Le Pacte pour les enseignants, à savoir la revalorisation de leurs salaires conditionnée à des missions supplémentaires, fait beaucoup parler de lui dans le général. À plus bas bruit, le Pacte entremêlé à la réforme du lycée professionnel promet d’être une bombe à retardement.
La réforme du lycée professionnel suit son cours. La semaine dernière, les textes relatifs à la revalorisation socle des salaires des enseignants ont été présentés aux syndicats, en CSA ministériel (comité social d’administration). Mercredi prochain, ce sera au tour des textes relatifs au Pacte.
Comme dans l’enseignement général, le Pacte du côté du lycée professionnel est une revalorisation salariale supplémentaire, conditionnée à des missions basées sur le volontariat. Parmi les esquisses de missions, évoquées dans le dossier ministériel : remplacements de courte durée, interventions en collège, tutorat, animation de bureaux des entreprises…
Le gouvernement a promis que ce « Pacte spécial lycée professionnel » pourrait aller jusqu’à 7500 euros brut par an. Soit deux fois plus que ce qui a été présenté pour l’enseignement général.
Si ce montant semble alléchant, le Pacte soulève une opposition unanime des syndicats de l’enseignement professionnel. La CFDT « refuse l’idée d’ajouter du travail à des personnels déjà épuisés. Elle revendique que l’ensemble des tâches déjà effectuées soient rémunérées à leur juste valeur ». Le SNETAA-FO est ferme également : « les PLP (professeurs de lycées professionnels) refusent « le travailler plus pour gagner plus » ».
Surtout, les missions viennent bousculer l’organisation de l’enseignement professionnel. Bien plus encore que dans l’enseignement général. « Le lycée pro, c’est le parent pauvre de l’Education nationale et c’est aussi son laboratoire. Le Pacte au lycée général, ce sont des briques que nos collègues se prennent. Au lycée pro : on se mange carrément le mur », juge Mathilde, enseignante au lycée Théodore Monod de Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), établissement mobilisé depuis le 11 mai.
La réforme mise en œuvre via le Pacte
D’abord, il faut comprendre qu’une partie de la réforme du lycée professionnel va se mettre en place via le Pacte. La réforme « est conditionnée par le Pacte », va jusqu’à dire Mathilde. Un exemple l’illustre. La réforme crée le dispositif « Ambition Emploi ». Ce dispositif s’adresse aux jeunes sortis du lycée professionnel mais qui se retrouvent sans emploi.
Après leur année de terminale, jusqu’à la fin décembre, ceux-ci pourront continuer d’être suivis par leurs anciens enseignants. « S’ils ont fini leur scolarité, ils risquent de se retrouver inscrits à Pôle emploi ou dans les missions locales. Si le jeune ne sait pas quoi faire à la rentrée scolaire, il peut donc revenir à l’école de septembre à décembre, voir un organisme d’insertion, demander du soutien… », détaille Catherine Prinz, secrétaire nationale de la CGT Educ’action chargée des lycées professionnels.
Or, cet accompagnement sera assuré par… des enseignants volontaires, signataires du Pacte. « C’est bien une mission du Pacte, quantifiée », insiste Axel Benoist. Ces enseignants les aideront pour des « stages, immersions dans des classes de terminale, appui à la recherche d’emploi ou de contrat d’apprentissage, rencontres avec des recruteurs », détaille le dossier ministériel. Quid des inégalités d’accès à ce dispositif selon les établissements, si tout repose sur le volontariat ?
Annualisation du temps de travail
Mais surtout : demander un accompagnement jusqu’à fin décembre, donc bien après la fin de l’année scolaire, « cela veut dire : l’annualisation du temps de travail. Ça vient bouleverser complètement notre calendrier scolaire », soulève Mathilde, l’enseignante de Noisy-le-Sec.
De manière globale, « ce PACTE vise une annualisation des temps de services » des enseignants, confirme Axel Benoist. Nouvel exemple : les cours en effectifs réduits. Cette mission du Pacte est quantifiée sur un volume annualisé, comme c’est le cas de beaucoup d’autres missions. Conséquence : « si l’on est en arrêt maladie lors d’une intervention ou d’une formation dans le cadre du Pacte, ce n’est pas du tout comme une absence pour un cours. On devra rattraper ce créneau, plus tard dans l’année », explique le responsable du SNUEP-FSU.
Un rapport de la Cour des comptes paru en 2017 et intitulé « Gérer les enseignants autrement » annonçait la couleur. « L’annualisation serait d’autant plus efficace qu’elle s’appuierait sur une réforme pédagogique permettant de s’affranchir du cadre hebdomadaire de travail des élèves », y était-il recommandé. « Tout était annoncé. Mais on ne l’avait pas vu », soupire Mathilde.
Des missions qui vont « déshabiller le lycée professionnel »
Le calendrier scolaire sera d’autant plus bousculé que certaines missions viennent « déshabiller le lycée professionnel », observe Axel Benoist. Les syndicats craignent que des dotations horaires jusqu’ici données aux établissements soient supprimées, à terme, car remplacées par des missions du Pacte. L’exemple des cours en effectif réduit l’illustre parfaitement.
Aujourd’hui, les lycées se voient dotés d’un volume d’heures complémentaire pour assurer des cours en petits groupes – équivalents à des classes divisées en deux. Ce volume, défini nationalement, varie selon les effectifs d’établissements.
En créant cette mission du Pacte « groupes à effectif réduit », « ils n’inventent pas la poudre : ça existe déjà. Mais surtout, il n’y a plus l’obligation de doter les établissements du volume complémentaire : ce seront aux enseignants signataires du Pacte de le réaliser », décrypte le responsable du SNUEP-FSU.
Les lycées professionnels face à la « guerre éclair » du ministère
« Faire travailler davantage les présents, face à une pénurie de recrutements »
A minima, les signataires du Pacte devront assurer 90 heures annualisées, décompte Sud Education. Avec des incertitudes, puisque certaines missions ne sont pas quantifiables. « On va signer quelque chose qu’on ne mesure pas en termes d’horaires », s’inquiète Mathilde.
« Certains professeurs font déjà tout ce travail en réalité, sans qu’il ne soit reconnu », défend Bruno Clément-Ziza, directeur de cabinet de la ministre déléguée en charge de l’Enseignement et de la Formation professionnels, auprès du magazine Capital. « Désormais ils toucheront une gratification pour ces missions qui leur prennent du temps ».
L’interprétation est différente côté syndicats : « on a l’impression qu’ils veulent faire travailler davantage les présents, face à une pénurie d’enseignants », analyse plutôt Axel Benoist.
Dans son rapport de 2017, la Cour des comptes suggérait la création d’un « contingent annuel d’heures supplémentaires » annualisé… pour faire des économies budgétaires sur les effectifs. Elle s’était livrée à un calcul : une seule heure supplémentaire, effectuée par tous les enseignants du second degré, équivaudrait à 26 000 ETP (équivalent temps plein).
Un calcul « à titre purement indicatif », précisait-elle. Mais qui semble avoir fait son chemin en haut lieu. Le Pacte enseignant est pour l’heure basé sur le volontariat. Le restera-t-il longtemps ? La Cour des comptes défendait « l’objectif » de rendre ce contingent d’heures « applicable sans que l’enseignant puisse s’y opposer. »
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