Le projet de loi contre « l’occupation illicite des logements », porté par le député Renaissance de l’Eure-et-Loir, Guillaume Kasbarian, est examiné ce lundi à l’Assemblée nationale. Il s’inscrit dans une séquence médiatique et politique particulièrement animée depuis fin 2020, au cours de laquelle des faits divers ont ouvert la voie à des débats parlementaires virulents sur les squats et la relation entre propriétaires et locataires.
Examiné ce lundi en séance parlementaire, le projet de loi Kasbarian a été durci en commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. Dans son état actuel, le texte attaque sur plusieurs fronts. Côté sanctions, il triple les peines encourues par les auteurs du délit de violation de domicile : trois ans de prison et 45 000 euros d’amende. Le code pénal punit à l’heure actuelle, via son article 226-4, l’intrusion dans le domicile d’autrui d’un an de prison et 15 000 euros d’amende.
Du côté des procédures, le projet de loi met également les bouchées doubles. Il vise à étendre les expulsions administratives en 48 heures – des procédures express, décidées par le préfet, sans intervention du juge – aux occupations de logements vacants. « La procédure actuelle, c’est de passer devant le juge qui apprécie l’urgence sociale de la situation des squatteurs » pour les logements vacants, rappelle Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé-Pierre, à l’AFP. Le texte réduit aussi la durée des procédures judiciaires ; et prévoit que certains délais habituellement accordés par le juge ne le soient que si le locataire en fait lui-même la demande.
Surtout, le projet de loi compte assimiler l’occupation sans droit ni titre d’un logement appartenant à un tiers à… Du vol. Ce qui impliquerait des peines allant, cette fois, jusqu’à dix ans d’emprisonnement. « Tant sa définition est vague, ce nouveau délit concernerait les sous-locataires, les personnes hébergées, les locataires non déclarés, les personnes victimes d’un faux bail ou d’un marchand de sommeil… », craignent les signataires d’un communiqué interassociatif paru ce lundi.
Un rassemblement a été organisé dimanche à Paris par l’association Droit au logement (DAL) contre le projet de loi. Des manifestations sont encore prévues comme aujourd’hui à Nantes ou à Rouen. Plusieurs autres syndicats et associations s’élèvent contre le texte, comme la Fondation Abbé-Pierre, Solidaires, ou encore Attac, qui dénonce une « loi antisociale » qui « criminalise les précaires ».
Squats : le tournant de la loi ASAP
L’actuelle proposition de loi « amalgame squats de domicile, squats de bâtiments vides et locataires en impayés (…) en pointant des situations éparses, souvent infondées, mal présentées, ou hors sujet, et entretenant largement la confusion entre ces trois cas de figure à laquelle la loi répond déjà de manière proportionnée », dénonce les organisations signataires du communiqué de ce lundi.
Ces situations à laquelle fait référence le communiqué sont des faits divers fortement médiatisés, puis relayés politiquement, ces derniers mois. « On a assisté à une large campagne anti-squat basée sur des situations de propriétaires squattés, pourtant souvent plus complexes que ce qui est présenté… Avec des cas d’escroqueries via de faux bail, par exemple », expose Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole historique du DAL.
À l’image de ce couple dans l’Essonne dont la situation, filmée par Le Parisien, avait fait le buzz sur les réseaux sociaux et nourri les prises de position de membres du gouvernement comme Gérald Darmanin, avant que des contre-enquêtes ne dégonflent l’affaire. Mais qu’importe ces nuances et contre-enquêtes : « ils jouent sur l’émotion, donc ils préparent l’opinion, avec une campagne médiatique très efficace », soupire Jean-Baptiste Eyraud.
Ils ? En premier lieu, la majorité parlementaire macroniste, celle qui avait fait voter, en décembre 2020, la loi ASAP (loi d’accélération et simplification de l’action publique). Entrée en vigueur début 2021, cette loi a constitué un tournant. Elle a étendu les expulsions administratives, celles menées par le préfet en 48h, aux résidences secondaires, et non plus seulement aux résidences principales. L’« offensive », selon les mots de Jean-Baptiste Eyraud, a « commencé à dégénérer là, en 2021. Depuis, il y a eu plusieurs tentatives, notamment de sénateurs, de légiférer davantage ».
Un exemple : dans la foulée de la loi ASAP, un projet de loi déposé par des sénateurs LR visait déjà à tripler les sanctions encourues pour violation du domicile. Mais aussi à en élargir le périmètre à tout « local professionnel, commercial, agricole ou industriel ». C’est au printemps 2021, par la fenêtre du projet de loi Sécurité Globale, (article 1er bis A du texte initial) que cette mesure a failli passer… Avant d’être censurée par le Conseil Constitutionnel.
Les milieux de l’immobilier « anticipent la hausse des impayés »
À ce jour, 170 expulsions administratives ont été menées par des préfets en se basant sur la loi ASAP. Au regard de ces chiffres, le député François Piquemal (LFI) a lui aussi fustigé, en commission, une proposition de loi « fait divers ». Mais avec le soutien de LR et du RN, la majorité parlementaire pourrait avoir, une fois encore, le champ libre pour adopter le texte.
« Voilà aujourd’hui une proposition de loi qui vise à prévenir l’occupation de logements vides, alors qu’on en a jamais compté autant », soupire Jean-Baptiste Eyraud. « En plus, on est dans une situtation sociale tendue : les locataires se paupérisent », souligne-t-il. Comment expliquer, en effet, que cette offensive ait démarré fin 2020, en plein confinement, alors que la crise sanitaire et sociale frappait de plein fouet ? Et qu’elle soit relancée aujourd’hui, à l’entrée dans l’hiver, alors que la hausse des prix de l’énergie dégrade les possibilités de se loger dignement ?
Mal-logement et crise sanitaire : la « bombe à retardement »
« Précisément : les milieux de l’immobilier anticipent la crise sociale et la hausse des impayés », conclut Jean-Baptiste Eyraud. « Donc ils arrivent avec des lois très dures, pour faire peur aux gens. Mais cela ne changera rien : si les gens ne peuvent pas manger, ils ne pourront pas payer le loyer… »
Faciliter les procédures d’expulsion ne ferait qu’aggraver cette précarité. La Fondation Abbé Pierre et l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne avaient publié une étude sur les conséquences des expulsions locatives en avril 2022. 32 % des ménages suivis, sur une période de un à trois ans, n’ont pas retrouvé de logement après l’expulsion. Ces derniers se retrouvent alors à la rue, en hôtel social, chez un tiers ou… dans un squat.
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