Travailleurs au statut précaire : «  quand vient la crise, on n’est plus rien !  »


 

Droits au chômage : épuisés ou bientôt consommés. Perspectives de travail : aucune. Chômage partiel : demande refusée par les employeurs. Des dizaines de milliers de travailleurs au statut précaire sont aujourd’hui essorés par la crise et le manque total de considération. Témoignages.

 

Leurs employeurs les ignorent et refusent de les placer en chômage partiel. Ils n’ont droit à aucune mesure d’urgence. Et la réforme de l’assurance chômage les achève. Ils sont guides-conférenciers, extras dans la restauration ou encore accompagnateurs de tourisme d’affaire. Depuis des mois, ils se sentent invisibles. Oubliés. Leurs points communs : avoir plusieurs employeurs et enchaîner les CDD ou CDDU, des contrats d’usage permettant de recruter un salarié pour quelques heures ou plusieurs jours. D’autres sont devenus autoentrepreneurs. Rarement par choix : de plus en plus d’employeurs les poussent vers ce statut pour se libérer du paiement des cotisations sociales.

Julie* est accompagnatrice de tourisme d’affaire. Elle ne travaille plus depuis février, depuis l’annulation de missions en Asie. La suite est un château de cartes qui s’effondre. « Toutes les opérations annulées, les unes après les autres » déplore la quadragénaire. « La plupart de mes employeurs ont joué le jeu et m’ont placée en chômage partiel. Mais ce n’est pas le cas d’une agence avec laquelle je devais travailler à la rentrée. Pour le congrès d’un gros groupe pharmaceutique français. Tout était calé, j’avais donné mon accord à la proposition écrite formulée par mail. Mais l’agence ne veut rien entendre. Nous sommes une dizaine dans ce cas. Et on ne va pas se laisser faire. »

 

« Les plus grosses agences ne jouent pas le jeu »

 

Julie est loin d’être un cas isolé. De nombreux salariés en CDDU se voient refuser le chômage partiel. « On leur dit qu’ils n’y ont pas droit, mais c’est mensonger ! Un écrit, mail ou sms, qui propose des dates et un lieu de travail, c’est une promesse unilatérale d’embauche ! Ne pas l’honorer, c’est une rupture abusive de contrat » s’agace Patrick Pavesi. Il est le président de la FMITEC, fédération des métiers intermittents du tourisme, de l’événementiel et de la culture. C’est une association, fondée tout récemment et vouée à devenir un syndicat. Patrick Pavesi est lui-même guide-conférencier. Une profession en grande souffrance depuis l’apparition de la pandémie. Les sites touristiques et les musées rouvrent peu à peu, mais les visites en groupe restent souvent interdites. Laissant les guides sans travail. Et trop souvent, sans chômage partiel.

« J’avais une saison magnifique, si vous saviez ! J’étais tellement contente ! » confie Camille*, guide-conférencière depuis près de vingt ans. Elle travaille régulièrement pour plusieurs agences de tourisme et bataille avec l’une d’elles pour être placée en chômage partiel. « Nos plannings détaillés avec les dates, les horaires et les types de visites étaient calés depuis l’hiver dernier ! Mais cette agence nous ignore. Nous sommes plusieurs dizaines à essayer de négocier. Ce n’est pas normal d’en arriver là. » Camille est écœurée. Elle dénonce un système où les employeurs se sentent en position de force. « Ils savent qu’on va leur manger dans la main quand l’activité reprendra. Ils savent que beaucoup de guides vont se taire pour ne pas se griller. » Elle remarque une chose : « Ce sont les plus grosses agences qui ne jouent pas le jeu. »

Un constat partagé par Hervé, accompagnateur de tourisme d’affaire depuis plus de 30 ans. « Les petites agences ont toutes été solidaires. Mais pour les grosses boîtes, nous sommes la dernière roue du carrosse. » Hervé a décidé d’attaquer l’un de ses employeurs pour rupture abusive de contrat. S’il gagne, il sait qu’il n’empochera pas grand-chose. Il le fait par principe. « Quand tout va bien, on est des collaborateurs. Quand vient la crise, bizarrement on n’est plus rien ! » Hervé est sans activité depuis février. Il a encore un peu de droits au chômage, mais ça ne durera pas éternellement. « Si je ne retravaille pas, je n’aurai bientôt plus rien. »

 

La reconnaissance du statut « d’intermittent du travail »

 

Julie est dans cette situation. Elle n’a plus d’allocations et ne peut pas recharger de droits à cause du premier volet de la réforme d’assurance chômage, entré en vigueur en novembre 2019. Il impose six fois plus d’heures pour ouvrir ou recharger des droits. L’avenir est terriblement angoissant : « Pour nous, c’est très clair, on ne va pas retravailler avant -au moins- le printemps 2021. Pourquoi ne bénéficie-t-on pas des mêmes aides que les intermittents du spectacle ? Eux, devraient bénéficier d‘une année blanche pour leurs allocations chômage. »

Cette revendication est d’ailleurs portée par la FMITEC et le CPHRE, collectif des précaires de l’Hôtellerie – Restauration et Événementiel. Un mouvement né, lui aussi, en pleine crise sanitaire. Ils militent pour la reconnaissance du statut « d’intermittent du travail » ou « intermittent hors spectacle ». Auparavant, ces salariés qui cumulent les CDDU dépendaient d’une annexe spécifique de l’assurance chômage (l’annexe 4). Leurs particularités étaient prises en compte dans le calcul de leurs droits. En 2014, ils ont été basculés dans le régime général. Noyés dans la masse.

« Le gouvernement nous appelle les permittents. Nous sommes rangés dans la case des travailleurs précaires » déplore Julie. « Je n’aime pas ces termes. Je fais un vrai métier, pas un job d’été ! J’ai un savoir-faire, je parle trois langues. Mais mon métier n’existe pas en CDI. Par principe, il s’exerce au travers de missions ponctuelles. » Des métiers qui subissent aujourd’hui la double peine. Pris en étau entre des employeurs qui refusent de les considérer. Et un gouvernement qui s’en prend frontalement aux intermittents du travail avec sa réforme d’assurance chômage.

Une réforme dont on attend toujours la nouvelle version. Fin avril, l’ex-ministre du Travail avais promis des « adaptations rapides ». Nous serons finalement fixés… fin juillet.

 

* Le prénom a été modifié à sa demande