La mobilisation contre la réforme des retraites a entraîné des grèves très suivies, mais dans relativement peu de secteurs. Si la fonction publique, portée par les enseignants, ainsi que les entreprises semi-publiques comme la RATP et la SNCF sont entrées massivement en grève le 5 décembre, les salariés du privé ont eu bien plus de mal à débrayer massivement. Pourquoi ?
Dire que la mobilisation est inexistante dans le privé serait faux. L’industrie de la chimie, où la FNIC-CGT occupe une place d’importance a d’ailleurs été à l’avant-garde de la mobilisation contre les retraites. Dès le 22 octobre, ce syndicat qui pèse lourd au sein de la CGT a fait partie des fédérations qui ont lancé un appel à la grève reconductible à partir du 5 décembre, incitant la confédération à mettre le sujet sur la table.
Une parole suivie d’actes puisque depuis le 5 décembre sept des huit raffineries françaises ont multiplié les journées de grève et que la mobilisation dans la pétrochimie a dans son ensemble, tenu sur la durée. Le 16 décembre, le dépôt pétrolier de Fos a ainsi déposé un préavis de grève illimité et les salariés de la raffinerie Esso se sont prononcés en faveur de la grève. Le 17 décembre, nouvelle journée de mobilisation majeure, le carburant ne sort plus de l’usine. Enfin, Fluxel, filiale pétrolière du Grand port maritime de Marseille, est en arrêt de travail pour 24 heures.
Outre les raffineries, la CGT-Sanofi, également affiliée à la FNIC, revendique de forts taux de grévistes. Sur le site d’Ambarès (Gironde) où sont mis en forme des médicaments tels que la Dépakine, « il y avait 200 grévistes au 5 décembre sur 650 salariés, dont 90 cadres », explique Patrick Rojo, délégué syndical central de la CGT-Sanofi. « Nos appels à la grève ont été bien suivis les jours de manifestation, pour la reconduction cela a été plus compliqué. Certains salariés ont tout de même organisé un roulement. Cela a forcément atteint la production », conclut-il.
« Les grèves dans la pétrochimie sont un atout majeur. Quand on met à l’arrêt une grosse usine, ne serait-ce qu’une demi-journée, elle peut mettre une semaine à redémarrer. Il faut voir le potentiel de blocage de l’économie que cela représente. Néanmoins, ces gros secteurs industriels sont des points de fixation nécessaires mais insuffisants, il faut que les plus petites structures s’y mettent aussi. A Marseille, on voit ces dynamiques se créer dans les gros collectifs : les gros supermarchés, le transport… mais on sait que lorsque les collectifs de travail sont plus petits, avec beaucoup de sous-traitance, comme dans la construction par exemple, cela devient beaucoup plus difficile », déclare un militant de la CGT Bouches-du-Rhône.
Mobiliser en dehors des gros secteurs industriels
A Toulouse, un syndicaliste de la CGT déplore lui aussi la faible mobilisation dans le privé. « Aux réunions de préparation du 5 décembre, il y avait vraiment trop peu de boîtes du privé représentées ». En cause selon lui, une erreur stratégique des directions syndicales : « En octobre, on nous a dit que la priorité c’était les élections professionnelles. Très bien, on s’est mis à bosser là-dessus. Avec l’apparition des CSE tout a changé il faut former les nouveaux élus en partant pratiquement de zéro, c’est long. Or en novembre, on nous dit que le plan n’est plus le même : il faut préparer la grève générale. Mais on ne construit pas une grève en si peu de temps, qui plus est juste avant Noël alors qu’on sait que ça va être dur de mobiliser ! Dans les boîtes, fin novembre voire début décembre, on était encore en élection, on n’a pas eu le temps de faire le travail alors qu’il y a un vrai potentiel de grève ! Un potentiel qui fait peur aux patrons. Le 5 décembre, ceux qui se sont mobilisés, ce sont les secteurs ulcérés, les profs, les cheminots.. Ils y sont allés avec leurs tripes, pas parce que la grève avait été construite chez eux. Si on veut que ça bouge dans le privé, il va falloir travailler pour que ça prenne en janvier. »
Un tract par trimestre
Dans le tertiaire, mobiliser est une tâche ardue. « C’est très difficile de mobiliser », admet un syndicaliste SUD-SFR. « Le premier obstacle, c’est que les salariés ne sont pas informés de leurs droits. Pour le dire plus simplement, ils ne savent pas comment faire grève », explique le militant. L’UES (unité économique et sociale) SFR est un vivier considérable de travailleurs, puisqu’elle réunit 9000 salariés en France, pourtant elle passe complètement sous les radars des syndicats de lutte. « 53% de nos salariés sont à Paris, mais nous n’avons pas d’équipe syndicale là-bas. Pour mobiliser, nous avons le droit d’envoyer 1 tract par mail à tous les salariés tous les trimestres. Nous avons donc attendu le 5 pour le faire », poursuit ce même syndicaliste.
« Dans notre boîte, c’est l’UNSA qui est majoritaire, suivi par la CFDT. Les syndicats qui sont foncièrement contre la réforme tels que SUD ou la CGT ne sont pas représentatifs. Pour ce qui est de connaître ne serait-ce que notre taux de grévistes les jours de manifestation… Nous avons du mal à évaluer la portée de nos appels, j’ai demandé les chiffres des grévistes à la direction pour le 5 décembre ils ne me les ont pas donnés. Enfin, il faut savoir que chez SFR nous avons une spécificité : 80% des travailleurs sont cadres. La direction nous fait croire à un monde où nous sommes des salariés libres, où nous prenons des décisions. C’est une illusion, beaucoup d’entre nous sont simplement des cadres exécutants et ne décident de rien. » Le syndicaliste conclut pourtant sur une note positive. « Avec cette séquence ouverte le 5 décembre, des gens nous contactent pour savoir si nous allons relancer un appel. Je suis agréablement surpris. »
Faisons face ensemble !
Si les 5000 personnes qui nous lisent chaque semaine (400 000/an) faisaient un don ne serait-ce que de 1€, 2€ ou 3€/mois (0,34€, 0,68€ ou 1,02€ après déduction d’impôts), la rédaction de Rapports de force pourrait compter 4 journalistes à temps complets (au lieu de trois à tiers temps) pour fabriquer le journal. Et ainsi faire beaucoup plus et bien mieux.