Bactérie E.coli dans les pizzas Buitoni de Nestlé, salmonelle dans les chocolats Kinder de Ferrero…. Les scandales sanitaires de ces dernières années concernent des géants de l’agro-alimentaire. Dans une table ronde le 21 juin, divers responsables de la CGT ont rappelé la responsabilité des employeurs dans la sécurité alimentaire. Selon eux, une dégradation progressive de l’organisation du travail, guidée par la recherche d’une meilleure rentabilité, se fait au détriment tant de la santé des travailleurs que de celle des consommateurs.
Depuis le mois d’avril, le grand public découvre l’ampleur des révélations sur la bactérie E.coli dans les pizzas Buitoni, propriété du groupe Nestlé. Dans la foulée des premiers épisodes de l’affaire, la fédération nationale agro-alimentaire et forestière (FNAF) de la CGT a écrit aux employeurs du secteur, regroupés dans l’association nationale des industries agroalimentaires. « Nous avons pointé ces scandales sanitaires, et dénoncé la recherche de profit effrénée qui scie la branche sur laquelle on est assis, avec un manque grandissant de confiance des consommateurs », retrace Julien Huck, secrétaire général de la FNAF. À cette heure, ce courrier n’a pas reçu de réponse.
Les causes de ces récents scandales « sont à chercher dans les volontés patronales de réduction des coûts », expose Julien Huck lors d’une conférence de presse sur le sujet, le 21 juin. Dans l’agro-alimentaire, la qualité des aliments produits et les conditions de travail des ouvriers sont étroitement liées. Or, ces conditions de travail se résument souvent à un triptyque : « faiblesse des salaires, non-reconnaissance des qualifications, et pénibilité du travail ».
Ces scandales s’inscrivent en fait dans un vaste changement d’organisation du travail en cours dans le secteur. À savoir, le déploiement de la méthode du lean manufacturing. Cette méthode, inspirée du Japon mais repensée aux Etats-Unis, vise la réduction maximale des temps morts sur une ligne de production… Et la réduction du personnel. En France, elle s’est installée en premier lieu dans le secteur de l’automobile. « On en a beaucoup parlé avec France Telecom », rappelle aussi Maryse Treton, secrétaire fédérale de la FNAF CGT. Dans l’agro-alimentaire, elle est mise en oeuvre depuis près de dix ans. Avec un « problème supplémentaire : dans notre secteur, on travaille du vivant… », souligne la responsable syndicale.
« La recherche de rentabilité financière n’est pas compatible avec la sécurité alimentaire »
Au niveau des conditions de travail, cette méthode a « rogné sur les garanties sociales », estime Maryse Treton. Dans le secteur, la précarité des travailleurs reste très importante. On compte en moyenne « 25 % de salariés précaires, avec des pics à 50 % dans certaines branches, comme chez Nestlé-Lactalis », présente la secrétaire fédérale.
Avec le lean, la polyvalence est devenu le maître mot des responsables des ressources humaines et des cadres du secteur. Des métiers très spécialisés, comme les hygiénistes chargés du nettoyage, disparaissent. Conséquence : l’augmentation de « la responsabilité et la charge mentale que portent les ouvriers », observe Gaëtan Mazin, salarié depuis 20 ans dans l’industrie laitière, et syndiqué CGT. « Ceux qui partent en retraite sont remplacés par des intérimaires. On retrouve parfois, sur des lignes à responsabilité, des intérimaires qui forment des intérimaires… »
Moins de formation, donc, et moins de capacités d’auto-contrôle. Le lean, « c’est une organisation du travail rigide. Les salariés doivent se débrouiller pour bien faire leur travail, avec des consignes qui ne leur permettent pas de le faire », résume Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT. Sauf qu’en cas de problème sur la chaîne de production, la responsabilité retombe vite sur le salarié. De nombreux licenciements pour faute découlent de cette nouvelle organisation, estime le secrétaire général de la CGT.
Autre conséquence, bien sûr, la multiplication des scandales sanitaires. « La recherche de rentabilité financière n’est pas compatible avec la sécurité alimentaire », synthétise Maryse Treton. Et puis, la CGT constate une dernière conséquence, « plus perverse. Celle qui consiste à dire aux salariés : « vous voyez, vous ne savez plus faire votre boulot, on a pas les compétences… Donc, on va externaliser » », pointe Philippe Martinez.
Réduction du temps de nettoyage
À Buitoni, au sein du groupe Nestlé, les postes d’hygiénistes chargés du nettoyage la nuit ont été supprimés. C’est le cas partout ailleurs. La réorganisation du travail en cours rogne sur le temps de nettoyage, ainsi que sur les effectifs de salariés spécialisés sur cette compétence. Auparavant, on comptait dans les usines « deux équipes de production, une le matin et une l’après-midi. La nuit, c’était le temps du nettoyage de l’outil de production », raconte Maryse Treton.
Désormais, les hygiénistes, spécialement formés à cette tâche qui requiert un savoir-faire particulier, « ont été remplacés par les ouvriers de production, plus ou moins formés au nettoyage ; voire par des intérimaires », explique la responsable syndicale.
Les temps de nettoyage ont également fortement diminué. Le groupe Lactalis-Nestlé est un exemple en la matière. « Avant, on était sur 16h de production, pour 8h de nettoyage par les hygiénistes. Aujourd’hui, on est sur 27 heures de production, pour 5 heures de nettoyage », détaille Maryse Treton.
Le lien avec les derniers scandales sanitaires est direct, selon les syndicalistes. « Partout, c’est la réduction des temps dits improductifs. Le nettoyage est considéré comme tel, alors que c’est ce qui permet la sécurité alimentaire », fustige Julien Huck.
Un auto-contrôle insuffisant
Face à cette dégradation du cadre de travail, les signalements sont difficiles à porter. La disparition des comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) due aux ordonnances de l’ex-ministre du Travail Muriel Pénicaud en 2017 – par ailleurs ancienne dirigeante du géant de l’agro-alimentaire Danone – a de lourdes conséquences.
Reste les procédures d’auto-contrôle, très courantes dans l’agro-alimentaire. Celles-ci visent à vérifier le respect d’un certain nombre de normes, dans le cadre des processus de certification des produits. Des organismes privés sont en charge de ces contrôles de certification. Ils se déroulent « environ une fois par an. Un mois avant le contrôle, il y a un pré-audit, qui permet de faire des correctifs. On passe alors les audits avec succès. Mais dès le lendemain de la certification, le quotidien reprend son cours… » décrit Gaëtan Mazin, le salarié de l’industrie laitière.
Pas de quoi faire réellement avancer la sécurité des travailleurs et la qualité des aliments produits, selon lui. Pendant ce temps, en revanche, « ces organismes privés de contrôle se font un maximum d’argent », glisse-t-il.
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