Vie chère en Martinique : seconde phase de mobilisation après l’adoption d’un protocole

Les autorités se sont félicitées de l’adoption d’un protocole de lutte contre la vie chère en Martinique, le 16 octobre. Mais le RPPRAC (Rassemblement pour la Protection des Peuples et des Ressources Afro-Caribéens) a refusé de signer et appelé à une seconde phase de mobilisation. Celle-ci se jouera tant dans la rue que dans les secteurs stratégiques où se multiplient des appels à la grève.

Au marché du stade de Dillon à Fort de France, lieu de rassemblement privilégié pour le mouvement martiniquais contre la vie chère, une dizaine d’organisations et syndicats se sont tenus aux côtés de citoyens et militants du RPPRAC, lundi 21 octobre. Parmi les présents : CDMT, SE-UNSA, l’union syndicale autonome de Martinique… « Il y avait aussi des dockers, des camionneurs, du personnel de l’éducation… Nous avons pas mal de soutiens syndicaux qui se mobilisent, mais nous avons aussi le soutien du peuple », soutient Aude Goussard, secrétaire du RPPRAC. L’absence de certains syndicats, dont la CGTM, la CFDT ou Force Ouvrière, est néanmoins notable. Ils affichent cette semaine une certaine prise de distance avec le mouvement citoyen.

Syndicats ou non, samedi 19 octobre, près de 2000 citoyens étaient rassemblés au marché du stade de Dillon. De quoi donner le ton de cette seconde phase de mobilisation des Martiniquais contre la vie chère. Trois jours avant, le 16 octobre, à l’issue du dernier round de négociations, les autorités martiniquaises se sont félicitées de l’élaboration d’un protocole contre la vie chère. Celui-ci acte une baisse des prix de « 20 % en moyenne », sur 6 000 produits, avec un différentiel allant de 5 à 25 % par rapport à l’Hexagone. Le tout, grâce à plusieurs mesures dont des baisses fiscales et la réduction des coûts d’acheminement. La Collectivité territoriale de Martinique a salué le jour même dans un communiqué un « accord qui marque un tournant », pour « le pouvoir d’achat et la transparence dans le secteur de la distribution ».

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L’ensemble des acteurs réunis autour de la table a signé. Mais pas le RPPRAC. Celui-ci continue d’exiger une baisse des prix plus importante, plus encadrée, et qui concerne tout l’alimentaire. « Nous avions convenu d’un différentiel de 10 à 15 % maximum, sur plus de 40 000 valeurs de produits. C’est-à-dire, sur tout l’alimentaire. De plus, dans le protocole du 16 octobre, il n’y a aucune condition de temps, ni de contraintes en cas de non-respect », dénonce Aude Goussard. « On veut des garanties précises, des contraintes, et un calendrier », a martelé Gwladys Roger, trésorière du RPPRAC, en sortant des négociations.

Après son appel à une deuxième phase de mobilisation citoyenne, pour ne pas céder à un protocole jugé insatisfaisant, le RPPRAC regarde aussi du côté des travailleurs. Des préavis de grève ont été déposés et des actions menées dans plusieurs secteurs, dès début septembre dans la fonction publique ou dans les transports. La dynamique s’est poursuivie, surtout depuis les dernières négociations. « Il y a des préavis qui courent depuis le 26 septembre, d’autres depuis le 21 octobre, et ce dans la plupart des secteurs. Mais les salariés ont peur de se mettre en grève », souligne Aude Goussard.

« Beaucoup craignent la répression derrière. La Martinique est si petite, s’il y a un préavis et que vous ne vous présentez pas au travail, vous avez peur des représailles. Alors que si vous travaillez mais que vous vous faites débaucher : ce n’est pas pareil. Alors on va aller les débaucher », promet la secrétaire du RPPRAC. Aller chercher le soutien de grévistes, notamment dans le secteur de la grande distribution, fait partie des stratégies du mouvement pour les prochains jours.

Dans un entretien à Mediapart, le secrétaire général de la CGTM, Gabriel Jean-Marie, indique que le syndicat a déjà entamé depuis de longs mois un travail de mobilisation des salariés du groupe Bernard Hayot (regroupant plusieurs hypermarchés, distilleries, entreprises agricoles…) contre la vie chère et pour de meilleurs salaires. « Nous essayons de rassembler les salariés, qui ne se connaissent pas. Mais ils n’étaient pas prêts en juillet, nous étions en train de travailler sur quelque chose pour le mois de septembre, puis pour la fin de l’année. »

Au-delà du front commun souhaité par le RPPRAC, pour l’heure encore fragile, l’organisation en appelle aussi à l’intervention du ministre des Outre-mer, François-Noël Buffet. « On a pas besoin qu’il vienne ici, juste pour ses beaux yeux. Mais on a besoin qu’il fasse respecter la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, selon laquelle l’Homme doit pouvoir se nourrir de manière digne, ce qui n’est plus le cas ici en Martinique », insiste Aude Goussard. « Quand on a un pack d’eau à 12 euros, alors que c’est 2,52 à Paris, cela n’a plus rien de normal ».

Pour rappel, les produits alimentaires en Martinique sont au moins 40 % plus chers que dans l’Hexagone, selon les données de l’Insee de 2022. Le site citoyen Kiprix a passé au crible plus de 9 000 produits et enregistre pour sa part une variation moyenne des prix de 60 %. Sur l’île, on dénombre près de quinze intermédiaires dans la chaîne de distribution alimentaire entre le producteur et le consommateur. « Un béké (les Blancs descendants de colons, qui tiennent l’économie locale, ndlr) peut se vendre à lui-même : il est à la fois grossiste, semi-grossiste, détaillant, il assure le service après-vente, il fait tout. Et à chaque étape, il touche une marge », explique Gabriel Jean-Marie dans l’article de Mediapart. « Tout cela contribue aussi à augmenter les prix. C’est ce que nous appelons du racket. »

Faire baisser les prix, oui : mais sur quels produits ? Le RPPRAC veut défendre l’importance d’avoir des baisses de prix sur des produits de qualité. « La vie est tellement chère ici que les Martiniquais ne s’alimentent pas comme ils le veulent, mais bien comme ils le peuvent. Donc avec des produits à valeur nutritionnelle très faible, et des nutriscores D,E… », rappelle Aude Goussard. Il s’agit, pour elle, de défendre le droit à se nourrir de manière plus saine. « Nous avons des maladies chroniques en Martinique, dues notamment à l’exposition au chlordécone. On veut donc une révision de la liste concernée par les baisses de prix, avec des diététiciens et spécialistes de santé ».

Mais pour l’heure, l’intervention du gouvernement a surtout consisté à envoyer, fin septembre, les CRS 8 sur place. Cette unité était bannie de l’île depuis l’année 1959 et son “décembre noir”, un soulèvement populaire réprimé au cours desquels les CRS se sont rendus responsables de la mort de trois jeunes Martiniquais de 15, 19 et 20 ans.

Dans une vidéo mise en ligne le 7 octobre sur les réseaux sociaux, on voit Aude Goussard frappée au visage par un CRS. « Je me suis pris trois coups de poing dans la gueule », lâche-t-elle avec amertume. D’après son récit, la compagnie de CRS 8 était en train d’appréhender un jeune homme qui venait de s’interposer dans l’interpellation d’un autre homme, « un électricien, en t-shirt rouge, qui avait été pris pour un manifestant ». Or, les agents auraient mis leur genou sur la tête de ce jeune homme, « à la George Floyd », décrit Aude Goussard. « Alors j’ai protesté. Je lui ai dit d’enlever son genou de la tête. Son collègue est arrivé vers moi et m’a frappée », continue-t-elle. Sur la vidéo, on voit d’autres personnes accourir pour protester à sa suite autour des deux agents qui ont mis au sol le jeune homme.

La secrétaire du RPPRAC n’a pas mené de démarche particulière par la suite : « j’ai des camarades trois fois plus blessés que ça. Certains ont perdu des rangées de dents ; d’autres ont pris des balles réelles. Les CRS sont d’une violence inouïe. Que l’on demande la vie moins chère, et que l’on nous réponde par autant de violence, c’est une injustice insupportable. »

Ce jeudi 24 octobre, le RPPRAC a émis un communiqué demandant « l’intervention urgente du Préfet, du ministre des Outre-mer, du ministère de la Justice, du Premier ministre et du Président de la République pour mettre fin à ces actes de violence injustifiées ».

Les territoires dits « d’outre-mer » observent attentivement la situation en Martinique, tandis qu’une branche RPPRAC Guadeloupe existe et qu’une autre est en train de se constituer à La Réunion : ces liens sont une perspective clé de renforcement pour les manifestants contre la vie chère martiniquais.

À Paris, la branche hexagonale du RPPRAC prépare une action de soutien début novembre. Le collectif DomTomUnis, très actif sur les réseaux sociaux, a également organisé des rassemblements de soutien ces derniers dimanches. L’un des manifestants, Mike, soutient dans une vidéo postée sur le réseau Instagram : « C’est une question de dominant et de dominé. Il faut que ça change. On a tendu la main à cette caste de békés (…) ils ont profité, ils se sont enrichis, maintenant la donne doit changer ».