Dans la banlieue lyonnaise, la direction de Renault ferme un de ses sites, prétextant qu’il est situé dans une « zone de non droit ». Un mensonge, finalement avoué, qui fait porter la responsabilité d’une fermeture économique aux habitants des quartiers populaires.
Début avril, alors qu’il prépare un CSE (Comité Social et Economique) exceptionnel évoquant la fermeture de son site, Amara Fenniche, délégué syndical CGT à Renault de Vaulx-en-Velin (banlieue lyonnaise), tombe des nues. « L’établissement est pris en tenaille », alarme sa direction, dans un des documents soumis aux élus du personnel. À l’Est : « des zones de trafic et de non-droit ». À l’Ouest : « un centre commercial périclitant ainsi que des bureaux en grande partie non occupés ».
En quelques phrases, l’établissement Renault Lyon Est, où 105 salariés assurent la vente et la réparation de véhicules, est dépeint en véritable forteresse assiégée par la pauvreté et l’insécurité. Les mots de la direction du site n’ont rien à envier à un communiqué du Rassemblement National. Celle-ci ajoute que le « faible niveau de vie des habitants ne cadre pas avec la clientèle recherchée » et conclut : le site fermera le 31 décembre 2022.
« S’ils nous trouvent trop pauvres, ils n’ont qu’à mieux nous payer »
Jamais la problématique de l’insécurité n’avait été soulevée auparavant dans l’entreprise. Situé dans la zone commerciale du Carré de Soie, le site de Renault Lyon Est n’est pas dans un endroit particulièrement dangereux. Il est simplement situé à Vaulx-en-Velin, une des communes les plus pauvres de France. La direction du site en joue indéniablement. « Essaierait-elle de faire porter la responsabilité d’une fermeture économique aux habitants des quartiers populaires ? », s’interrogent la CGT et les élus de la ville.
Lors du CSE exceptionnel du 15 avril, Amara Fenniche demande des comptes. « À l’oral, ils n’ont rien retiré de ce qu’ils avaient marqué dans le document. Ils ont réaffirmé que le quartier était pauvre et violent. Ils ont continué à stigmatiser les habitants de Vaulx-en-Velin mais aussi les salariés de leur entreprise, puisque certains d’entre nous habitent dans cette ville. S’ils nous trouvent trop pauvres, ils n’ont qu’à mieux nous payer », assène le délégué syndical. Finalement, le terme « zone de non droit » qualifiant les alentours du site Renault est retiré du compte rendu du CSE. Mais la direction garde le cap jusqu’au 2 mai. Ce jour-là, le journal local Le Progrès fait sortir ses propos des murs de l’entreprise et titre « Renault ferme son site de Vaulx, “zone de non droit et de trafic” ».
Dans l’article, les élus de la ville de Vaulx-en-Velin s’élèvent, aux côtés de la CGT, contre les propos jugés stigmatisants de la direction de Renault. La décision de la marque au losange est jugée incompréhensible. Contactée par le journal, celle-ci rétropédale timidement, évoque une erreur de communication et concède qu’il est « indéniable que la formulation était maladroite ». Mais, sur le fond, les propos sont maintenus. Conséquence indirecte mais prévisible de l’attitude du géant de l’automobile : son mensonge est repris sur le site d’extrême droite FdeSouche et fait les choux gras des commentateurs et internautes racistes.
Mensonge avoué
Sous la pression de la CGT, qui organise un rassemblement sur le site de Vaulx-en-Velin le 6 mai, ainsi que des élus municipaux, Renault reconnaît finalement son mensonge lors d’une réunion à la préfecture du Rhône le mardi 10 mai. Les services de l’État, la maire de Vaulx-en-Velin et la direction de l’entreprise sont présents, mais pas les employés.
La préfecture, chiffres des services de police à l’appui, démontre alors qu’il n’y a pas d’insécurité particulière dans la zone du Carré de soie. D’ailleurs, aucun salarié ni aucun membre de la direction de Renault ne s’est jamais plaint d’une quelconque incivilité. Cette dernière est ainsi contrainte de reconnaître son mensonge dans un communiqué : « La notion de sécurité ne constitue en aucun cas un motif de la décision, aucun incident notable n’étant à déplorer sur le site de Lyon Est. »
Désindustrialisation automobile : les salariés de Renault en lutte
Comme pressenti par les salariés, les motifs de la fermeture sont exclusivement économiques. La direction évoque dans son communiqué :« un déficit de performance et des pertes cumulées ». Mais aussi la « nécessité d’abaisser ses coûts de structure » et « la perspective d’investissements lourds en cas de maintien de l’activité sur le site ».
Les salariés laissés dans le flou
Or, si la direction de Renault a reconnu son mensonge, la donne reste la même pour les salariés du site de Vaulx-en-Velin, contraints de déménager avant 2023. Bien que le groupe se soit engagé à ne pas supprimer d’emploi, leur avenir reste incertain. « Est-ce qu’on va devoir déménager ? Est-ce que Renault nous dédommagera si on doit dépenser plus d’argent dans les trajets ? Pour l’instant on ne sait rien », s’inquiète Amara Fenniche de la CGT.
L’annonce du déménagement surprend d’autant plus que les salariés n’avaient jamais entendu dire que les résultats du site étaient mauvais. « Lors d’une réunion de début d’année, la direction nous avait même félicité pour nos chiffres ! » assure le délégué syndical. Contactée, la direction de Renault ne nous a pas répondu à cette heure. Une prochaine réunion CSE aura lieu avec la direction du site le 18 mai. « Cette fois, on veut avoir tout les chiffres pour pouvoir juger », estime Amara Fenniche, qui ne se résout pas à voir le site de Vaulx-en-Velin fermer pour n’importe quel motif.
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