C’est une lutte à la fois singulière dans le paysage du mouvement social et exemplaire dans sa longévité : le Planning Familial de Gironde entame sa sixième semaine de grève reconductible. Les salariées défendent la nécessité de porter une grille de lecture féministe sur la réforme des retraites. Et perçoivent cette grève comme une continuité de leur engagement pour les droits des femmes et des minorités.
« Une évidence » : c’est ainsi que les salariées du Planning familial de Gironde, basé à Bordeaux, présentent leur entrée en grève reconductible le 7 mars et son maintien pour la sixième semaine consécutive. Après avoir participé aux journées de mobilisation contre la réforme des retraites en janvier et février, l’entrée en grève reconductible de 100 % des salariées a été décidée.
Cette réforme les concernent au plus haut point, estiment-elles. D’abord, « parce que le monde du travail social et associatif est majoritairement composées de femmes et de personnes en minorités de genre », pointe Pauline, la chargée de communication, salariée depuis deux ans et demi. Carrières hachées, bas salaires : les femmes constituent les grandes perdantes de la réforme.
Les publics que le Planning familial accompagne au quotidien « font également partie des catégories particulièrement discriminées par cette réforme », ajoute la salariée. En outre, la pérennité des emplois au Planning est menacée selon elle : « nos conseils d’administration sont composés de beaucoup de jeunes retraitées. Sans ces jeunes retraitées, pas de CA, pas d’emplois ».
Au Planning Familial, « on arrête de laisser les autres faire à notre place »
Dans le travail social et médico-social, se mettre en grève n’a pourtant rien d’évident. Pris dans un quotidien d’accompagnement à flux tendu, beaucoup de travailleuses et travailleurs de ce secteur n’envisagent même pas cette modalité de lutte. « Cela implique de se décharger du poids de la responsabilité : ce n’est pas simple de lâcher », admet Pascale, conseillère conjugale et familiale du Planning, intervenant surtout en milieu rural dans le sud de la Gironde.
Au vu de la difficulté de se mobiliser dans ce secteur – y compris en raison des bas salaires, qui y sont monnaie courante -, « notre grève est un choix éminemment politique », affirme Pauline. « On aurait pu décider de faire les manifs une fois par semaine, d’envoyer de l’argent aux raffineries… Mais on s’est dit : on arrête de laisser les autres faire à notre place, on prend nos responsabilités ». Cette grève, « c’est la continuité de nos missions », complète Pascale.
S’agissant des personnes accompagnées, des arrangements sont trouvés au jour le jour. « Que ce soit pour un suivi lié à des violences ou pour une IVG, on allie la gestion des urgences et notre grève », explique Valérie, secrétaire du Planning de Gironde et écoutante depuis huit ans. Tout est une question d’équilibre. D’un côté, « on est visibles sur notre piquet : donc si quelqu’un vient nous voir, on ne va pas dire « non madame, on est en train de faire grève » ». D’un autre côté, la charge de travail moins urgente est laissée, en trouvant du relais.
Aujourd’hui, elles restent 70 % des effectifs du Planning de Gironde à être encore en reconductible. Celles qui ont regagné leurs postes gèrent donc les rendez-vous et suivis. Ces salariées à leur poste continuent tout de même de participer aux journées interprofessionnelles. « On était 100% de grévistes jeudi dernier, on le sera encore sans doute ce jeudi », indique Pauline.
La représentation de la grève « a été masculinisée »
Participation aux blocages d’universités, actions communes avec la CGT Énergie, déplacements sur les piquets de grève des autres secteurs en lutte… Les grévistes du Planning sont pleinement intégrées au réseau régional des professionnel.les en lutte.
Au fil des semaines de reconductible, leurs modes d’action évoluent avec les décisions prises par les AG interprofessionnelles ainsi que par l’AG féministe initiant, à chaque manifestation, un cortège féministe au sein du cortège syndical. « On s’adapte, en fait. Par exemple, demain il y a la venue de Darmanin : on va bousculer un peu notre agenda pour participer aux actions », explicite Valérie.
L’idée est aussi de partager avec les autres secteurs une expertise féministe de la grève. Des soirées-débats ont été organisées autour de films comme « We want sex equality », sur la grève des ouvrières de l’usine Ford en 1968. « Les femmes ont toujours fait grève. C’est juste la représentation de « faire grève » qui a été masculinisée », insiste Pauline. Des stands de prévention autour des violences sexistes et sexuelles ont aussi été tenus sur les campus mobilisés.
« Il y a des personnes évoluant dans le milieu militant depuis longtemps qui viennent échanger avec nous », soulève Alice, animatrice de prévention depuis quelques mois au Planning. « Des syndicalistes viennent nous voir pour nous dire : « on accueille des personnes subissant telle ou telle discrimination, comment on peut travailler ensemble pour la suite »…
Tenir moralement
Quelle suite donner, justement, à cette reconductible à la fois singulière et bien ancrée dans le paysage local ? « On veut tenir la ligne, en tant que meufs, en tant que militantes féministes. Pour que notre voix se fasse entendre dans la grève. Si les autres secteurs tiennent, on va tenir avec eux, jusqu’au bout », martèle Pauline. Pour se faire, une caisse de grève a été lancée il y a une dizaine de jours. Les grévistes du Planning organisent un concert de soutien ce jeudi dans le sud du département.
Mais au-delà de cet aspect financier, et des réactions du mouvement social à la décision du Conseil Constitutionnel et au vote du référendum d’initative partagée en fin de semaine, la continuité de cette lutte dépend d’un autre facteur. Celui du moral des troupes. Une reconductible est faite « de hauts et de bas. Des moments de grande excitation et des moment de doute, où l’on a envie que ça s’arrête. Personnellement, c’est mon militantisme qui me porte », confie Pascale.
« L’opinion publique est dans notre poche : l’enjeu, c’est plutôt de continuer le lendemain, tenir, tenir, alors qu’en face on nous renvoie de l’inflexibilité… C’est difficile de se projeter », souligne Pauline. Alors les discussions sur les piquets, les cafés échangés ou les soirées ciné, « ça paraît léger, mais c’est essentiel pour le moral ».
Et puis, ces grévistes le savent : quoi qu’il advienne, cette lutte n’aura pas été vaine. Rien que dans leurs échanges avec les collègues des Planning d’autres départements, des discussions s’ouvrent sur les conditions de travail, les salaires. « On réfléchit à comment se fédérer pour la suite en tant que salariées, pour l’avancée de nos droits sociaux à nous », glisse Pascale.
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