Total en Ouganda : libération des six salariés d'Afiego après plus de 48h de détention

Les opposants de Total en Ouganda de plus en plus menacés


En Ouganda, le personnel des ONG opposées au méga-projet pétrolier de Total subit, tout comme les civils affectés, des pressions croissantes. Six salariés d’une des principales ONG environnementales du pays viennent d’être détenus plus de 48 heures. Ils dénoncent les dommages environnementaux et humains des projets EACOP et Tilenga de Total : forages de puits dans le parc national des Murchison Falls, dizaines de milliers d’habitants déplacés… Face à ces tensions grandissantes, les autorités françaises se murent dans le silence.

 

Six salariés de l’ONG ougandaise AFIEGO (Institut africain pour la gouvernance de l’énergie) ont été arrêtés vendredi 22 octobre à Kampala, et libérés seulement lundi 25 octobre, en début d’après-midi. Tous sont engagés dans la dénonciation des impacts environnementaux et humains du méga-projet de Total en Ouganda. Regroupant les projets Tilenga et EACOP, ce méga-projet vise à exploiter de nouveaux gisements autour du lac Albert. Le pétrole sera acheminé via un pipeline de plus de 1 400 kilomètres – le plus long du monde – qui traversera, en Ouganda comme en Tanzanie, des zones naturelles protégées et des terres cultivées. Un tiers des plateformes pétrolières se trouvera ainsi à l’intérieur même du parc national des Murchison Falls. Un projet titanesque d’exploitation des énergies fossiles, donc, à l’heure où le dérèglement climatique s’accélère – des chercheurs ont récemment révélé que Total connaît et minimise l’impact de ses activités sur le climat depuis les années 70.

L’arrestation groupée au sein d’AFIEGO, une ONG aussi engagée en France, auprès de cinq autres, dans un bras de fer judiciaire contre Total, a donné lieu à des poursuites (pour manquement à une obligation administrative). Elle témoigne d’un contexte général de menaces grandissantes sur le terrain. « Chaque jour, de nouvelles formes de menaces apparaissent », témoigne l’un des membres d’AFIEGO sous anonymat. « Il y a une montée des tensions, pressions et intimidations contre tous les salariés d’ONG et les voix qui s’opposent au projet de Total. Y compris des leaders de victimes du projet », décrit Thomas Bart, porte-parole de l’ONG française Survie. Un communiqué d’AFIEGO, renvoyant vers une pétition, déroule les menaces mises à exécution ces dernières semaines.

 

« Une action politique coordonnée contre toutes les voix s’opposant à Total »

 

En plus des six salariés arrêtés dans la capitale, un des observateurs d’AFIEGO basé à Buliisa, dans la zone pétrolière, a été arrêté le 19 octobre et transféré vers la prison de Masindi. Ou encore, un porte-parole des communautés affectées, Robert Biriyume, a été arrêté vendredi matin à Kyotera, avant d’être relâché sous caution. Il est poursuivi pour « sabotage d’un projet gouvernemental ». « Depuis deux ans, Robert Biriyume fait partie de ces civils qui n’ont plus accès à leurs terres », rappelle Thomas Bart. Ils seraient près de 100 000 citoyens, selon les rapports des ONG françaises, à devoir céder tout ou partie de leur terre pour l’avancée du chantier.

Le fait que ces arrestations se multiplient, dans des zones éloignées de plusieurs centaines de kilomètres, inquiète les ONG. « Il ne s’agit pas d’un seul policier de la zone pétrolière qui fait du zèle, mais d’une action politique coordonnée contre toutes les voix s’opposant à la major Total. Et les directives viennent d’en haut », s’inquiète Thomas Bart. Pour l’activiste d’AFIEGO également, il s’agit bien d’un « effort coordonné pour faire taire, créer de la peur, désorganiser et harceler les défenseurs des droits humains opposés aux projets pétroliers de Total dans le pays ». Comment l’expliquer ? Peut-être par un contexte de pression internationale grandissante visant l’État ougandais, la multinationale et sa sous-traitance. Quatre rapporteurs spéciaux des Nations Unies ont demandé des comptes à Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies. En France, une audience à la Cour de Cassation le 3 novembre marquera la dernière étape du bras de fer judiciaire opposant six ONG (dont AFIEGO) à la multinationale. 

 

Le silencieux soutien du gouvernement français

 

Les autorités de police ougandaise n’ont, pour l’heure, pas répondu à nos demandes d’interview. L’attaché presse de l’ambassade de France en Ouganda, également sollicité, n’a pas non plus donné suite. Malgré les alertes des ONG, ni le ministère des Affaires étrangères, ni l’Élysée, ni l’ambassade n’ont encore pris publiquement position en faveur des défenseurs des droits humains. « Nous aimerions que les autorités françaises arrêtent de soutenir le projet comme elles le font à différents niveaux. Jusqu’à aujourd’hui, l’ambassade de France en Ouganda a beaucoup plus soutenu Total et son projet que les défenseurs des droits humains », fustige Thomas Bart, renvoyant au rapport de Survie, des Amis de la Terre et de l’Observatoire des Multinationales paru le 14 octobre, détaillant ce soutien.

On y apprend que Total sponsorise la plupart des événements culturels de l’ambassade. Et que cette dernière, tout comme l’Alliance française, sont un « relais essentiel pour aider le groupe pétrolier à blanchir son image et avancer ses pions sur le terrain ». Le rapport mentionne également une lettre écrite en mai 2021 par Emmanuel Macron pour féliciter son homologue ougandais,Yoweri Museveni, de sa réélection. Jamais rendue publique par l’Élysée, cette lettre soutient une progression rapide du chantier et annonce la visite prochaine, sur place, du ministre délégué au Commerce extérieur Franck Riester.

 

Photo : les salariés d’AFIEGO après leur libération, aux côtés de membres de l’ONG partenaire NAPE (Amis de la Terre Ouganda). Crédits : Joan Akiiza, NAPE