George Floyd

Mort de George Floyd : ce que nous a appris le procès


9 minutes et 29 secondes. C’est le temps que Derek Chauvin, un policier de Minneapolis, aux États-Unis, a passé à genou sur le dos et la nuque de George Floyd, entraînant sa mort. Alors que le procès, émaillé de très nombreux témoignages, s’est achevé hier, retour sur ce que nous avons appris du déroulé des évènements du 25 mai 2020.

 

Les enjeux

 

Derek Chauvin, 45 ans, est mis en accusation pour violences volontaires ayant entraîné la mort, homicide involontaire et homicide. Il encourt jusqu’à 65 ans de prison. Pour l’accusation comme pour la défense, deux éléments sont déterminants pour établir, ou non, la culpabilité du policier.

D’une part, la cause de la mort est-elle la conséquence directe de la pression exercée par Derek Chauvin sur la nuque de Georges Floyd, ou bien résulte-t-elle d’antécédents médicaux et/ou de la consommation de stupéfiants ? D’autre part : la légitimité du comportement de l’officier et de ses collègues. Ont-ils fait un usage proportionné et raisonnable, ou non, de la force ? Ont-ils simplement suivi les procédures ? Se sont-ils sentis menacés par la foule ? Ont-ils failli à leur devoir d’assistance médicale ?

« Le nombre le plus important que vous allez entendre lors de ce procès c’est 9’29. Que s’est-il passé lors de ces 9 minutes et 29 secondes au cours desquelles M. Derek Chauvin a exercé une force excessive sur le corps de M. George Floyd », déclarait Jerry Blackwell, le procureur, dans sa plaidoirie d’ouverture. Pour répondre à cette question, le message que l’accusation s’est employé à adresser au jury, tout au long des 3 semaines de ce procès, était : croyez ce que vous disent vos yeux. En effet, les évènements du 25 mai 2020 ont été filmés sous plusieurs angles, et la vidéo qui montre les presque dix minutes d’agonie de cet homme noir écrasé, face contre terre, par plusieurs policiers a fait le tour du monde. Mais pour la défense, la vérité est ailleurs, et les images ne suffisent pas, elles doivent être considérées dans un contexte plus large.

 

Les causes de la mort de George Floyd

 

Parmi les 38 témoins que l’accusation a appelés à la barre, plusieurs experts médicaux ont affirmé que c’était bien la pression du genou de Derek Chauvin sur la nuque de George Floyd qui a entraîné la mort de celui-ci. Parmi eux, deux témoignages clefs : celui du Dr Andrew Baker, le médecin légiste en chef du comté de Hennepi, qui avait classé les causes de la mort comme homicide. Il avait noté sur son rapport officiel que les antécédents cardiaques et la consommation de stupéfiants de George Floyd avaient été des facteurs contributifs. Pressé à ce sujet par l’avocat de la défense, il a cependant ré-affirmé qu’il s’agissait pour lui d’un homicide et que « la mort est due à un arrêt cardio-respiratoire causé par une immobilisation de la police par pression sur le cou. ».

Une thèse appuyée par l’un des plus puissants témoignages de l’accusation. Celui du Dr Tobin, un pneumologue mondialement reconnu, pour qui « même un homme en pleine santé serait décédé des suites de ce qu’a subi M. Floyd ». Le Dr Tobin a expliqué que Derek Chauvin a appliqué une pression de 40 kilos sur la nuque de Floyd, restreignant plus de 85 % de ses capacités respiratoires. Il a même pointé le moment exact de la mort de George Floyd sur la vidéo qui a fait le tour du monde.

Pour contrer ces arguments, la défense a fait intervenir le Dr David Fowler, ancien médecin légiste en chef de l’état du Maryland, actuellement visé par une plainte émanant de la famille d’Anton Black, un jeune homme noir de 19 ans, mort sous les yeux de sa mère en 2018 aux mains de plusieurs policiers qui l’avaient immobilisé face contre terre et menotté. Le Dr Fowler avait écarté toute responsabilité des policiers dans son rapport d’autopsie. Le docteur a avancé plusieurs explications alternatives au décès de Georges Floyd : arythmie cardiaque soudaine due à son hypertension et sa cardiomyalgie, ingestion de fentanyl et de métamphétamine, et même l’émission de monoxyde de carbone par le pot d’échappement de la voiture à côté de laquelle il était maintenu au sol.

Si l’accusation a vite fait cas de cette dernière hypothèse – le Dr Fowler ayant admis lors du contre-interrogatoire qu’il ne s’était pas renseigné sur le degré d’émission de monoxyde de la voiture, dont il ne s’était pas enquis du modèle – la question des produits stupéfiants a été un enjeu bien plus majeur. Des pilules de fentanyl, un puissant opiacé, à moitié mâchées et comportant des traces de la salive de George Floyd ont en effet été retrouvées sur la scène. De plus, l’autopsie avait révélé la présence de onze nanogrammes de cette substance dans le sang de la victime.

Les experts médicaux de l’accusation ont cependant été unanimes pour écarter l’hypothèse d’une overdose. Le Dr Tobin pointant notamment qu’elle ne concordait pas avec la respiration rapide de M. Floyd, observable sur la vidéo, avant qu’il ne soit restreint par les officiers. Le procureur a également fait admettre au Dr Fowler qu’il suffisait de 4 minutes de privation d’oxygène au cerveau pour entraîner des dommages neurologiques irréversibles, et que Derek Chauvin avait maintenu son genou sur la nuque de la victime pendant plus de 5 minutes après que celle-ci se soit évanouie.

 

Les circonstances de la mort

 

« En aucune manière, ce qu’a fait l’Officier Chauvin ne correspond à notre formation, à notre éthique ou à nos valeurs », a déclaré Mederia Arradondo, le premier chef afro-américain de la police de Minneapolis. L’autre enjeu du procès était de savoir si l’officier Derek Chauvin avait fait un usage justifié de la force et agit de manière raisonnable au regard du contexte.

Dans ce qui marque probablement l’aspect le plus inouï de ce procès, l’accusation a fait témoigner plusieurs responsables policiers contre leur ancien collègue. Du sergent David Pleoger, son ancien superviseur, au lieutenant Johnny Mercil, un formateur de plus de 29 ans de carrière, en passant par le lieutenant Richard Zimmerman, tous ont affirmé que les actions de Derek Chauvin étaient un usage exagéré et totalement non nécessaire de la violence. Et que si une coercition sur M. Floyd avait pu être justifiée au début de l’intervention, elle avait persisté bien trop longtemps.

Face à cela, la défense, s’appuyant sur ses 7 témoins, a avancé que l’usage de la force avait été rendu nécessaire par la résistance de M. Floyd à son arrestation et par la puissance musculaire de l’homme d’1m90 pour 101 kilos, face à laquelle les trois officiers de police auraient été impuissants. La défense est allée jusqu’à plaider que Derek Chauvin avait reconnu les signes chez M. Floyd d’un syndrome de « excited delirium », ou délire d’agitation extrême, un état caractérisé par de la confusion, une forte agitation psychotique, une sudation abondante ainsi qu’une force physique décuplée. Ce syndrome, qui n’est reconnu par aucune association officielle de psychiatrie, apparaît principalement comme cause du décès chez des personnes mortes lors de leur interpellation ou détention par la police.

Cependant, le Dr Bill Smock, médecin légiste auprès de la police de Louisville et témoin de la défense, pour qui ce syndrome a une existence bien réelle, a affirmé que l’attitude de George Floyd au moment de son arrestation ne correspondait à aucun des 10 signes diagnostiques. Même le jeune caissier, qui avait signalé à son manager le billet de 20 dollars qu’il pensait faux avec lequel George Floyd avait voulu s’acheter des cigarettes, déclenchant ainsi l’intervention policière, est venu témoigner de l’attitude calme et joviale de l’homme avant sa mort.

 

Les circonstances de l’intervention policière

 

L’attitude de la foule, présentée comme agressive et menaçante, a été beaucoup mise en avant par la défense. Peter Chang, officier de la police des parcs municipaux de Minneapolis, qui s’était rendu en renfort sur les lieux de l’arrestation, a ainsi témoigné qu’il avait trouvé la foule agressive et s’était inquiété pour la sécurité de ses collègues. Mais les images de sa caméra intégrée ont aussi révélé qu’à son arrivée sur les lieux, George Floyd était assis par terre, menotté et calme. Ni menaçant, ni dans les premières affres d’une overdose.

Les témoins présents lors de cette arrestation fatale qui sont intervenus à la barre à l’appel de l’accusation ont livré des témoignages glaçants. Tous disent avoir eu conscience alors qu’ils assistaient à une mise à mort. Darnella Frazier, l’adolescente dont la vidéo a fait le tour du monde, a ainsi témoigné qu’elle ne dormait plus la nuit, rongée par la culpabilité de n’être pas intervenue physiquement contre les policiers pour sauver la vie de cet homme. « Quand je regarde George Floyd, je vois mon père. Je vois mes frères, je vois mes cousins et mes oncles. Parce qu’ils sont tous noirs. Quand je repense à cette scène, je sais que ça aurait pu être l’un d’entre eux. »

Outre 3 adolescentes mineures et une enfant de 9 ans, ce que la défense a décrit comme une foule furieuse – dont la menace a empêché Derek Chauvin de se rendre compte du danger pour la vie de George Floyd, puis de lui prêter une assistance médicale – comprenait aussi un sexagénaire qui a supplié la victime de coopérer avec la police, et l’officier Chauvin de laisser l’homme respirer. Mais aussi un champion d’arts martiaux, qui a expliqué au policier que sa prise était mortelle avant d’appeler lui-même la police pour dénoncer le « meurtre » auquel il venait d’assister. Ainsi que Geneviève Hansen, sapeur-pompier et secouriste, attirée sur la scène par les protestations de la foule, qui s’est vu refuser par les officiers présents de venir prêter assistance médicale à M. Floyd. Après les avoir suppliés sans succès de la laisser intervenir, elle leur a demandé de procéder à un massage cardiaque eux-mêmes, ce qu’ils ont également refusé — Derek Chauvin a gardé son genou enfoncé sur la nuque de la victime jusqu’à l’arrivée de l’ambulance.

Genevieve Hansen a également appelé la police pour dénoncer ce dont elle venait d’être témoin. Interrogée à la barre par l’avocat de la défense pour savoir si elle était « en colère et choquée » – et donc menaçante pour les officiers de police – elle a répondu : « Je ne sais pas si vous avez déjà vu quelqu’un se faire tuer, mais c’est plutôt choquant ». Enfin, elle a affirmé que si elle était restée sur les lieux après le départ de l’ambulance, c’était parce qu’elle craignait pour la sécurité des autres témoins, en particulier non blancs.

 

L’attente tendue du verdict

 

Après les plaidoiries de clôture lundi 19 avril, le jury est maintenant reclus pour établir son verdict quant à la culpabilité de Derek Chauvin pour chacune des trois qualifications retenues contre lui. Si l’accusation doit obtenir l’unanimité, la défense n’a besoin que d’un seul juré ayant un doute raisonnable pour que la nullité soit déclarée et un nouveau procès organisé.

Les États-Unis sont suspendus à décision des jurés, se barricadent en attendant le verdict craignant qu’un acquittement, une nullité ou même une culpabilité pour seules violences ayant entraîné la mort – la charge la moins lourde – n’entraînent des émeutes. Et ce, alors que la ville de Minneapolis, où se tient le procès, vient de vivre plus de 7 nuits de manifestation après la mort de Daunte Wright, un jeune homme noir tué lors d’un contrôle routier par une policière qui a affirmé avoir confondu son arme de service avec son taser.

D’après le NewYork Time, plus de 64 personnes, dont plus de la moitié de Noirs et de Latinos, sont mortes des mains de la police pendant les 3 semaines du procès de Derek Chauvin.