Après les manifestations monstres du 8 mars en Espagne, le mouvement des femmes reprend le chemin de la rue pour dénoncer la condamnation pour « abus sexuel » d’un viol commis par cinq hommes se faisant appeler « la meute ». Dans une Espagne bloquée politiquement, la rue reprend de la vigueur.
Des dizaines de milliers de personnes, essentiellement des femmes, ont manifesté dans les rues de Pampelune en Espagne samedi 28 avril. Entre 32 000 et 35 000 selon le décompte de la police municipale. Dans cette ville de moins de 200 000 habitants, c’est proprement gigantesque. Le même jour, des milliers de femmes ont également défilé à Madrid, Barcelone et dans la plupart des villes espagnoles. Comme tous les jours depuis que le tribunal de Navarre a condamné jeudi, les cinq membres de « la manada » (la meute), à 9 ans de prison pour « abus sexuel ». Ainsi disculpés de l’accusation de viol, ils échappent à la peine de 22 ans et 10 mois de prison requise par le parquet.
Les cris de « ce n’est pas un abus sexuel, c’est un viol » ont été scandés par les manifestantes dans tout le pays. En juillet 2016, lors des fêtes de San Firmin à Pampelune, cinq Sévillans âgés de 27 à 29 ans ont agressé sexuellement une jeune madrilène de 18 ans. La meute, comme ils aimaient à s’appeler, est composée de supporters ultras de football, dont un militaire et un membre de la Guardia Civil. Ce soir-là, ils croisent la route de la jeune fille, la coincent dans un hall d’immeuble, lui imposent des relations sexuelles en filmant la scène, avant de la laisser à demi-nue, délestée de son téléphone portable. Ils postent ensuite la vidéo de leur forfait sur WhatsApp.
Blocages machistes et essor du mouvement des femmes
Le tribunal n’a pas retenu la qualification de viol en s’appuyant sur la notion restrictive du Code pénal espagnol qui précise qu’il doit y avoir eu intimidation ou violence pour que le viol soit reconnu. Pendant le procès, la jeune femme s’est vue, elle, reprocher qu’elle n’avait pas opposé de résistance à ses agresseurs. Dans leur verdict, les juges n’ont pas admis l’état de sidération avancé par la victime pour expliquer sa passivité. Un des trois juges s’est même prononcé pour la relaxe pure et simple des cinq hommes, rappelant ainsi la persistance, au sein des institutions comme de la société espagnole, du machisme. Des « valeurs » longtemps portées par un franquisme jamais totalement liquidé, faute d’épuration dans les administrations et le personnel politique après 1975.
Pourtant l’Espagne a été parmi les premiers pays en Europe à se doter d’une loi, la loi intégrale, contre les violences faites aux femmes. Dès 2004, des mesures sont prises incluant la protection et l’accompagnement des victimes, ainsi que la mise en place de tribunaux spécialisés. De plus, contrairement à la France, les assassinats conjugaux ne sont pas rendus invisibles et font la une des médias. Mais les violences faites aux femmes restent massives. Un nouveau « Pacte contre les violences faites aux femmes » a même dû être adopté en 2017 comprenant pas moins de 200 mesures. Mais le verdict de Pampelune montre la persistance des violences institutionnelle. Comme en réponse au tribunal, « moi je te crois » est devenu un des hashtags les plus populaires sur les réseaux sociaux en Espagne depuis jeudi dernier.
La décision du tribunal a scandalisé une grande partie de la société espagnole. Une pétition réclamant l’inhabilitation des juges a recueilli 1,2 million de signatures en moins de 48 h sur fond de rassemblements spontanés et massifs. Le parquet a fait appel de la décision dès le vendredi. De son côté, le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy s’est empressé d’évoquer la possibilité d’une modification législative, tenant ainsi compte de la progression des mouvements revendicatifs des femmes. Le chef de l’exécutif gardant probablement en mémoire son échec, face à de grandes mobilisations féministes, à restreindre l’accès à l’avortement en 2013.
Les femmes font renaître le mouvement social
Cinq ans plus tard, le mouvement des femmes a secoué la société espagnole à l’occasion de la journée du 8 mars 2018. Cette année, le thème principal était les écarts de salaires entre hommes et femmes, encore inférieurs de 15 % pour les femmes, quand bien même ces inégalités sont en réduction depuis 2002. Près de 6 millions de travailleuses se sont mises en grève à l’appel de la commission du 8 M regroupant différents mouvements féministes, et soutenues par l’ensemble des organisations syndicales. Les défilés se sont transformés en marées humaines, renouant avec le souvenir des grands mouvements sociaux d’occupation des places pendant la crise en 2011.
Une résurgence de la rue qui se cherche, avec en parallèle des mobilisations féministes, un mouvement important sur les retraites dans une Espagne bloquée politiquement, gouvernée par un Premier ministre minoritaire, mais apparemment indéboulonnable. Son parti, englué dans les affaires de corruption, au pouvoir depuis 2011, n’a été reconduit en 2016 qu’à l’issue de trois scrutins et au bénéfice de l’abstention au Parlement du principal parti d’opposition, le parti socialiste. Mais jusque-là, ni le puissant mouvement social de 2011, ni l’abandon de la rue pour l’arène politique autour de Podemos, ni la crise catalane n’ont eu raison de Mariano Rajoy. Pourtant la fragilité est là. Le Premier ministre est moins solide qu’en 2011 face à un réveil de la rue.
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