Richard Abauzit

Procès de Richard Abauzit, la liberté de critique syndicale attaquée en diffamation


 

Hasard du calendrier, Richard Abauzit a été convoqué au tribunal le lendemain de la sortie en librairie de son livre « Décortiquer les ordonnances Macron pour mieux les combattre ». Mis en cause dans le cadre de ses activités syndicales, il est poursuivi en diffamation suite à la plainte du directeur d’un établissement de soins et réadaptation.

 

Richard Abauzit est un homme occupé. Aujourd’hui retraité, cet ancien inspecteur du travail, passé par la case enseignement, est surtout connu pour ses livres coécrits avec Gérard Filoche traitant du démantèlement du Code du travail*. Il exerce, par ailleurs, en qualité de conseiller du salarié auprès de l’organisation syndicale Solidaires dans l’Hérault.

 

Mercredi en librairie, jeudi au tribunal

 

C’est cette activité qui lui a valu une convocation au tribunal correctionnel de Montpellier le jeudi 7 septembre, où il est poursuivi pour diffamation. Son crime ? Avoir dénoncé publiquement la gestion du personnel par le directeur de l’Institut Saint Pierre de Palavas-les-Flots, un centre accueillant des enfants en difficulté et en rééducation. C’était en décembre 2014, à l’occasion d’une conférence de presse en présence de trois salariés de cette structure éducative. Des propos relayés à l’époque dans le quotidien l’Hérault du Jour. La journaliste ayant écrit l’article ainsi que le directeur de la publication d’alors sont également poursuivis dans cette affaire. Le plaignant, désormais ex-directeur de l’institut Saint-Pierre leur réclame 53 000 euros de dommages et intérêts. Il estime que les trois personnes citées à comparaître ont attenté « à son honneur », en évoquant sa gestion de l’institut ainsi que sa religion (il est chrétien évangéliste).

Un syndicat pouvant difficilement être poursuivi pour diffamation depuis un arrêt de la Cour de cassation de 2013, c’est en tant qu’individu que Richard Abauzit est convoqué au tribunal, et non en tant que représentant syndical. Une casquette qu’il arborait pourtant ce jour-là. Dans un premier temps, la juge d’instruction chargée du dossier a émis un non-lieu concernant cette affaire. Pourtant, le procureur a toutefois décidé d’en poursuivre l’instruction. Cette intervention du ministère public contre un défenseur des droits des salariés fait écho à celle contre une inspectrice du travail à Annecy en 2015.

Avec ses 40 années d’expérience relatives au droit du travail, Richard Abauzit y voit « une justice de classe qui n’a guère besoin de beaucoup se justifier ». Devant la cinquantaine de personnes présentes pour le soutenir, Richard Abauzit se veut toutefois positif : « Je ne suis pas du tout inquiet, en rage certes… pour ce que cela signifie collectivement s’il y a une condamnation ». En effet, ce procès est vécu par Richard Abauzit comme le dernier avatar en date de la volonté de casser le mouvement social, de mettre les travailleurs à genoux. Il évoque un climat de répression, la multiplication des sanctions dans les entreprises et les administrations, au travers notamment de l’épisode de « la chemise arrachée » et des condamnations de plusieurs salariés suite au conflit d’Air France de 2015.

Dans la salle d’audience du tribunal, les propos tenus lors de la conférence de presse sont au centre des débats. Il aurait critiqué « le management par la terreur » du directeur de l’institut. Aujourd’hui, il conteste avoir utilisé une telle formulation. S’il est indéniable, de son point de vue, que les salariés étaient terrorisés, il ne se reconnaît pas, entre autres, dans l’utilisation d’un anglicisme de ce type. Pourtant c’est bel et bien à cette locution à laquelle la justice semble s’intéresser de près.

 

De l’importance des mots

 

Les mots, le détournement de leurs sens et l’utilisation abusive d’un jargon spécifique dans le monde des entreprises retiennent particulièrement l’attention du syndicaliste. « Le plan de licenciement est d’abord devenu un plan social avant finalement de se transformer en plan de sauvegarde de l’emploi », explique l’ancien inspecteur du travail. C’est-à-dire l’exact opposé de son sens initial. Même chose pour le « chômage partiel » qui est désormais désigné sous le vocable « d’activité partielle ». L’expression « dialogue social » l’agace profondément. Selon Richard Abauzit, elle a été utilisée pour la première fois dans un texte officiel en 2003 dans le cadre des lois Fillon sur le retraites. La formule a aujourd’hui fait florès, alors qu’elle n’est, aux yeux du syndicaliste héraultais que « la négation pure et simple de la lutte des classes ».

Tous ces changements de mots, de sens, tous ces néologismes, Richard Abauzit les traque, les inventorie depuis longtemps déjà. « Il y a un énorme travail là dessus. Par exemple, le Code du travail a été entièrement réécrit en enlevant toutes les obligations faites à l’employeur », constate-t-il. Autrefois, le chef d’entreprise était « tenu de », désormais il « fait ». Tout simplement. Il est toujours possible de penser qu’il ne s’agit là que d’artifices rhétoriques, mais ils se traduisent dans la réalité du monde du travail par de nouveaux concepts comme celui du « droit à l’erreur ». Ainsi un patron qui aurait malencontreusement oublié de déclarer des primes ou des heures supplémentaires n’écoperait d’aucune sanction.

Richard Abauzit a remarqué ces temps derniers l’emploi surabondant d’un verbe très commun dans les textes officiels : bénéficier. Désormais, plutôt que d’être licenciés en masses et en bonne et due forme, les travailleurs pourront « bénéficier » d’un plan de départ volontaire ou d’un congé de mobilité. Dans l’entrefaite c’est pourtant lui qui a eu l’immense privilège de « bénéficier » d’un passage au tribunal duquel il espère toutefois sortir avec une jurisprudence favorable.

Étonnant paradoxe, souligné par Richard Abauzit dans son allocution devant le tribunal. L’ex-directeur a été remercié, « précisément pour les motifs que nous lui reprochions d’ailleurs dans la conférence de presse incriminée dans le procès ». Au final, la question soulevée par cette procédure juridique est la suivante : est-il encore possible en France de critiquer la gestion d’une entreprise ? La réponse est attendue pour le 16 novembre pour Richard Abauzit.

 

*Gérard Filoche, membre de l’aile gauche du Parti socialiste est également un ancien inspecteur du travail