous écarter pour les prochaines élections au conseil social et économique » qui auront lieu au mois de mars. Créer il y a deux ans, la section syndicale FO n’est pas encore représentative. Pas plus que celle de la CGT, présente seulement depuis quelques mois à clinique Bonnefon. Et déjà fragilisée par une procédure disciplinaire contre sa représentante Hella Kherief. Cette dernière est convoquée à son tour pour le 1er février. Elle a reçu une lettre de la direction en date du 19 janvier qui évoque une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement. Sans que le motif soit spécifié.
Derrière la répression, de bas salaires et un manque d’effectif
« Nous ne voulons plus être bâillonnés. Nous ne voulons plus être muselés, on veut juste pouvoir dire quand ça ne va pas. Nous voulons juste travailler dans de bonnes conditions. Et c’est tous ensemble que nous allons y arriver », affirme Hella Kherief pour motiver ses collègues de travail. Applaudissements. La grève en est à son premier jour. Elle devrait durer, le ras-le-bol étant à son comble, alors que la direction n’a même pas fait mine de vouloir discuter. Ni dans le délai compris entre le dépôt du préavis de grève le 21 janvier et le début du mouvement le 26 janvier à 7 h, ni depuis.
En effet, les récentes sanctions disciplinaires du mois de janvier ne sont pas le seul signe du climat social délétère que dénoncent les aides-soignant.es et infirmier.es mobilisé. es. « L’an dernier, il y a eu 42 démissions » sur un effectif d’environ 200 salariés, assure Julie*, les mains collées à son gobelet de café pour se réchauffer. « C’est une forme de restructuration » qui ne dit pas son nom, imagine Sandrine*, une autre salariée, qui considère que certaines ruptures volontaires sont en réalité « des personnes que l’on a poussées dehors ». En tout cas, toutes se souviennent de deux collègues « mises à la porte l’an dernier et ayant entamé des démarches auprès des prud’hommes ».
Mais, au-delà de la brutalité de la direction depuis le rachat de la clinique par le groupe Elsan, les grévistes dénoncent un sous-effectif chronique et des salaires extrêmement bas. « Quand les administratifs et les secrétaires médicales ne sont pas là, ce sont les soignants qui font leur travail. En plus du nôtre, ce n’est pas possible » explique Hella Kherief. D’autant que pour de tels efforts, les salaires ne suivent pas. « On m’avait promis un salaire à 1800 € au moment du recrutement », s’agace Kevin*, un jeune infirmier récemment diplômé. À la place, sa paye ne dépasse pas 1500 €, explique-t-il. Guère plus pour Béatrice*, dont le salaire net d’aide-soignante atteint « 1574 € après 17 ans d’ancienneté ».
La grève continue donc jeudi 27 janvier. Pour cette deuxième journée, une délégation se rendra à la manifestation interprofessionnelle alésienne, pendant qu’une partie des grévistes assurera une continuité de présence devant la clinique.
* les prénoms ont été changés, à l’exception de ceux des personnes déjà sanctionnées et des représentants syndicaux
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