La bataille des retraites a provoqué une recomposition du syndicalisme étudiant. Quelles sont désormais les forces en présence et quels sont leurs objectifs ?
La nouvelle est tombée en pleine bataille des retraites. « Dix-sept sections locales de l’Unef et huit membres de la direction nationale ont décidé de quitter l’organisation et de s’allier avec l’Alternative pour créer un nouveau syndicat étudiant : l’Union étudiante », explique l’ex-syndicat étudiant l’Alternative dans un communiqué publié début avril. D’un côté, on parle d’une « réunification du syndicalisme étudiant ». De l’autre, d’une scission au sein de l’Unef (Union nationale des étudiants de France) venue renforcer l’Alternative. Fort de cet afflux de militants, ce syndicat, créé en 2019, lui-même issu d’une scission de l’Unef, prend désormais le nom d’Union Étudiante (UE) et tient un congrès de fondation le 22 et 23 avril.
La naissance de l’Alternative
Sur quelles différences se base cette recomposition et que va-t-elle impliquer ? Pour comprendre les désaccords politiques, il faut remonter à la création de l’Alternative.
« En 2018, le mouvement contre Parcoursup a été le plus grand mouvement étudiant depuis le CPE. Mais on a constaté une incapacité à se coordonner nationalement. On pense qu’on perd là-dessus. On voit aussi que l’Unef prend un tournant assez apolitique. Elle n’a pas appelé à soutenir les gilets jaunes par exemple », explique Hugo Prevost, porte-parole de l’Union Étudiante et ancien membre de l’Alternative.
En 2019, un tiers des équipes locales de l’Unef décide alors de quitter l’organisation. Avec certains syndicats étudiants locaux, comme le SCUM à Montpellier ou l’Union Pirate à Rennes, ils s’unissent sous la bannière de l’Alternative. À la différence de l’Unef, ce nouveau syndicat adopte un modèle fédéraliste : chaque organisation locale compte, lors de l’élection du conseil d’administration ; et conserve une forte autonomie.
Quatre ans plus tard, difficile d’y voir clair dans la nouvelle scission de l’Unef intervenue début avril. « Il y a eu des faits de violences, un climat malsain, des tensions politiques », avance Hugo Prévost, également étudiant en master d’économie à Paris 13. Dans un article de France Inter, l’actuelle présidente de l’Unef, Imane Ouelhadj, évoque son burn-out et reconnaît certains torts. Elle explique également que « des logiques d’appareil » se sont mises en place et ont rendu inévitable la scission. L’Union Étudiante est ainsi soupçonnée d’être trop proche de la France Insoumise.
« Premier syndicat étudiant »
Tous les groupes locaux de l’Unef n’ont pas décidé de quitter le navire pour autant. Et le syndicat étudiant historique conserve une influence et une implantation locale. « On ne saura jamais ce qui s’est vraiment passé, ce qui est de l’ordre de la rumeur ou non. On a préféré prendre du temps pour militer plutôt que de penser à la scission », explique Flavie Quilan, présidente de l’Unef Amiens-Picardie. Les deux syndicats revendiquent pourtant le qualificatif de « premier syndicat étudiant », bien qu’il soit difficile de savoir lequel dispose du plus grand nombre de militants ou d’adhérents.
En outre, sur le plan des élections étudiantes, c’est un troisième syndicat, la Fage (Fédération des associations générales étudiantes), qui arrive en tête avec 6 élus au sein du CNESER (Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche) contre seulement 2 pour l’Unef et 2 pour l’Alternative. « La Fage s’appuie sur un réseau de 2 000 associations, souvent des BDE (bureau des étudiants) extrêmement développé et impliqué dans la vie sociale des universités ce qui lui assure un grand nombre de voix lors des les élections », détaille Felix Sosso, porte-parole de la Fage.
Les cartes pourraient vite être rebattues, avec la création de l’Union Étudiante, puisque les prochaines élections au CNESER ont lieu au mois de juin. Ces élections ne sont pas l’alpha et l’oméga du militantisme étudiant. « Mais elles permettent de faire entendre notre voix, de récolter des financements et de mesurer l’influence des syndicats étudiants », détaille Hugo Prévost.
Bloquer la fac : un levier moins utilisé par le syndicalisme étudiant ?
Quelle influence l’état du paysage syndical étudiant peut-elle avoir sur la mobilisation ? « On constate souvent que dans les universités où les syndicats sont faibles, un blocage dure moins longtemps », suggère Hugo Prévost.
Pendant le mouvement des retraites, les étudiants ont été nombreux dans les cortèges, notamment après l’annonce du 49.3 par Elisabeth Borne. Mais ils n’ont pas occupé durablement et massivement leurs université, comme cela avait pu se voir en 2018 dans le mouvement contre Parcoursup. Le blocage n’est plus présenté comme un moyen absolument incontournable pour se faire entendre.
« Il y a des facs, comme à Rennes 2, où ça fait partie du folklore et nous n’y sommes pas opposés. Mais bloquer pour bloquer alors que les étudiants ne le veulent pas toujours, nous n’y sommes pas favorables », précise Félix Sosso, le porte-parole de la Fage. Celui-ci se dit plus favorable à la banalisation des cours, les jours de manifestation. Du côté de l’Unef, « nous sommes pour le blocage lorsqu’on sait qu’il y a une issue derrière. On essaie de bloquer pour manifester », juge Flavie Quilan.
Étudiants et lycéens mobilisés : « une volonté de museler cette jeunesse par la violence »
Ces positions sont aussi la conséquence des nouvelles pratiques post-COVID mises en place par les universités lors de mouvements sociaux. « Les universités ont pris l’habitude de basculer les cours à distance quand il y avait risque de blocage, ou de tout simplement fermer. Obtenir la banalisation des cours n’est pas forcément une victoire, puisque cela conduit souvent à vider les facs et à réduire les moments où les étudiants peuvent s’organiser », argumente Hugo Prévost. Autre point qui explique la diminution des occupations de facs : le mouvement étudiant fait l’objet d’une forte répression.
Développer la solidarité sur le campus
Enfin, les 3 syndicats contactés ont tous insisté sur le fait de remettre au centre de leurs batailles l’aide aux étudiants précaires. Une conséquence du COVID, là encore. « Pendant cette période, nous nous sommes transformés en resto du cœur », raconte Hugo Prévost. Or la pratique n’a pas été perdue depuis : elle s’est même renforcée. « L’idée c’est de développer la solidarité sur le campus dans un contexte d’inflation », assure Flavie Quilan de l’Unef. À Amiens, son syndicat organise donc régulièrement des distributions de protections menstruelles lavables, ou propose des friperies. Enfin, la Fage mène un grand projet d’épicerie solidaire. Tout cela s’ajoute évidemment au travail constant d’assistance mené auprès des jeunes, tâche habituelle du syndicalisme étudiant.
Crédit photo : Serge d’Ignazio
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