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Second tour : les syndicats marchent sur des oeufs


Entre interprétation rigoureuse de la charte d’Amiens, volonté de faire barrage à l’extrême droite et appel au vote Macron, les syndicats mènent un jeu d’équilibristes dans l’attente du second tour. Si aucun n’incite à voter Marine Le Pen, seule la CFDT appelle franchement à voter Macron. Chez les autres, on choisit méticuleusement ses mots.

 

« Donc le 24, ni abstention, ni Le Pen, ni blanc, ni nul ». Cette consigne adressée aux adhérents de l’UNSA est de Laurent Escure, son secrétaire général. Elle témoigne d’un certain sens de l’esquive. Mais aussi, et surtout, de la ligne de crête sur laquelle se tiennent nombre d’organisations syndicales dans cet entre-deux tours

Pour l’ensemble des syndicats, la question se pose : que dire aux adhérents (10,3 % des salariés français selon les derniers chiffres de la DARES), face à la répétition du scénario de 2017 ? D’un côté, la responsabilité face à la montée de l’extrême droite est historique. Selon les propres mots de la direction confédérale de la CGT, celle-ci est « aux portes du pouvoir »

D’un autre côté, difficile d’appeler à voter pour celui que l’on a combattu pendant cinq ans. « Les gouvernements Macron au service des plus riches n’ont fait qu’augmenter le désespoir et la pauvreté », rappelle Solidaires dans son communiqué. Les politiques menées ont constitué, aux yeux du syndicat, un « tremplin pour l’extrême-droite ».

Face à ce dilemme, une formule quasi magique, déjà employée par Jean-Luc Mélenchon le soir du premier tour, permet de sortir du débat la tête haute : « pas une voix à l’extrême droite ». C’est cette formule que les directions des syndicats dits de « transformation sociale » – CGT, Solidaires et FSU -, ont choisi d’employer dans leurs déclarations publiques et communiqués respectifs en ce début de semaine. 

 

CGT, Solidaires, FSU : « pas une voix pour l’extrême-droite »

 

Depuis la charte d’Amiens, à laquelle souscrivent ces organisations syndicales, l’intervention du syndicalisme dans le jeu politique est toujours un sujet sensible. L’enjeu : « qu’il n’y ait pas de confusion entre les partis politiques et les syndicats. Nous portons un syndicalisme indépendant », défend Murielle Guilbert, co-déléguée générale de Solidaires. L’idée est aussi de ne pas diviser les adhérents, qui restent « engagés dans différents partis politiques, et c’est leur choix, leur liberté », continue la syndicaliste.

Chez Solidaires, FSU et à la CGT, il faut donc montrer que l’extrême-droite n’est pas un ennemi comme les autres, sans donner de blanc seing à Emmanuel Macron. Lors de son comité national du 6 et 7 avril, l’union syndicale Solidaires s’était préparée au scénario Macron versus Le Pen. « Il n’y pas eu de grosse discussion. Parce que pour nous, l’extrême-droite n’est pas un parti comme les autres. On le combat historiquement. Mais on n’a pas non plus appelé à faire barrage, car c’est une expression qui implique d’aller voter Macron », explique Murielle Guilbert. Dans un communiqué daté du 12 avril, la CGT a quant à elle réaffirmé : « notre organisation est indépendante mais pas neutre, elle porte une histoire et des valeurs collectives opposées à celles de l’extrême-droite. » 

De son côté, la FSU n’a pas encore publié de communiqué mais anticipe déjà un texte du même ordre. « On se donne un peu de temps avant de publier une position commune. Ce qui est sûr c’est qu’on fera un appel sur le registre “pas une voix à l’extrême droite”. On ne pourra pas écrire qu’il faut voter Macron, ce serait aller beaucoup trop loin dans l’idée qu’il puisse être un rempart à l’extrême droite, alors qu’il l’a renforcé. C’est aussi une manière de dire qu’on comprend ceux qui ne veulent pas voter Macron… Même s’il ne faudrait pas que tout le monde fasse ça », expose Benoît Teste, secrétaire général de la FSU.

Les sympathisants de ces trois syndicats (non pas les adhérents, mais ceux qui s’en « sentent proches ») ont massivement voté Jean-Luc Mélenchon, selon un sondage Harris Interactive pour Liaisons sociales Quotidien, publié lundi. Pour autant, le vote Marine Le Pen progresse par endroits. 22 % des personnes s’estimant proches de la CGT ont voté pour la candidate du Rassemblement National en 2022, selon le sondage ; contre 15 % en 2017. 

« Ce sondage est à prendre avec des pincettes. On parle de sympathisants plus que d’adhérents voire de militants. Chez eux, je suis convaincu que le vote pour l’extrême droite reste marginal. Le faux discours social du RN ne trompe personne à la CGT », analyse un militant CGT, sous anonymat. Une imposture sur laquelle Solidaires insiste d’ailleurs dans son communiqué : « il n’y a aucune réponse pour améliorer nos vies chez le RN qui travestit son programme néolibéral par un affichage social (en particulier sur les retraites) mais c’est un piège grossier et dangereux ! »

 

Divergences au sein de la CGT

 

« Je m’inquiète d’une tendance à la banalisation de l’extrême droite chez certains syndicalistes CGT. L’exaspération est telle qu’on entend parfois dire : si c’est Marine Le Pen qui passe, c’est la même chose que si c’était Macron. Autre sujet d’inquiétude : il y a une impréparation totale du monde syndical en cas de victoire du RN », confie toutefois ce même syndicaliste CGT anonyme. 

Preuve de ses divergences internes : la fédération CGT de la chimie (FNIC) a publié un communiqué dont la tonalité diffère de celui envoyé par la confédération. Il renvoie dos à dos Emmanuel Macron et Marine Le Pen sans que l’un des deux ne soit considéré comme plus dangereux que l’autre. Intitulé « ni choléra ultralibéral ni peste identitaire », le communiqué de la FNIC (fédération connue pour son opposition à la ligne de Philippe Martinez) affirme que « la ligne de l’inacceptable ne passe pas entre l’extrême droite et le reste de l’échiquier politique » ou encore que « Macron le banquier est notre ennemi mortel au même titre que Le Pen ».

Au-delà de la CGT, les syndicalistes le sentent bien : l’argument de l’ennemi historique ne fait plus autant mouche que par le passé. « On le voit bien : il n’y a pas de grandes manifestations entre les deux tours pour s’opposer à l’extrême-droite. Le niveau de banalisation ne suscite plus de réaction », fait remarquer Benoît Teste de la FSU. Un constat éprouvé tant les dernières manifestations contre l’extrême-droite ont peiné à rassembler plus de quelques milliers de personnes, à Paris ou ailleurs. 

 

La CFDT, seul syndicat à appeler clairement à voter Macron

 

Dans la troisième force syndicale du pays, Force Ouvrière, la messe est dite depuis longtemps. Le syndicat adopte la même position qu’à la précédente élection présidentielle : pas de consigne de vote. « Nous faisons une interprétation très rigoureuse de la Charte d’Amiens, mais si nous ne donnons pas de consigne de vote, nous sommes contre le racisme et la xénophobie », explique Pascal Miralles, secrétaire général FO chimie 69. 

Selon le sondage Harris, le vote pour Marine Le Pen est particulièrement fort chez les personnes se disant proches de Force ouvrière puisqu’il s’élève à 31 %.  En 2017, dans la même enquête, il atteignait déjà 24% chez ses sympathisants. À la différence de la CGT, Solidaires et la FSU, FO syndique fortement au sein de la police, qui vote largement en faveur de l’extrême droite.

Du côté de la CFE-CGC et de la CFTC, il n’est pas certain non plus que des consignes soient émises. La CFE-CGC n’en a pas donné pour l’heure, comme à son habitude. ​​« Les consignes de vote, c’est dépassé » a estimé de son côté Cyril Chabanier, président de la CFTC, auprès de l’AFP. « Quand on connaît nos positions, les valeurs de la CFTC, je pense que nos adhérents sont à l’opposé de ce que propose Le Pen », précisait-il. Une position officielle pourrait néanmoins être donnée à l’issue du conseil national du syndicat, qui se tient ce mercredi et jeudi, selon Les Echos.

La CFDT fait figure d’exception dans le paysage syndical des consignes de votes. Dans un communiqué paru le soir même des résultats du premier tour, le syndicat demande à ses adhérents de « battre la candidate du Rassemblement national en votant pour Emmanuel Macron ». Avant de préciser tout de même que cette consigne « ne vaut ni approbation du bilan du président sortant ni adhésion à son programme ».

 

« C’est dans la rue que ça va se jouer »

 

« Vu les perspectives, c’est dans la rue que ça va se jouer. Les luttes sociales vont être encore plus importantes », conclut Murielle Guilbert de Solidaires. La Marche des Solidarités appelle à une manifestation, samedi 16 avril, contre l’extrême-droite. Plusieurs syndicats envisagent d’y participer. « Avoir une expression dans la rue dès samedi nous paraît sensé, mais l’enjeu, c’est d’avoir un cadre unitaire fort », explique Murielle Guilbert. 

C’est dans cette perspective qu’une réunion nationale entre organisations du mouvement social, organisée par la Ligue des Droits de l’Homme, s’est tenue ce mardi 12 avril. Elle a rassemblé syndicats, associations et collectifs féministes, antiracistes et écologistes, afin de mettre en place des mobilisations communes contre la montée électorale de l’extrême-droite. Côté syndicats la CGT, la FSU et Solidaires y participaient. « L’urgence d’une riposte la plus large possible signifie que les divergences d’analyse et de positionnement ne doivent pas être un obstacle à la mobilisation », encourageait, en amont de la réunion, la Marche des Solidarités.  A son issu, les participants ont décidé qu’une manifestation contre l’extrême droite et ses idées et contre l’élection de Marine Le Pen à l’Elysée aurait lieu ce samedi à Paris. Ses modalités restent à préciser.

 

Maïa Courtois et Guillaume Bernard