étudiants et lycéens

Étudiants et lycéens mobilisés : « une volonté de museler cette jeunesse par la violence »

Depuis le passage en force du gouvernement par le recours au 49-3, la jeunesse revitalise le mouvement social dans les rues, en appui des secteurs bloquants. Mais les étudiants et lycéens font face, depuis mi-janvier, à une intensification de la répression. Présence policière démesurée, gazage, gardes à vue arbitraires ou pression administrative : la panoplie est large.

 

Depuis le recours à l’article 49-3, le 16 mars, les manifestations spontanées, largement portées par la jeunesse, s’enchaînent jour après jour à Paris et dans les grandes villes de France. Dans les universités, un regain de l’organisation étudiante s’observe. À Tolbiac (Paris I), qui se veut l’épicentre de la contestation étudiante dans la capitale, une AG a réuni près de 1000 participants lundi. Sous étroite surveillance policière.

Les vidéos de violences policières se multiplient sur les réseaux sociaux, ces derniers jours. Mais les lycéens et étudiants font face à des épisodes répressifs depuis déjà le 19 janvier. «Il y a une volonté de museler cette jeunesse par la violence, et une violence plus que manifeste aujourd’hui», dit Aurélie, parent d’élève au lycée Hélène-Boucher de Paris et membre du collectif Anti répression lycées, créé le mois dernier en Île-de-France.

Un des épisodes médiatisés de la séquence est la répression du blocage du lycée Racine (Paris) le 7 février. Ce jour-là, trois lycéens sont arrêtés et placés en garde à vue pendant une trentaine d’heures, un peu moins pour l’un d’entre eux. « Ça a été un des éléments déclencheurs pour s’organiser en collectif», souligne Cloé Buisson, enseignante au lycée Colbert (Paris), également membre d’Anti répression lycées.

Le 16 février, ce sont cinq lycéens de différents établissements parisiens qui se retrouvent en garde à vue. « Parmi eux, il y avait une lycéenne sous traitement médical, qui n’a pas pu avoir accès à ses médicaments que ses parents ont tenté de lui apporter au commissariat », dénonce Cloé Buisson. Une tribune du collectif revenant sur ces évènements est d’ailleurs publiée dans Libération le 7 mars.

 

Gardes-à-vue de mineurs

 

À Marseille, les lycées Thiers, Saint-Exupéry et Jean-Perrin ou encore le lycée Théodore-Ozenne à Toulouse connaissent également des répressions violentes d’actions de blocage. « Cela dépend aussi de la manière de réagir des chefs d’établissement », note Cloé Buisson. « Certains appellent par exemple la police dès qu’ils sont prévenus qu’un blocage va avoir lieu. »

À Lyon, « un policier s’est permis de tirer un flashball vers un lycéen, la semaine dernière. Le lycéen n’a pas eu besoin d’aller à l’hôpital heureusement », recense Gwenn Thomas-Alves, délégué national chargé de la Vie lycéenne à la FIDL (Fédération indépendante et démocratique lycéenne). À Marseille, les interpellations et gardes-à-vue de lycéens se multiplient tellement que l’ « on envisage d’y ouvrir une “legal team” locale », ironise le responsable syndical.

Rien que le 7 mars, huit mineurs étaient interpellés à Marseille, selon la FIDL, la CGT, Sud et la FSU. Parmi ces élèves, qui participaient au blocage du lycée Thiers, il y avait Matéo. Ce jeune homme, passé sur le plateau de BFMTV la veille pour parler de la mobilisation lycéenne, en avait profité pour dénoncer la répression policière. « Quand je me suis présentée mardi au commissariat (…) ils m’ont demandé : c’est bien votre fils qui est passé à BFM ? J’ai répondu oui. Et là ils m’ont dit : on l’a voulu, on l’a eu », raconte la mère de famille à France 3 Provence-Alpes

 

« Je ne me doutais pas qu’on leur faisait autant peur »

 

La répression policière se double parfois d’une pression interne dans les établissements. « Dans certains lycées, les élèves qui participent aux blocages sont systématiquement convoqués et signalés à leurs parents. Ils peuvent écoper de travaux d’intérêt général, voire être convoqués en conseil de discipline », rapporte Cloé Buisson. « Les jeunes font face à une répression policière, judiciaire et administrative et ne sont pas toujours au fait de leurs droits », s’inquiète Aurélie.

Celles et ceux identifiés comme les “leaders” du mouvement sont particulièrement visés. « Les renseignements territoriaux me suivent systématiquement en manifestation», témoigne Gwenn Thomas-Alves de la Fidl. Sur un des blocages de son lycée, l’un des agents lui a par exemple demandé si d’autres actions de ce type étaient prévues dans les prochains jours. {« Je lui ai répondu que lui et ses collègues avaient sans doute déjà les  infos, rapporte le syndicaliste lycéen. Il m’a gueulé dessus en disant : “maintenant c’est une discussion d’homme à homme”, qu’il allait “appeler tous ses contacts dans la police pour qu’ils viennent lever notre blocus”… Il m’a aussi dit : “de toute façon on connaît ton prénom, ton nom, tout de toi”».

Pour Gwenn Thomas-Alves, depuis le 19 janvier, « il y a une réelle peur de la part des services de l’Etat qui s’accentue, au vu des cas de répression policière », analyse-t-il. « Je ne me doutais pas qu’on leur faisait autant peur. Ça a un côté positif de se dire que c’est le cas. Mais sur le plan personnel, ce n’est pas rassurant… »

 

La peur de la police 

 

Conséquence de ces expériences : la crainte de la répression s’ancre dans l’esprit de nombreux jeunes. Sur le parvis du lycée Maurice-Urillo à Stains (Seine-Saint-Denis), Sila, en terminale, observe ses camarades stressés par leur épreuve de spécialité. Des enseignants, en grève de la surveillance du bac, prennent la parole au micro. Des banderoles sont accrochées aux grilles. Des slogans écrits à la craie sur le sol. Mais les lycéens défilent avec à peine un regard, seuls certains applaudissent en passant. « Il faudrait tout bloquer », soupire Sila. « Mais il n’y a pas assez de monde motivé. Les autres élèves ont peur des parents qui vont les engueuler. Ils ont peur de la police aussi ».

Sabrina, enseignante de physique-chimie, abonde : « Beaucoup de gamins ici ont des parents d’origine étrangère qui ont peur de la police, tout simplement. Il y a l’idée de ne pas faire de vagues. C’est très courageux de se mobiliser dans ce contexte ».

Dans les villes de banlieue du 93 et d’ailleurs, « cela fait des années qu’on est choqué par la répression. Je pense que tout le monde se souvient des images des lycéens de Mantes-la-Jolie fin 2018 », rappelle Cloé Buisson du collectif Anti Répression Lycées. Ces lycéens avaient été forcés à s’agenouiller par des policiers qui leur avaient lancé cette phrase : « Voilà une classe qui se tient sage ».

Cette peur existe aussi chez leurs aînés : les étudiants. Non loin du lycée Utrillo se trouve l’université de Paris-8, à Saint-Denis. Trois amis prennent l’air devant l’entrée. Parmi eux, Léa*, étudiante en musicologie :  « Je ne suis pas très imposante, je n’aime pas aller en manifestation toute seule. Du coup, je m’abstiens un peu. Des amis me racontent leurs mauvaises expériences avec la police, les gardes à vue pour un rien… Ça me fait un peu flipper. »

 

« Violence préventive »

 

La jeune femme cite le cas de Léo, étudiant à Paris 8, militant au NPA et à Révolution Permanente, placé en garde-à-vue puis déféré au tribunal. Ressorti au bout de 50 heures, le 19 mars, il a écopé d’une interdiction de manifester et d’un futur procès en septembre. À l’intérieur de Paris 8, dans un hall recouvert de tags où se tient une AG, Abel*, chargé de cours, voit en Léo un exemple parmi d’autres de la « violence préventive » exercée par les forces de l’ordre contre la jeunesse.

« Les mobilisations spontanées donnent du courage à tout le monde pour prendre en main le mouvement social. L’Etat l’a bien compris », analyse Abel. « Ils essaient de casser cette spontanéité de la jeunesse pour éviter que cela ne prenne de l’ampleur, que les travailleurs s’en saisissent pour y puiser du courage ». Il regrette d’ailleurs que « l’intersyndicale ne dise son soutien que du bout des lèvres à cette partie du mouvement – qui ne peut pas suffire, mais qui le revitalise ». 

Les cas de répression des étudiants se multiplient dans plusieurs villes. Le 7 mars à Grenoble, alors que le cortège étudiant rejoint la manifestation du centre-ville depuis le campus, « on a été arrêtés par un barrage d’une vingtaine de CRS. Ils nous ont ordonné de nous disperser et qui nous ont gazés avec des lacrymos », raconte Emma, présidente de l’Unef locale. « On a essayé de rester en groupe compact et de prendre un chemin sur le côté mais d’autres CRS sont arrivés par-derrière et nous ont matraqués », raconte-t-elle encore.

Les étudiants ont fini par échapper au dispositif « au bout d’une trentaine de minutes, après que la CGT ait fait pression sur eux en disant qu’ils ne feraient pas partir la manif sans nous. » Une intervention du même type a lieu deux jours plus tard, le 9 mars, à Nantes. Plusieurs associations et syndicats ont dénoncé à cette occasion « différentes violences et intimidations », après la levée d’un barrage filtrant sur le périphérique.

 

Des « policiers en tenue anti-émeutes » dans l’université

 

La répression s’installe aussi au cœur même des universités. Des dispositifs de contrôle drastiques, voire des fermetures complètes de bâtiments universitaires, ont eu lieu ici et là lors des mobilisations. Une forme de répression administrative visant à empêcher les actions de blocage et les occupations. On retrouve par exemple cette pratique le 10 février à Paris 1 Panthéon-Sorbonne ; ou le 7 mars à l’université Paul-Valéry à Montpellier.

En outre, le passage des cours en distanciel peut constituer un moyen de répression insidieux. « Certains enseignants n’hésitent pas à passer leurs cours en distanciel et à maintenir le contrôle continu sur les jours de mobilisation », explique Emma. Victor Mendez, président de l’UNEF à Nanterre fait le même constat : « La politique de répression du gouvernement passe d’abord par les présidences d’université qui essayent d’étouffer le mouvement en généralisant les cours à distance. »

Le 17 mars, à Grenoble, des étudiants ont envahi le hall d’entrée de la présidence pour exiger justement que le distanciel ne soit pas utilisé contre la grève. Le directeur général des services a proposé de recevoir une délégation de trois jeunes ; mais les 150 étudiants réunis dans le hall et à l’extérieur souhaitent un échange devant le groupe élargi. « Sinon, à chaque fois ils nous font de la langue de bois dans le bureau et on obtient rien », justifie Emma de l’UNEF.

C’est alors que les étudiants restés à l’extérieur alertent sur l’arrivée « d’environ cinq camions, pour un peu plus d’une vingtaine de policiers ». En apprenant, via des agents de sécurité, que le directeur général des services est « parti par une issue de secours, après avoir appelé la police », ceux occupant le hall prennent la décision d’en sortir. Face à eux : des « policiers en tenue anti-émeutes, entrés en bousculant un peu des camarades de l’extérieur », décrit Emma. « Ils n’ont pas eu à utiliser la force pour que l’on sorte. Mais ça nous a choqués », soutient la responsable de l’UNEF. « On chantait des slogans et un envahissement de la présidence, ça se fait régulièrement… Un cap a été franchi sur une action mineure ».

D’autres présidences d’universités n’ont pas hésité à faire intervenir les forces de l’ordre, comme à Strasbourg, Brest ou encore sur le site de l’EHESS à Aubervilliers, où 20 étudiants ont été placés en garde à vue le 23 janvier. « On a l’impression que les présidents d’université ont pour consigne de ne pas lâcher du lest sur l’organisation étudiante », conclut Emma.

 

Nils Hollenstein et Maïa Courtois