Emmanuel Macron affrontera pour la seconde fois Marine Le Pen dans un second tour de présidentielle, qui cette fois s’annonce serré. Ce résultat confirme la quasi-disparition des deux partis ayant structuré la vie politique sous la Ve République. Fini le parti de droite, héritier du gaullisme. Fini le parti social-démocrate, devenu social-libéral. À la place, une nouvelle droite au centre du jeu, une nouvelle offre sociale-démocrate plus à gauche. Et surtout : une extrême droite dépassant 30 % des votes exprimés au premier tour.
A peine plus de 600 000 voix pour Anne Hidalgo (1,7 %), plaçant le Parti socialiste derrière un Parti communiste qui n’en finit pas de mourir depuis 20 ans. À peine mieux à droite pour Les Républicains : 1,67 million de suffrages en faveur de Valérie Pécresse (4,8 %), contre 7,2 millions en 2017 pour un François Fillon, pourtant englué dans les scandales. Le tout sur quelque 36 millions de votants dimanche 10 avril 2022. Une Bérézina pour les deux partis sortis en tête lors des élections régionales et départementales de 2021, incapables aujourd’hui de représenter la moindre alternative politique nationale. A la place des deux formations socles de la vie politique française depuis 60 ans : Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Ainsi, pour reprendre la formule de l’entre deux guerres de Gramsci : « le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair obscur surgissent des monstres ».
Le candidat du « en même temps de droite et de gauche » de 2017, vainqueur par effraction de la présidentielle il y a cinq ans, confirme lors de ce premier tour être au centre du jeu, réunissant 9,78 millions de voix (27,8 %). Soit plus d’un million de plus qu’en 2017. Une progression qui montre le succès de sa stratégie de fracturation de la droite et de la gauche, en même temps. Après avoir rallié et asséché une partie du camp Hollande, il a tellement réduit l’espace politique entre lui et l’extrême droite qu’il ne reste presque rien du parti Les Républicains aujourd’hui. Et le peu qui reste va encore se diviser entre ceux qui voudront sauver leurs postes en ralliant le maître de l’Élysée et ceux tentés par la construction de l’union des droites avec les héritiers du fascisme à la française.
L’ovni Macron de 2017 est devenu le monstre de 2022. Sa nouvelle droite, ou son nouveau centre-droit aux contours ambigus est totalement pro-patronale, plus DRH en chef de l’entreprise France que gaullienne. Elle assume l’arrogance de sa classe d’origine, le mépris et la certitude de son bon droit à gouverner et ne s’embarrasse pas de précautions, au point de faire de l’âge de départ à la retraite à 65 ans le marqueur de son programme après deux ans de pandémie. Mais c’est aussi une nouvelle droite aux références confuses, quand Emmanuel Macron affirme placer les devoirs avant les droits ou invoque les théories du « pays réel » face au « pays légal », chères au dirigeant historique de l’Action Française, Charles Maurras.
L’extrême droite aux portes du pouvoir
Face à lui, l’extrême droite a tellement élargi son espace politique, qu’elle a pu présenter plusieurs candidats tout en accédant au second tour. Marine Le Pen enregistre cette fois-ci 8,1 millions de voix (23,15 %). Elle en gagne 450 000 par rapport à 2017, malgré la concurrence d’Éric Zemmour qui finit quatrième, avec presque 2,5 millions de suffrages (7,07 %). En ajoutant Nicolas Dupont-Aignan, qui, comme la tête de gondole de Reconquête, a annoncé dès les premiers résultats son ralliement à Marine Le Pen, l’extrême droite totalise plus de 11 millions de voix dimanche 10 avril 2022. Soit presque un million de plus que le nombre totalisé par Marine Le Pen au second tour de 2017.
Ainsi, pour le 24 avril prochain, la représentante du Rassemblement national peut compter sur un réservoir de voix au moins aussi important qu’Emmanuel Macron, pour lequel Valérie Pécresse, Fabien Roussel, Yannick Jadot et Anne Hidalgo ont appelé à voter au second tour. Surtout que le report de voix de gauche vers l’actuel président fera grincer des dents, tant le vote barrage contre l’extrême droite souffre d’avoir été utilisé jusqu’à la corde par différents partis politiques pour se maintenir au pouvoir, puis mener leur propre agenda en se prévalent d’un mandat issu des urnes. Il n’est donc pas vraiment surprenant de voir les premiers sondages pour le second tour donner un écart de seulement un à deux points entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. La clef du scrutin résidera probablement dans le niveau de report des voix de gauche et la mobilisation des abstentionnistes, qui restent le premier parti de France, avec 12,8 millions d’inscrits ne s’étant pas déplacés dimanche.
Décompositions, blocs et recompositions
Quel que soit le résultat du second tour de la présidentielle, la prise à bras le corps des enjeux climatiques, pourtant essentiels – le GIEC fixé à trois ans le temps pour inverser la courbe des émissions des gaz à effet de serre – ne passera pas par les urnes. Aucun des deux candidats n’est prêt à interroger en profondeur le niveau de production de biens et services, la croissance de l’économie et le « consommer plus pour produire plus, pour que quelques-uns gagnent plus ». Quitte à en crever ! De même, les deux prétendants ne modifieront pas une répartition des richesses et un ruissellement qui fonctionnent à l’envers : de ceux qui ont peu vers ceux qui ont tout. La dépossession démocratique ne sera pas davantage à l’ordre du jour sans parler de la question du racisme et de celles des discriminations et des oppressions de genre.
En attendant que ces sujets redessinent les contours des dynamiques sociales et politiques après-demain, nous aurons droit demain à une recomposition autour de trois blocs aimantant la vie institutionnelle. Le social-libéralisme, même agrémenté d’écologie ne se relèvera pas et subira l’attraction du bloc Macron d’un côté et celui du bloc Insoumis (22, %) de l’autre. Ce dernier, avec une offre sociale-démocrate renouvelée, en ce qu’elle propose de changer la société par la prise du pouvoir dans le cadre institutionnel actuel, essaiera d’élargir une adhésion à ses propositions, qui est en deçà des suffrages recueillis dimanche. De l’autre côté de l’échiquier politique, le bloc d’extrême droite a conquis plus de 30 % de l’électorat. Et réalisé le vieux rêve de Le Pen père : tuer la droite, ou au moins sa version gaulliste.
La suite, dans les semaines qui viennent, sera faite de multiples tripatouillages en vue des législatives. Pour sauver sa place ou un groupe à l’Assemblée nationale pour certains. Pour gagner quelques élus ici ou là pour d’autres. Mais les nouveaux blocs sont déjà là et ne demandent qu’à prendre toute la place. À moyen terme, ceux qui ne sont pas dedans risquent de disparaître totalement du jeu institutionnel.
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