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Violences policières, épisode 1 – l’affaire Traoré : « les quartiers ne se résignent pas »


En vue de la mobilisation du 23 septembre contre les violences policières, Rapports de Force publie une série d’articles, dont le premier porte sur le non-lieu prononcé dans l’affaire Adama Traoré, décédé en 2016. Son comité de soutien organise un rassemblement ce mardi soir à Paris. Au-delà de la bataille judiciaire, les militants jouent leur victoire ailleurs : dans la rue, en tentant d’imposer leur analyse critique de la police dans le débat public. Et ce, malgré les contre-offensives particulièrement vives depuis l’assassinat de Nahel. 

 

La justice a prononcé, vendredi 1er septembre, un non-lieu dans l’affaire Adama Traoré, jeune homme de 24 ans décédé à la gendarmerie de Persan (Val d’Oise) suite à son interpellation par trois gendarmes, le 19 juillet 2016. Ce non-lieu fait suite à sept années de procédure judiciaire. Cette décision, « qui contient des contradictions, des incohérences et de graves violations du droit, déshonore l’institution judiciaire », estime Maître Yassine Bouzrou, l’avocat de la famille. Celle-ci annonce d’ores et déjà faire appel.

« Il y a un non-lieu parce que le système ne pouvait pas permettre que l’affaire symbolique qui a secoué le pays pendant sept ans aboutisse à un procès », réagit auprès de Rapports de Force Youcef Brakni, l’un des porte-paroles du comité Adama. « Ce procès aurait été trop énorme. Ils veulent maintenir l’ordre établi ».

« La justice française a décidé de protéger et d’exonérer les gendarmes », a réagi pour sa part Assa Traoré, la sœur d’Adama Traoré, dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux. Mais son ton se voulait avant tout combatif : « au fil des années nos voix se sont décuplées (…) nous avons imposé la question des violences policières, des inégalités, des discriminations ».

Un rassemblement est organisé ce mardi à 18 heures, place de la République à Paris.

Au-delà du judiciaire, imposer la critique des violences policières dans le débat public

 

Le comité Adama compte bien aller, s’il le faut, jusqu’en Cour de cassation ou jusqu’à la Cour européenne des droits de l’Homme. Mais « on ne se fait pas d’illusion » quant à l’issue de la bataille judiciaire, tempère Youcef Brakni : « la justice française, on le sait, n’est pas révolutionnaire. Un procès, en soi, ne réglera pas la question des violences policières ». L’idée est plutôt de transformer chaque séquence judiciaire en « tribune, pour notre lutte globale ».

Surtout, le combat du comité Adama, devenu un symbole de la lutte contre le racisme dans la police et les violences policières, a réussi à bouger des lignes dans le débat public, estime aujourd’hui Youcef Brakni. « Sortir de l’invisibilité. Imposer nos termes du débat. Imposer l’humanisation de la victime. Qu’on le veuille ou non, nous avons gagné sur tous ces plans ! » Depuis sept ans, au delà du système judiciaire et des syndicats policiers, « nous faisons face à une lutte active pour le déni, de la part d’influenceurs d’extrême droite, de prétendus intellectuels de droite, d’éditorialistes de droite… Mais malgré tout ce dispositif, tout le monde sait qu’Adama n’est pas mort tout seul », argumente-t-il.

Pour imposer ces contre-récits, le comité Adama a misé sur des mobilisations dans la rue très régulières. Prochaine en date : celle du 23 septembre contre les violences policières. Le comité fait partie des organisations signataires. « Il faut une réponse globale de toutes les forces de gauche sur cette question », martèle Youcef Brakni. Aux côtés des syndicats CGT, FSU et Solidaires, les partis politiques LFI, EELV et NPA seront présents. Mais « d’autres vont encore briller par leur absence : ils préfèrent manifester devant l’Assemblée avec le syndicat Alliance », raille le responsable du comité Adama, en visant le PCF et le PS.

 

Nahel et la « contre-révolution » en cours

 

« C’est devenu un sujet de débat public, là où ça ne l’était pas. Il faut se le dire, parce que sinon, on se demande à quoi tout cela sert », résume Youcef Brakni. Car les moments de découragement sont légions. En particulier cet été, avec l’assassinat du jeune Nahel, qui a donné lieu aux schémas narratifs habituels – criminalisation de la victime, stigmatisation des jeunes en révolte dans les quartiers populaires… – et à une forte répression judiciaire des émeutes.

Mort de Nahel : les révoltés face à la justice expéditive

Chaque année depuis 2016, le comité Adama organise une marche à Beaumont-sur-Oise. Mais en juillet, la préfecture du Val d’Oise l’a interdite. Alors qu’un transfert de la marche à Paris, place de la République, était envisagé, la préfecture de police de Paris l’a à son tour interdite. Motif : risques de troubles à l’ordre public, dans le contexte tendu autour de la mort de Nahel.

« Nos victoires se font au prix de contre-révolution », analyse Youcef Brakni. En voyant les images du meurtre de Nahel, « j’ai pensé : toute la France va se soulever, pas seulement les quartiers populaires, car c’est insupportable. Je pensais qu’il y aurait un basculement dans l’opinion publique, comme avec George Floyd aux Etats-Unis, où tout le monde était dans la rue. Mais ce n’est pas ce qu’il s’est passé. Cela montre que la France est dans un état critique ». La révolte a été restreinte aux jeunes des quartiers populaires.

Mais elle constitue tout de même « un espoir », s’accroche le porte-parole du comité Adama : « malgré le matraquage quotidien, ces révoltes sont un cri, pour dire qu’on ne peut pas nous tuer comme ça ; que ces quartiers sont vivants ; qu’ils ne se résignent pas ».