La fonction publique mobilisée contre cette « casse sociale » qui ne dit pas son nom

Ce 13 mai, les fonctionnaires sont appelés à se mobiliser pour défendre leur pouvoir d’achat et les services publics. En quête d’économies budgétaires pour le budget, le gouvernement inflige une nouvelle cure d’austérité à une fonction publique déjà à l’os, tout en se défendant de faire de la casse sociale.

François Bayrou souhaite les sonder, il va pouvoir les écouter. Alors que le premier ministre a fait part de sa volonté de consulter les fonctionnaires sur « l’utilité de leurs missions », l’intersyndicale composée de la CGT, SUD-Solidaires, FSU, Unsa, CFE-CGC, appelle à nouveau à se mobiliser ce 13 mai. Leurs revendications n’ont pas changé depuis leur mobilisation du 03 avril : valorisation de leur salaire et la défense des services publics.

Si leur grève suivie du 5 décembre avait fait reculer Michel Barnier sur certains points, l’exécutif actuel ne cesse de répéter la nécessité de ramener le déficit à 4,6 % du PIB en 2026. Et pour dégoter les 40 à 50 milliards d’euros visés par Bercy, il convient de « maîtriser les dépenses publiques », insiste une circulaire envoyée le 23 avril aux ministres. Objectif 100 milliards d’euros d’économie d’ici 2029 ! Sur France Info, le président de la cour des comptes, Pierre Moscovici, ne faisait pas non plus mystère sur quoi devait se porter « le principal effort », qu’il prévoit comme « important ». Ce sera sur les « dépenses de l’État, de la Sécurité sociale et des collectivités locales. » En clair ? haro sur les fonctionnaires jugés trop nombreux, trop coûteux, trop malades ! J. Milei a sa tronçonneuse en Argentine, E. Musk a son Doge aux États-Unis. F. Bayrou, lui, a en France sa « simplification administrative » d’une bureaucratie « obèse » et « trop lourde ». Le 27 avril, Amélie de Montchalin a ainsi annoncé vouloir « d’ici la fin de l’année », supprimer ou fusionner« un tiers des agences et des opérateurs », employant 180 000 personnes. Des centres de recherche scientifique CNRS, INRAE ou des agences environnementales (ONF, ANSES) pourraient être ciblées… « Un logiciel Trumpiste » dénonce la députée LFI Manon Baudet. Mais ne parlez pas « de casse sociale » ni de restructuration. La ministre des comptes publics publics préfère le terme de « ménage » pour caractériser ces « 2 à 3 milliards d’euros d’économies ».

Contre cette « austérité permanente » qui ne dit pas son nom, profs, soignants, agents d’impôts, territoriaux, les bibliothécaires municipaux, travailleurs sociaux s’unissent donc à nouveau dans la rue sous leur statut public. « Même avec des centaines métiers et des services publics différents, on a les mêmes conditions d’exercice qui amènent à péter des câble », rappelle Stéphane Legruel qui compare la situation de la fonction publique à la vague de 360 licenciements collectifs du privé à la une des médias. « Même si ce ne sont pas des plans massifs, il se passe en sourdine un peu la même chose dans les services de l’État », alerte ce représentant de la fédération SUD Collectivités Territoriales .

Si cette « baisse des effectifs de la fonction publique » ne doit pas se faire « à l’aveugle », elle est même « possible et salutaire » aux yeux du chef du gouvernement. Ce dernier avait renoncé à la suppression de 4000 suppressions de postes d’enseignants annoncées sous Michel Barnier. Sauf que la répartition des places prévue dans le primaire et le secondaire, laisse entrevoir une rentrée prochaine sous tension. France Travail, où les agents se mobilisent de leur côté (une journée est prévue le 15 mai), prévoit la disparition de 3000 équivalents temps plein d’ici 2027. Même ordre de grandeur et même échéance dans les finances publiques qui se voient amputées cette année de 550 postes. En octobre 2024, un rapport de la cour des comptes suggérait même de supprimer 100 000 emplois publics pour économiser 4,1 milliards d’euros, déclenchant la colère du président de la Marne. Particulièrement touchée par ces restrictions, la territoriale doit s’adapter ses budgets alors que les besoins sociaux de la population ne ne diminuent pas. Alors qu’une conférence gouvernementale s’ouvre avec les collectivités territoriales, un nouvel effort de 8 milliards leur sera demandé pour 2026, d’après La Tribune. Pour 2025, les budgets locaux doivent déjà contenir leurs dépenses de 2,2 milliards d’euros. Conséquence ? « Ce que je fais s’apparente à un plan social », assumait le président socialiste de la Haute-Garonne qui prenait moins de pincettes que la ministre des comptes publics. Le Conseil Départemental du 31 annonçait se séparer de près de 500 contractuels en novembre dernier. Une  bombe sociale qui laisse dans l’angoisse et la précarité les concernés. « Certains sont prévenus du jour au lendemain par téléphone qu’ils ne sont pas renouvelés. C’est terrible ! Nos services sont en train de se vider des travailleurs qui les faisaient vivre », s’insurge Stéphane Legruel de Solidaires. A bas bruit, un peu partout, les localités remercient leurs agents. En Côte d’Armor, 60 personnes sont mises sur le carreau. En Loire-Atlantique, 100 postes suspendus. Sur ce département, 13 000 emplois liés à la culture seraient menacés par la baisse des subventions. En Hérault, l’arrêt de 100% de crédits culturels par un département socialiste va également activer le mode survie des contractuels.

Ce dégraissage en règle se fait sur un État déjà à l’os. « On est plus qu’à l’os, il est bien rongé, rebondit Stéphane Legruel de Sud Solidaires. Y’a pas de fric pour nos services publics. Au quotidien on rationne même nos crayons ». Il suffit de regarder les vidéos virales postées sur les réseaux sociaux par les profs et leurs élèves qui dénoncent l’insalubrité de leurs lycées pour mesurer la déliquescence des établissements publics. Dans l’enseignement supérieur, les 2 milliards d’euros de réserves utiles à la rénovation des bâtiments ont été sucrés en 2025, dénonce le Snesup-Fsu. « Du pain sec et de l’eau ». C’est par ce régime plutôt drastique que Stanislas Gaudon de la CFE CGC illustre auprès de l’AFP, la situation des agents publics depuis quinze ans. « Ça fait des années que l’austérité est latente là on ressent concrètement que le robinet est fermé. Cette année, c’est vache maigre », constate un bibliothécaire parisien qui a vu la dotation fondre de 25 %. « Ça change complétement la politique documentaire : On fait moins d’acquisition, moins d’animation pour les gamins », celui qui se mobilisera le 13 bien qu’« entre collègue, on n’en parle pas beaucoup »

Autant d’assistantes sociales, de puéricultrices ou d’artistes en moins, c’est autant de familles en galère, de crèches saturées, d’ateliers scolaires manquant, de vieux moins bien traités ou de mômes laissés à l’abandon… Dans le Nord, la fermeture de 700 places en foyer a conduit à la maltraitance d’enfants placés. Sa mise en cause par une enquête parlementaire dans ce dossier n’a pas empêché le Conseil Départemental nordiste de faire 3 millions d’euros de coupes budgétaires dans la prévention jeunesse et de se séparer de près de 60 éducateurs de rue.

Dans l’enseignement professionnel, en proie à la réforme des parcours différenciés, c’est aussi moins de temps pour l’accompagnement. « Alors qu’on aura plus d’élèves, il n’y aura ni ouverture de postes ni de nouvelles formations, ça signifie des classes surchargées avec un risque de décrochage chez jeunes », alerte Axel Benoît du SNUEP-FSU qui décèle autant une fatigue qu’une colère parmi ses collègues.

S’il y a un secteur qui fonctionne en mode dégradé depuis des années, c’est bien la santé. Quiconque a récemment fait un passage aux urgences ou en psychiatrie sait que l’hôpital n’en finit pas de craquer… « De plus en plus de patients sont laissés sur des brancards dans les couloirs sans fenêtre, sans vraiment aller aux toilettes. Ils mangent comme ils peuvent et à qui on facture comme s’ils étaient dans une chambre », s’alarme Laurent Laporte, secrétaire de l’UFMICT Cgt. « Et il y a les morts… » souffle-t-il. Les médias se font régulièrement l’écho d’une multiplication « d’incidents graves » aux urgences, dont des drames. Mais François Bayrou lit-il la presse ?, s’interroge le syndicaliste, remonté contre le premier ministre qui vient d’envoyer une lettre de cadrage aux agences régionales de santé pour leur demander un meilleur suivi des dépenses d’achats. « Les trois-quarts des hôpitaux sont en faillite et lui nous demande de nous serrer la ceinture, hallucine Laurent Laporte. Cette irresponsabilité de nos politiques est dramatique ».

Ce manque de moyens, ce sous-effectif chronique poussent le personnel à ne pas compter ses heures pour soulager usager et collèges. Quitte à sacrifier sa santé. Pendant le covid, nombre de blouses blanches sont venues bosser malades. L’enquête menée par la CGT et Vivavoice auprès de 4000 infirmiers et infirmières acte une charge de travail accrue, d’une perte de sens ainsi qu’un manque de reconnaissance par leur hiérarchie. En récompense de leur dévouement, le gouvernement a décidé de diminuer de 10 % l’indemnité en cas d’arrêt-maladie des fonctionnaires. « Pas coupables d’être malade », dénonce la FSU qui demande avec les autres syndicats, l’abrogation de cette amputation ainsi que du jour de carence déjà existant. La CFE-CGC a lancé un recours au Conseil d’État. Le cercle de réflexion Sens du service public a fait les calculs : cette baisse fait perdre près de 201 euros à un fonctionnaire de catégorie C qui s’arrêterait vingt jours…

Le gouvernement cherche à contrôler la hausse de 6,7 % de la masse salariale des fonctionnaires, pourtant due à des choix politiques. Ce dit « dérapage » des salaires s’apparente plutôt à une « misère », une fois dans l’escarcelle de cet agent de catégorie C. « En cinq ans, j’ai peut-être gagné 50 euros de plus », confie l’un d’eux qui devra composer cette année sans la prime GIPA. Versée depuis 2009 pour faire face à l’inflation, cette garantie individuelle du pouvoir d’achat a été supprimée sous M. Barnier, au grand dam des syndicats. Selon les professions et les grades, les primes peuvent représenter jusqu’à près 30 % de la rémunération d’un agent public. Non soumises à cotisation, ces indemnités ne compteront pas dans le calcul de sa pension retraite. Ce qui contribue à creuser le déficit public, lui-même utilisé pour justifier de tailler des croupières. Basculer ces primes en salaire permettrait de financer les caisses de la sécurité sociale. Jusqu’à 4 milliards d’euros, a calculé la CGT. Sans compter les 6 milliards collectés en cas de véritable égalité salariale entre hommes et femmes. Aucune de ces alternatives n’est envisagée par l’exécutif qui exclut toute collecte de nouvelles recettes.

Malgré ces conditions, la fonction publique continue d’attirer les jeunes, selon l’Institut Montaigne. Loin de l’image d’Épinal, véhiculée dans la société, du gratte-papier dans un bureau qui s’arrête à la moindre excuse. Loin du « fonctionnaire bashing qui marche dans l’opinion. Ils nous gèrent avec des idées reçues, regrette Laurent Laporte. C’est hyper-malheureux de nous faire passer pour des tires-aux-flancs alors que y’a pas plus engagé et motivé pour bosser ». Il suffit de rappeler que les infirmières qui nous soignent, les profs qui éduquent notre progéniture, les cantiniers qui la nourrissent, les conducteurs de bus qui nous transportent, sont fonctionnaires pour rappeler leur utilité au quotidien. Sans eux, ces services font défaut dans nombre de communes et risquent de coûter bien plus cher. « Dézinguer les services publics, c’est faire un cadeau au privé et mettre la société en tension », assurent plusieurs syndicalistes. Leur fermeture, leur éloignement, leurs délais de traitement et leur dématérialisation conduisent à trier, voire à discriminer les usagers et nourrit un sentiment d’abandon des deux côtés du guichet. Cet affaiblissement des services publics dope le vote en faveur du RN, expliquent plusieurs études. En parallèle, la fonction publique est elle aussi gagnée par l’extrême droite. « Il y a une très forte colère qui monte, témoignent plusieurs interlocuteurs. A voir, si elle s’oriente vers les politiques du gouvernement ou des boucs émissaires. »

En attendant, les modalités d’action du 13 mai dépendront des contraintes locales ou sectorielles. Grève ou rassemblements, les syndicats veulent « réunir le plus largement possible ». L’idée de cette « étape de construction » est de sensibiliser les agents pour préparer les prochaines actions, précise Axel Benoît, du Snuep FSu, prudent sur la participation dans l’enseignement pro. Et pour cause : mardi prochain est une journée d’examens. « Ce qu’il nous faudrait, imagine un fonctionnaire sceptique des stratégies confédérales, c’est un 13, 14, 15, 16 mai… Tous ensemble, public et privé »

Crédit photo : Serge D’Ignazio