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Le Labor Notes met en lumière le renouveau du syndicalisme américain


 

Plusieurs milliers de travailleuses et travailleurs américains ont participé aux rencontres Labor Notes à Chicago du 17 au 19 juin. Pour en savoir plus sur la réalité du renouveau syndical aux États-Unis, dont la victoire à Amazon est un des symboles, nous avons interrogé Cybèle David, secrétaire nationale en charge des questions internationales et Amaya Le Coq, élue CSE chez Amazon, qui faisaient partie de la délégation de l’Union syndicale Solidaires au Labor Notes.

 

 

Pouvez-vous nous expliquer ce que sont ces conférences Labor Notes ?

 

Cybèle : Labor Notes est une organisation qui a comme vocation de regrouper des syndicats, des organisations de travailleurs qui ne sont pas encore constitués en syndicats et des organisations qui travaillent auprès des travailleurs pour défendre leurs droits. Ils se réunissent une fois par an à Chicago pour essayer de créer des liens entre eux et de les organiser. Ils ont aussi un volet formation avec des gens formés en droit du travail, sur les syndicats, en accompagnement juridique…

La conférence n’a pas eu lieu les deux dernières années à cause de la pandémie. En général elle regroupe entre 500 et 2000 personnes. Cette année, c’était une très grosse édition : il y avait 4000 personnes en permanence, principalement venues de tous les États-Unis. Mais aussi des invités internationaux, avec quelques réunions qui croisent les questions internationales, même si ce sont essentiellement des rencontres internes aux USA.

Le Labor Notes ne se revendique d’aucune affiliation politique ou syndicale tout en se revendiquant de gauche. Cela pour être le plus ouvert possible et mettre en lien différents syndicats, membres ou non de différentes centrales syndicales, syndicats autonomes, organisations de travailleurs indépendants, associations de travailleurs, organisations politiques. Le Labor Notes ne se veut pas une organisation, mais un réseau : il n’y a pas de décisions prises. Évidemment, se revendiquer de gauche aux États-Unis, cela ne signifie pas la même chose qu’ici : il y a principalement des participants de partis politiques communistes, trotskystes ou libertaires. En principe il n’y a jamais d’intervention d’homme politique, mais cette année Bernie Sanders a pris la parole au meeting du vendredi soir et a été extrêmement applaudi par l’ensemble des participants.

 

Comment s’est passée cette édition 2022 ? Quels en étaient les thèmes essentiels et les perspectives ?

 

Cybèle : C’est une édition marquée par ce qu’est le syndicalisme aujourd’hui aux États unis : extrêmement dynamiques après la période COVID. On sent une énorme volonté de s’organiser et de construction de syndicats. Évidemment, avec la présence des syndicats et des syndicalistes d’Amazon ou de Starbucks qui avaient de grosses délégations venues des différents sites de ces entreprises. Nous avons d’ailleurs appris pendant la rencontre que le premier syndicat d’Apple avait été constitué officiellement. Cela a été applaudi dans les réunions plénières.

Ils font beaucoup de formations. Notamment avec des « organizers » : des militants qui ne sont pas forcément travailleurs de l’entreprise, qui sont formés pour aller encourager les gens à se constituer en syndicat et à s’organiser. C’est une population très jeune, assez diverse, très racisée, à l’image des travailleurs précaires de ces entreprises, notamment beaucoup de Latino-Américains qui sont très présents dans les métiers précarisés. Il y avait une grosse délégation de New York avec des livreurs, des femmes de ménage, des travailleurs de la construction qui essayent de se constituer en syndicat. Ils n’y arrivent pas parce qu’ils sont sous un statut un peu différent, un peu comme en France avec le statut d’autoentrepreneur. Du coup, ils veulent être reconnus comme des travailleurs salariés pour pouvoir se constituer en syndicat.

Amaya : il y avait Chris Smalls et Derrick Palmer, les fondateurs d’Amazon Labor Union, le premier syndicat américain qui s’est constitué il y a environ un an. Et toutes les personnes qui étaient avec eux, qui les soutenaient. Beaucoup de syndiqués et militants des entrepôts Amazon nous ont expliqué comment ils ont fait pour se créer. Cela a mis beaucoup de temps pour eux, parce qu’aux États-Unis c’est compliqué de créer son syndicat.

 

La création du premier syndicat chez Amazon a été relatée dans la presse en France. Mais est-ce que c’est un épiphénomène, ou au contraire, une lame de fond aux États-Unis ? Avez-vous pu mesurer la réalité d’un renouveau syndical ?

 

Amaya : C’est vraiment un gros mouvement qui est en train de se créer. On sent qu’ils sont vraiment attachés à cela et que c’est très militant. Pour l’instant, ils disent qu’ils sont en train de s’organiser, que cela vient de commencer, qu’ils ont besoin de prendre leurs marques, de faire des formations… Ils commenceront déjà par créer des grèves aux États-Unis, avant de voir un peu plus le côté international et de créer une union internationale. Ils veulent vraiment commencer par les bases.

Cybèle : C’est un mouvement important, mais aussi de base. Même s’il y a des organisateurs qui aident et animent, à Labor Notes, il y avait beaucoup de travailleurs des entrepôts présents. Ils sont assez réalistes en disant en être à l’étape de faire reconnaître les syndicats : avoir suffisamment de votes pour se constituer, puis pour être élu dans l’entreprise. Mais quand il y a une équipe constituée un peu solide, ils arrivent à être assez massifs rapidement. C’est ce qui fait penser que c’est une lame de fond. Ils y vont étape par étape en luttant dans leurs entreprises sur des choses très simples au départ, sans faire peur à tout le monde en partant sur de grandes grèves. Ils commencent par des revendications concrètes : avoir une salle de repos, des micro-ondes dans cette salle, faire respecter les pauses… Et progressivement, ils arrivent à convaincre.

Plusieurs ont raconté comment ils étaient entrés dans le syndicat grâce à ce travail de base et ce syndicalisme de terrain dans les luttes du travail. C’est une construction d’un syndicalisme avec des bases assez solides. Ce qui est plutôt encourageant pour la suite : lancer des mouvements éventuellement plus grands.

 

Amaya, toi qui es syndicaliste à Amazon en France, qu’est-ce que t’a apporté cette rencontre avec les militants américains ?

 

Amaya : C’est la même entreprise, mais ils ont beaucoup de façons de travailler différentes. On voit qu’Amazon déteste les syndicats, encore plus aux États-Unis, parce qu’ils ont vraiment tout fait pour les étouffer. Mais il est encourageant qu’un réseau se créer où l’on puisse partager nos revendications, nos opinions sur la façon de travailler d’Amazon.

 

Au-delà d’Amazon, est-ce que d’autres thématiques ou secteurs d’activités ont émergé ?

 

Cybèle : Aux USA, il y a un sujet qui est très important, c’est l’antiracisme. Et donc de la lutte antiraciste dans la construction des syndicats et dans les syndicats. J’ai participé à un atelier sur la formation antiraciste dans les organisations syndicales et dans les entreprises. Il y avait deux Noires américaines, une personne originaire d’Asie du Sud et une autre d’Asie de l’Est qui racontaient comme elles travaillaient dans le syndicat pour former les personnes racisées à répondre et intervenir sur les questions racistes. Elles abordaient le racisme ordinaire ou moral, le quotidien des commentaires et des micro-agressions, mais en mettant cela en lien avec le racisme institutionnel, le racisme systémique.

Il y avait également une table ronde sur la façon dont le mouvement Black Lives Matter a impacté le syndicalisme et le monde du travail. Comment, justement, les syndicats s’étaient emparés de ce sujet-là pour le porter en interne des syndicats et dans les entreprises. Car il y a toujours cette double question : ne pas considérer que c’est un problème dans les syndicats — alors que c’en est un — et comment les personnes racisées peuvent trouver leur place dans le syndicalisme et se soutenir.

 

 

Il y avait énormément de personnes racisées au Labour Notes. Les Latino-Américains étaient très présents sur la question de l’organisation des travailleurs migrants. Notamment une très grosse délégation de New York : des livreurs, des femmes de ménage et les travailleurs de la construction, qui pour beaucoup travaillent comme autoentrepreneurs et revendiquent d’être reconnus comme salariés pour pouvoir ensuite se constituer en syndicat.

En revanche, ce qui m’a étonnée, c’est qu’il y avait peu de chose sur la question du sexisme, et du féminisme en général. Même si, la représentation des femmes et des personnes LGBT était assez importante dans les délégations, visibles et revendiquées. Mais c’était moins un sujet de débat, de discussion, dans les workshops, les ateliers qui étaient organisés.

 

Est-ce que ce qui émerge aux États-Unis est source d’inspiration pour le syndicalisme en France ? Et si oui, sur quels plans ?

 

Amaya : Cela nous donne vraiment envie de continuer à nous battre encore plus, de porter plus de revendications, de luttes. On voit qu’aux États-Unis cela commence à émerger et qu’ils sont passionnés. Donc j’espère que cela va continuer et que nous arriverons à améliorer nos conditions de travail, nos salaires, etc.

Cybèle : Il y a eu des rencontres informelles en parallèle du Labor Notes, sur Amazon notamment, avec une discussion sur : « C’est quoi vos salaires ? C’est quoi vos horaires ? C’est quoi les droits que vous avez avec vos salaires ? » Nous nous sommes rendu compte que les salaires nets étaient plus faibles en France. Mais par contre, aux États-Unis, il n’y a pas de sécurité sociale, de chômage ou de retraite. Et donc avec des interrogations : « C’est quoi vos revendications ? C’est quoi les nôtres ? Qu’est-ce qu’on pourrait construire éventuellement comme revendications communes ? » En revanche, on sentait que du côté des États-Uniens, les questions internationales étaient moins une préoccupation. En tout cas, à ce stade de leur construction syndicale.

 

Est-ce que la façon dont les Américains fonctionnent avec des « organizers » pourrait être une réponse pour le syndicalisme en France sur les questions d’implantation et de déserts syndicaux ?

 

Cybèle : Nous avons discuté avec les organisateurs du Labor Notes de ces questions-là, de formation. Nous n’avons pas eu le temps de faire des retours avec notre commission formation, mais nous avons trouvé que ce pourrait être intéressant d’inviter des formateurs des États-Unis et de croiser nos pratiques sur ces questions d’organisation et de stimulation. Parce que ce qui nous a vraiment marqués dans les réunions auxquelles nous avons assisté, c’est la manière dont les intervenants à la tribune interpellaient la salle, les faisait participer et réagir. Les gens répondaient avec des oui, des non, en claquant les doigts pour applaudir. On sentait une émulation.

Cela nous a interpellés sur la manière et la capacité de recruter, de parler, de s’adresser à des très jeunes, à des milieux populaires. Là où nous avons quand même du mal à recruter et exister. Cependant, on voit quand même que ce syndicalisme se développe plutôt dans de très grands centres de travail : des gros entrepôts Amazon, des Starbucks où il y a beaucoup de salariés. Pour le moment, ils ne touchent pas forcément des travailleurs plus isolés, dans des petites entreprises.

 

Est-ce que cette année, la conférence a attiré plus de délégations internationales, du fait des succès syndicaux récents aux États-Unis ?

 

Cybèle : Il y a toujours eu des délégations internationales et je n’ai pas eu l’impression qu’il y en avait particulièrement beaucoup cette année. Par contre, toutes celles qui étaient là étaient pour la plupart déjà venues et particulièrement enthousiasmées cette année par la rencontre. Il y avait des organisations européennes (Italie, Irlande, Angleterre, Pologne, Allemagne, Pays-Bas), quelques-unes d’Amérique latine avec des syndicalistes mexicains et chiliens.

Avec les internationaux, nous avons eu une réunion pour évaluer si nous pourrions monter un Labor Notes dans nos pays. Parce que le Labor Notes reste quand même une rencontre du syndicalisme états-unien, et qu’il ne s’agit pas d’en faire une rencontre internationale. L’idée étant plutôt : comment pourrait-on développer l’émergence d’initiatives dans notre territoire ?

 

Est-ce qu’il y avait des délégations d’Amazon venant de nombreux pays ?

 

Amaya : Il y avait un Irlandais, deux Polonaises, des Allemands, un Danois dont l’entrepôt ouvre l’année prochaine. Au niveau européen, c’était tout. Pour l’Amérique du Nord, il y avait des Québécois en plus des Américains.

Cybèle : Sur la question internationale, il y avait aussi des camarades chinois et hongkongais, qui sont venus parler des difficultés rencontrées aujourd’hui, avec des syndicats qui ont dû se saborder à Hong Kong. Et comment ils continuent à s’organiser comme travailleurs, de manière plus clandestine. C’est important que l’on puisse échanger, garder des liens avec des personnes qui sont soient encore là bas, soit réfugiés dans différents pays et qui ont des liens avec Hong Kong et la Chine.

Et pour Solidaires, la genèse de notre Réseau syndical international de solidarité et de lutte était au Labor Notes. C’est là que les premiers camarades s’étaient rencontrés et que l’idée du réseau avait émergé. Plusieurs syndicats de ce réseau étaient présents et on a organisé une rencontre. Il y avait notamment les camarades polonaises, qui sont implantées à Amazon et font également partie de Amazon International Workers, le réseau de syndicats Amazon.

Amaya : Il faut consolider ce réseau international pour que cela prenne de l’ampleur. Que l’on soit tous là pour nos luttes, nos combats. Que l’on rassemble le plus de monde possible.

 

Photos : Joe Plette