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Fraude fiscale : derrière les annonces d’Attal, toujours des suppressions d’emplois aux finances publiques

Ce mardi, le ministre délégué chargé des comptes publics Gabriel Attal a fait des annonces concernant le renforcement de la lutte contre la fraude fiscale. Mais l’administration fiscale a-t-elle les moyens de ces ambitions ? Les suppressions et transferts de postes de ces dernières années ont abîmé les capacités d’action.

 

Le ministre délégué chargé des comptes publics Gabriel Attal a présenté un plan de lutte contre la fraude fiscale, ce mardi, et en amont au journal Le Monde lundi soir. Parmi les mesures esquissées : augmentation de 25 % des contrôles fiscaux « des plus gros patrimoines », renforcement des sanctions, ou encore le contrôle, tous les deux ans, des cent plus grandes capitalisations boursières.

Pour l’heure, ces mesures sont peu chiffrées ; et les contours, encore flous. Derrière la bonne intention affichée, sur le terrain, ces annonces questionnent. De quels moyens disposent les services de l’administration fiscale pour répondre à de tels objectifs ?

Depuis 2002, près de 50 000 emplois ont été supprimés à la DGFIP (direction générale des finances publiques) calcule la CGT, et un grand nombre de services de proximité ont été fermés ou délocalisés. « La baisse des effectifs dans l’administration fiscale s’est bel et bien traduite par un affaiblissement du contrôle fiscal tandis que le « contrôle social » se durcissait », analyse l’ONG Attac, à l’origine d’un rapport paru sur le sujet en mars 2022.

Quant aux services « dans la sphère de la fraude fiscale, depuis 2012, on a eu environ 3 000 emplois supprimés », précise Anne Guyot Welke, secrétaire générale de Solidaires Finances Publiques, première force syndicale du secteur. Attac évoque « 3 000 à 4 000 emplois supprimés depuis la fin des années 2000 au sein des services de contrôle ».

Gabriel Attal promet la création de 1 500 postes pour réaliser ses objectifs. Même avec ces postes, « on reste donc en sous-effectif si l’on compare avec les suppressions de ces dernières années », remarque Anne Guyot Welke.

 

Des transferts masquant les suppressions d’emplois

 

Ces 1500 postes annoncés seraient tout de même bienvenus. Mais parle-t-on réellement de créations nettes d’emplois ? Ou de transferts entre services ? Bercy n’a pas encore tranché la question officiellement. Et les employés des finances publiques ont de bonnes raisons de se méfier.

Avec la suppression progressive de la taxe d’habitation et de la contribution sur l’audiovisuel public, le ministère a estimé que le gain de productivité correspondait à 2 000 emplois qui pourraient être supprimés à terme. En parallèle, un redéploiement de postes est annoncé, en particulier du côté des services informatiques, à raison de « 276 emplois créés », indique Anne Guyot Welke.

Pour 2023, le ministère a communiqué sur des suppressions limitées à 850 postes à la DGFIP. Mais des transferts dissimulent l’ampleur réelle des suppressions de postes. « Avec entre autres un recentrage sur les services à compétence nationale et les directions nationales et spécialisées, c’est en fait 1352 suppressions d’emplois qui frappent toutes les directions départementales et régionales ! » Les décideurs, « comme à chaque annonce (…) visent à minimiser les suppressions avec le solde positif des transferts d’emplois », décrypte la CGT Finances Publiques dans un communiqué paru en janvier.

« Pour nous, aucun service ne peut être prélevé », soutient Anne Guyot Welke. « On est plus qu’à ras de l’eau : tous les services sont en difficulté. Il faut de la création de postes réelle. Il faut en finir avec les suppressions d’emplois qui dure depuis trop longtemps ».

 

Les bilans manquants de la lutte contre la fraude fiscale

 

Gabriel Attal a également annoncé la création d’un nouveau service de renseignement à Bercy pour lutter contre la fraude fiscale internationale. Celui-ci serait composé d’une centaine « d’agents d’élite » d’ici la fin du quinquennat. Pourquoi pas, mais « on a déjà des services qui existent sur le plan du renseignement », commente Anne Guyot Welke. Il existe par exemple la DNEF, la direction nationale des enquêtes fiscales.

En quoi les compétences de ce nouveau service seront-elles complémentaires ? Quels profils seront recrutés ? Les syndicats restent en attente de ces précisions. « Créer des services pour créer des services, ce n’est pas utile… À un moment, il faut tirer le bilan des nouveaux services existants : peut-être vaudrait-il mieux les renforcer, étendre leurs prérogatives », pointe la secrétaire générale de Solidaires Finances Publiques.

De fait, on manque de données sur l’efficacité des services et outils actuellement dédiés à la lutte contre la fraude fiscale. Au mois d’avril, le rapport d’une mission d’information sénatoriale sur la fraude et l’évasion fiscales le pointait. « Si d’indéniables progrès ont été accomplis, ces résultats encourageants ne permettent toutefois pas de conclure à la pleine effectivité de notre arsenal normatif en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, d’autant plus en l’absence d’évaluation de l’ampleur de ces phénomènes », concluait le rapporteur Jean-François Husson (LR). « Une question reste sans réponse : l’administration fiscale parvient-elle à récupérer 10 %, 20 % ou 50 % des montants fraudés ? »

 

« On a appris les dernières informations en même temps que la presse »

 

Enfin, le ministre délégué chargé des comptes publics a proposé un panel de sanctions pour les plus gros fraudeurs. Il est question de la « création d’une sanction d’indignité fiscale, qui priverait temporairement les personnes (…) du droit de percevoir des réductions d’impôt et crédits d’impôt », détaille la communication de Bercy. Ou encore, d’une « peine complémentaire de travaux d’intérêt général ».

« On tombe un peu de notre chaise. Comment vont-ils mettre cela en place ? », s’interroge Anne Guyot Welke. Déjà en 2018, le plan anti-fraude mené par Gérald Darmanin, alors ministre de l’Action et des comptes publics, devait emmener davantage de dossiers au pénal. « Il faudrait déjà faire le bilan de son efficacité », juge à nouveau la responsable syndicale. « Savoir quel est le niveau actuel de sanction pénale des fraudeurs… Et aussi, quels sont les moyens de la justice. Car on le constate : nous, on envoie les dossiers au pénal, mais derrière, la justice n’arrive pas à suivre ». 

Selon le rapport de la mission d’information sénatoriale paru en avril, « la principale conséquence [du plan de 2018, ndlr] a été un afflux de dossiers pour les parquets, avec une augmentation de près de 75 % des dossiers transmis par l’administration fiscale ». Le rapport propose plusieurs pistes d’amélioration pour la prise en charge de ces dossiers.

D’ici là, un comité social ministériel, avec les syndicats, est prévu ce jeudi. « On a appris les dernières informations en même temps que la presse… Nous verrons si, jeudi, nous aurons plus de précisions de la part du ministère », conclut Anne Guyot Welke. « Nous espérons un véritable débat ».