Racisme et sexisme au travail : des luttes qui s’imposent dans les conflits sociaux

 

Au cœur des entreprises, parfois jusque devant les tribunaux, les luttes contre le sexisme et le racisme au travail ont reçu un coup de projecteur ces derniers mois. Pour certaines franges du salariat, exiger des conditions de travail dignes s’accompagne nécessairement de la dénonciation d’autres oppressions. Les syndicats s’emparent donc de plus en plus de ces enjeux. Mais des obstacles demeurent : peur de témoigner chez les femmes précarisées, manque d’outils pour les victimes de discriminations racistes…

 

« Ferme ta gueule, sale nègre… » dans une agence Groupama de Fort-de-France (Martinique), le cadre qui aurait lancé cette insulte raciste le 16 juin 2021 à un salarié, s’en mordra vite les doigts. Rapidement, la nouvelle circule dans l’agence de Martinique, mais aussi dans celles de Guyane et de Guadeloupe. Dès le lendemain, 230 salariés, soit la totalité des effectifs de Groupama Antilles-Guyane, cessent le travail en soutien, rapporte le journal de Force Ouvrière, syndicat particulièrement actif dans la grève. L’employé insulté dépose plainte, les grévistes exigent à la fois que Groupama se porte partie civile, mais également que le cadre présumé raciste soit mis à pied. Trois jours de grève suffiront à faire accepter toutes leurs revendications.

Des milliers de kilomètres plus loin, à Bondy (Seine-Saint-Denis), un samedi matin de novembre 2021, une quarantaine de salariées de l’enseigne Monoprix sont rassemblées devant leur magasin. Quelques mois plus tôt, une plainte pour harcèlement sexuel a été déposée par l’une de leurs collègues, contre un cadre du magasin. « Depuis cette plainte, la direction et le siège n’ont rien fait, ils ont classé l’affaire », fustige Vérine Paris, élue CGT au CSE. « Ils ont juste interdit au harceleur de s’approcher de la victime à moins de trois mètres, et de lui parler. Il n’y a pas d’autre sanction ». Cette passivité a été le déclencheur de plusieurs heures de grève, en soutien aux collègues harcelées. 

 

« Un sujet moins caché »

 

Ces luttes, nées d’oppositions au racisme et au sexisme au travail, constituent-elles la nouvelle donne des conflits sociaux ? La question du sexisme en entreprise, en tout cas, s’est largement répandue ces dernières années. Le mouvement MeToo, devenu viral et mondial à partir de fin 2017, a constitué un tournant pour les travailleuses. 

« Depuis MeToo, il y a eu une accélération de l‘importance de lutter contre les ambiances sexistes, dans les entreprises et les administrations », confirme Murielle Guilbert, co-déléguée de l’Union Syndicale Solidaires. La responsable syndicale estime surtout que ces luttes ont gagné en visibilité. Ainsi, depuis 2018, « les affaires sont plus régulières, c’est un sujet moins caché, y compris dans des secteurs très masculins qui n’avaient pas les outils syndicaux pour réagir », juge-t-elle.

À l’intérieur des organisations syndicales elles-mêmes, MeToo a été un accélérateur. « Nous avons depuis plusieurs années des formations sur l’égalité femmes-hommes et les violences sexistes et sexuelles », retrace Murielle Guibert. Depuis 2018, ce travail au sein de Solidaires s’est démultiplié, dans le cadre d’un « plan de lutte, qui comprend un renforcement des formations ». Pour ce 8 mars 2022, les organisations syndicales comptent bien organiser une journée de grève massive pour faire entendre les salariées en lutte.

 

La lutte antiraciste cherche encore son MeToo et ses outils

 

Cette dynamique s’observe moins du côté de la lutte antiraciste. « Ce ne serait pas sérieux de ma part de vous dire qu’on a une augmentation des luttes contre le racisme dans les boîtes. Nous n’avons pas mesuré cela, et ça ne m’apparaît pas flagrant. Sans doute que certaines situations sont gérées directement en entreprise et ne remontent pas jusqu’à nous. En revanche la CGT est depuis toujours une organisation antiraciste, cela s’est manifesté notamment lors des luttes de camarades sans-papiers », explique Pascal Debay, secrétaire confédéral de la CGT en charge de la « lutte contre les idées d’extrême droite », depuis huit ans.

Théo Roumier, enseignant et auteur de réflexions sur la question de l’antiracisme et du syndicalisme pour les cahiers de Solidaires, livre de son côté une analyse quelque peu différente. « Il y a eu un tournant en 2015, à l’époque de l’état d’urgence et de la déchéance de nationalité. Cela n’a pas forcément augmenté le nombre de luttes dans les boîtes. Mais à ce moment-là, les mouvements contre les violences policières, contre l’islamophobie, ou ceux dits de “l’antiracisme politique”, ont poussé le syndicalisme à se poser des questions. » 

C’est à cette époque que s’intensifient, dans certains syndicats affiliés à l’Union Syndicale Solidaires, des réflexions sur les réunions en non-mixité, ou encore sur l’emploi du terme « islamophobie ». Des débats encore en cours aujourd’hui. 

 

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Grève des salariés sans-papiers de La Poste au Coudray-Monceau (91). Crédit : Solidaires 91.

 

« Autant sur le sexisme on a eu une prise de conscience qu’il nous traversait toutes et tous. Autant sur le racisme c’est plus compliqué. On a un premier problème qui est l’identification de ce qui est raciste ou non. Même au sein de notre syndicat, tout le monde se considère antiraciste et a du mal à considérer que certains comportements inconscients puissent en fait être racistes », explique Cybèle David, co-secrétaire de l’Union syndicale Solidaires et membre de son groupe de travail antiraciste.

Pour Théo Roumier de Sud-Éducation, que ce soit devant les tribunaux ou dans les boîtes, la lutte antiraciste manque d’outils. « Comment on mesure une discrimination raciste ? Pour l’heure c’est très compliqué. On a quelques outils comme les enquêtes trajectoires et origines de l’INED, mais je suis de ceux qui veulent ouvrir le débat sur les statistiques ethniques », soutient le syndicaliste. 

Des études existent, pourtant. La DARES, le service statistique du ministère du Travail en a publié une, en 2021, sur la discrimination au travail. Elle conclut qu’« en moyenne, à qualité comparable, les candidatures dont l’identité suggère une origine maghrébine ont 31,5 % de chances de moins d’être contactées par les recruteurs que celles portant un prénom et nom d’origine française. » Les articles de loi, eux aussi, sont jugés insuffisants. « Pour condamner un employeur pour racisme, c’est à peine s’il ne faut pas qu’il écrive noir sur blanc des insultes racistes », assure l’avocate Nicole Radius. 

 

Des luttes contre le racisme et le sexisme entremêlées à la défense des conditions de travail

 

Cette avocate a défendu un dossier emblématique sur ce plan. À Obernai (Bas-Rhin), entre 2012 et 2021, aucun des 271 employés embauchés en CDI sur le site de production de Kronenbourg n’avait de nom à consonance maghrébine. Tous ceux qui en portent étaient, eux, cantonnés à des postes en CDD ou en intérim. Le cas de Rabah* résume à lui seul la situation : en 30 ans de boîte et 177 contrats, ce salarié chez Kronenbourg d’origine algérienne, n’a jamais été embauché en CDI. Pour Nicole Radius, auteure du décompte précédemment cité, il serait victime d’une « discrimination à l’embauche en raison de son origine supposée ».

« La situation à Obernai ressemble à ce qu’on pouvait voir chez les dockers de Marseille. Les salariés de la production sont embauchés par cooptation. On fait rentrer son frère, son cousin ou ses amis dans la boîte. Les personnes d’origine étrangère sont souvent exclues de ces cercles. C’est sans doute ce qui explique leur très faible taux d’emploi en CDI. Pour autant, cela n’en est pas moins discriminatoire », décrypte l’avocate.

Rabah a donc attaqué son entreprise aux Prud’hommes à la fois pour faire requalifier son contrat de travail en CDI, mais également pour faire reconnaître la discrimination dont il s’estime victime. Il a été débouté de toutes ses demandes le 1er février et fera appel de la décision.

Dans son cas, comme dans bien d’autres, distinguer l’enjeu du racisme ou du sexisme de celui des salaires, des contrats ou des conditions de travail, paraît artificiel. 

D’octobre à novembre 2021, une grève a agité l’Ehpad de Châtillon-sur-Thouet (Deux-Sèvres). En plus d’une augmentation du personnel et des salaires, les aides-soignantes et infirmières réclamaient une charte contre les discriminations grossophobes et sexistes. « Deux collègues hommes avaient des propos comme “si tu pousses ton cul gras, je pourrais peut-être passer” », fustige Murielle Thibeault, infirmière et déléguée CGT. Une nouvelle directrice répétait à certaines aides-soignantes de « manger des graines, vu leur corpulence », de « ne pas manger trop gras »Ces propos se sont « ajoutés à tout le reste : manque de personnel, discrimination syndicale, congés accordés selon les préférences relationnelles, maltraitances… », résume Murielle Thibeault. 

Ainsi, les luttes contre le racisme ou le sexisme sont, au même titre que d’autres luttes d’entreprises,  un combat pour l’obtention d’un cadre de travail et donc de vie acceptable. Lorsqu’elles éclatent, elles viennent donc percuter le syndicalisme. « Ces combats concrets dans les boîtes, le syndicalisme doit les prendre à bras le corps », insiste Benoît Martin, secrétaire général de l’Union Départementale CGT 75. 

 

« Les convaincre qu’elles ne sont pas rien, ce n’est pas facile »

 

Si ces enjeux sont de plus en plus présents dans le débat public, dans les orientations syndicales et dans les têtes des salariés, se mobiliser n’a rien d’évident. Les secteurs où sont majoritairement présentes les femmes, comme les personnes racisées, continuent d’être peu valorisés, et mal payés.

Selon les derniers chiffres de l’INSEE, les femmes salariées du secteur privé gagnent en moyenne 16,8 % de moins que les hommes, en équivalent temps plein. Si l’on tient compte du différentiel en termes de volume horaire – les femmes étant plus souvent à temps partiel -, cet écart salarial s’élève à 28,5 %.  

« Les métiers dans lesquels les femmes sont concentrées sont sous-payés », martèle Sophie Binet, chargée de l’égalité femmes-hommes à la CGT, lors d’une conférence sur les secteurs du soin et du lien. Santé, travail social, petite enfance, aide à domicile… Ces secteurs sont occupés « à 75 % par des femmes » rappelle la chercheuse Julie Valentin. Elles y occupent des postes souvent précaires, ce qui constitue un terreau favorable aux discriminations. Et accroît les difficultés à se battre contre. 

De plus, les rapports de domination sont souvent intériorisés. Au sein d’un Ehpad, « les filles sont nombreuses à ne pas être diplômées. Beaucoup ont l’impression que ce qu’elles font ne sert à rien. Car c’est ce qu’on leur fait ressentir », décrit Murielle Thibeault. « Et convaincre des personnes qu’elles ne sont pas rien, ce n’est pas facile », affirme la syndicaliste.

Lorsqu’un secteur est majoritairement masculin, la relégation des femmes à des postes moins valorisés et avec moins de responsabilités pèse aussi. « Dans le jeu vidéo, les femmes occupent plus souvent des emplois précaires ; cela n’aide pas à se défendre », insiste Pierre-Etienne Marx, dirigeant de la section du syndicat des travailleurs et travailleuses du jeu vidéo (STJV) à Ubisoft Paris. « Les personnes opprimées ont appris à se taire, par internalisation : “je ne suis pas compétente”, “ce n’est pas à moi de parler”,… »

 

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Manifestation lyonnaise contre les violences sexistes et sexuelles en 2020. Crédit : GB.

 

Même constat chez les personnes racisées. « On a des secteurs d’activités où il y a plus d’étrangers ou plus de personnes racisées que d’autres. Le travail y est souvent plus physique, mal considéré et mal payé. Le nettoyage ou le BTP par exemple. Au sein même de ces secteurs, il y a des entreprises où les tâches sont réparties en fonction de critères ethniques. Avec des hiérarchies basées sur les effets de racisation. Par exemple dans certaines boîtes du nettoyage, l’agent va être noir, le chef d’équipe maghrébin, la responsable de site portugaise… Plus on monte dans la hiérarchie, plus la peau se blanchit », explique Benoît Martin de l’UD CGT 75.

Au sein même des syndicats, ces hiérarchies peuvent, dans une moindre mesure, se retrouver. « Chez Solidaires, on a des syndicats avec beaucoup de personnes racisées, cela dépend des secteurs, mais globalement on a du mal à les faire accéder aux postes à responsabilité, cela est parfois dû au fait que ces personnes s’auto-limitent. Pour briser cela, il faut du volontarisme de notre part et nous manquons parfois de force pour prendre en charge ce combat », explique Cybèle David de Solidaires.

 

Censure à tous les étages 

 

Auto-censure, coups de pression des collègues ou omerta mise en place par la direction… Les raisons de se taire sont nombreuses en entreprise. En dehors des deux salariées du Monoprix ayant déposé plainte, « il y a beaucoup d’autres femmes victimes de harcèlement sexuel et moral. Mais elles ont peur de parler », souligne Vérine Paris, élue CGT. La crainte de représailles de la part de la hiérarchie pèse. Mais aussi la honte, ou la pudeur. « Elles ont peur notamment du jugement des autres collègues », continue la syndicaliste.

Les questions de discriminations peuvent en effet faire l’objet de rudes confrontations. Yoann et Medhi, élus CGT au CSE de la Stef, entreprise de transport et de logistique aux Essarts (Vendée), en ont fait les frais. Tous deux ont été informés de propos racistes tenus à l’encontre de collègues réunionnais ou d’origine maghrébine. « C’est terrible à dire mais nos collègues ont été surpris qu’on prenne le problème à bras le corps… Et nous, on a été dépités quand on a compris à quel point la direction n’en avait rien à foutre du racisme »

Comble du cynisme : après avoir déclenché un droit d’alerte, fait passer des entretiens à leurs collègues et rendu un rapport d’enquête CSE de plus de 30 pages, ils sont catalogués par leur direction comme des empêcheurs de tourner en rond… et se retrouvent limogés par la Stef. Mais l’inspection du travail refuse finalement leur licenciement, ce qui leur permet de réintégrer l’entreprise.

Le 10 septembre 2021, alors qu’ils retrouvent leurs locaux, une trentaine de salariés exigent leur renvoi à grand renfort de pancartes et de slogans. La manifestation les empêche d’accéder à leurs locaux. « Avec Mehdi, nous étions cernés contre le grillage, on a essayé de rester calme et on a filmé. Il n’y avait pas beaucoup d’ouvriers parmi eux, surtout des personnes de l’encadrement qu’on avait monté contre nous », raconte Yoann. Les élus ont fait un référé au tribunal judiciaire, estimant que leur employeur n’avait pas garanti leur sécurité. Leur recours a été refusé et ils se sont pourvus en appel. La situation à la Stef a fait l’objet d’une vidéo du média QG. « Encore aujourd’hui on a des personnes victimes de racisme qui ne veulent pas témoigner à visage découvert, elles ont tout simplement peur », conclut Yoann.

 

Des victoires en demi-teinte

 

Pourtant, lorsque les salariés parviennent à dépasser ces difficultés et à se mettre en lutte collectivement, les lignes bougent, parfois. Dans l’Ehpad de Murielle Thibeault, la grève de 35 jours a permis d’obtenir une réécriture du règlement intérieur sur le volet du sexisme, en y inscrivant des « procédures d’alerte, en définissant des sanctions… » Depuis la grève, « les regards de travers et les remarques déplacées n’ont plus lieu. À voir combien de temps ça va durer… » conclut Murielle Thibeault.

Dans le monde masculin des jeux vidéos, la médiatisation des affaires de harcèlement sexuel a poussé dehors de nombreux cadres. « Les gens très haut placés, très visibles, sont partis à l’été 2020. Ensuite on a eu une vague un peu plus discrète de départs », retrace Pierre-Etienne Marx.

C’est bien sûr loin d’être toujours le cas. Pour une lutte locale comme celle du Monoprix de Bondy, restée loin des radars des grands médias, « rien n’a bougé depuis notre mobilisation », soupire Vérine Paris. « Notre revendication était uniquement le départ du cadre harceleur sexuel, ainsi que des harceleurs moraux ». Peine perdue.  

La position hiérarchique de l’auteur des discriminations ou violences est parfois déterminante. À la RATP, « il y a toujours eu des enquêtes internes lorsque des femmes dénonçaient du harcèlement ou des agressions. Le problème, c’est que quand c’est un chef qui en est l’auteur, ils s’arrangent toujours pour que l’enquête n’aboutisse pas », estime Ahmed Berrahal, machiniste au sein de l’entreprise, élu CGT et secrétaire de la commission santé, sécurité et conditions de travail.

Un grand nombre de femmes sont entrées à la RATP à partir de 2018. En 2021, les témoignages médiatisés sur des violences sexistes et sexuelles au sein de la régie des transports parisiens se succèdent, appuyés par un rapport de l’Inspection du travail. Jusqu’à une première condamnation aux Prud’hommes, en décembre 2021. La RATP est condamnée à verser 15 000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement sexuel. Une « grande victoire », pour Ahmed Berrahal. Qui, à ses yeux, prouve surtout que « les démarches, il faut les faire soi-même, aller jusqu’au bout, en justice… L’enquête interne est faite pour minimiser les choses »

 

Quand la lutte contre les oppressions crée de la syndicalisation

 

Les lignes bougent également dans les dynamiques d’expansion syndicale. Des luttes contre le racisme et le sexisme ont fait naître, par endroits, des sections ou des vocations. 

Au sein d’Ubisoft à Paris, deux sections syndicales se sont créées en 2020. Celle de Solidaires Informatique d’une part et celle du STJV de l’autre. La lutte contre le sexisme était alors « le sujet numéro un », rappelle Pierre-Etienne Marx. Dès la création du SJTV en 2017, « il y avait une commission diversité », ajoute-t-il. Celle-ci s’appelle aujourd’hui « lutte contre les oppressions », afin d’englober racisme, sexisme, LGBTphobies, validisme… L’objectif : faire vivre « des espaces où les personnes qui souhaitent s’exprimer sur ces sujets se sentent en sécurité ».

À Sud Éducation 93, le positionnement du syndicat en matière de racisme a créé de violentes polémiques… Avant de déboucher sur de la syndicalisation. En 2017, le syndicat organise un stage de deux jours durant lequel un atelier en mixité choisie, à destination des « personnes victimes de racisme », est mis en place. « Il s’agissait tout simplement de créer un espace où les premiers et premières concernées pouvaient avoir un espace à eux », explique Cybèle David, également syndiquée à Sud Éducation 93.

Dans sa plaquette de communication, le syndicat emploie également le terme « racisme d’État », insupportable pour le ministère de l’Éducation Nationale, qui porte plainte pour diffamation. Cette plainte a été classée sans suite. Mais le parquet a tout de même décidé d’ouvrir une enquête sur le syndicat. Il suspecte de potentiels faits de « discrimination » liés à ces réunions en non-mixité. La sûreté territoriale de Bobigny a auditionné 13 membres du syndicat en avril 2018.

« Sur le moment, ces polémiques ont été très violentes. Mais finalement, je pense que ça a permis d’accélérer les débats au sein du syndicat et fait avancer pas mal de monde. Ça a effectivement entraîné pas mal de syndicalisation de personnes racisées », conclut Cybèle David.

 

Baliser la voie « en écrivant du droit »

 

Enfin, de rares mais précieuses victoires sont parfois obtenues sur le terrain du droit. En 2016, sur le chantier de Breteuil (Paris 7ème), 25 ouvriers sans-papiers maliens du BTP ont tenu une grève de deux mois. Leur employeur avait refusé d’appeler les secours après un grave accident du travail survenu sur leur chantier. Une goutte d’eau qui avait fait déborder le vase. Après une lutte acharnée, ils avaient obtenu leur régularisation administrative, et leur réembauche par le donneur d’ordre du chantier. Mais le tribunal des prud’hommes les avait également reconnus victimes de « discrimination raciale systémique ».

« Cette victoire a été rendue possible parce qu’il y avait, sur ce chantier de Breteuil, toute une conjonction d’éléments. D’abord un sentiment collectif d’exaspération, transformé en une grève exemplaire. Mais aussi l’action du défenseur des droits et 300 pages de procès-verbaux de l’inspection du travail particulièrement édifiants. On y apprenait entre autres, pendant l’audition des employeurs, que les salariés maliens étaient appelés les “Mamadous”. Certes on est tombé sur des patrons qui n’étaient pas des prix Nobel et qui ont reconnu des choses que d’autres n’auraient jamais avouées », assure Maryline Poulain, secrétaire confédérale de la CGT en charge du collectif immigration, actif lors cette lutte. Pour la première fois, un tribunal reconnaît la « discrimination raciale systémique ». « En écrivant du droit, nous permettons à d’autres personnes de faire reconnaître cette discrimination », ajoute Maryline Poulain.

Depuis, la CGT a plaidé ce motif dans deux affaires. Les jugements n’ont pas encore été rendus. Celle de l’association Vies de Paris, soupçonnée d’avoir exploité des sans-papiers pendant plusieurs années. 52 d’entre eux ont porté plainte notamment pour « traite d’être humain ». Mais aussi dans l’affaire des 11 femmes ukrainiennes employées par V.I.P. Services-Conciergerie, un sous-traitant de HostnFly, une conciergerie dédiée notamment à la location Airbnb.

 

Maïa Courtois et Guillaume Bernard

 

* Pour protéger l’anonymat de l’interlocuteur, son prénom a été modifié.