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Total au Gabon licencie six grévistes en passant outre une décision de justice


 

Une nouvelle grève se prépare à Total Gabon contre le licenciement jugé illégal de six employés de la multinationale française. À l’appel de leur syndicat, ces derniers avaient participé à un mouvement d’arrêt de travail de 11 jours au mois de juillet. Le conflit s’envenime et pourrait cette fois affecter l’ensemble du secteur pétrolier gabonais.

 

C’est l’histoire d’une multinationale que les décisions de justice ne semblent pas contraindre. Le 3 août, le tribunal de première instance de Port-Gentil, au Gabon, conclut : « L’émission de lettres de convocation à un entretien préalable en vue d’un licenciement pour avoir pris part à une grève non déclarée illicite, constitue un trouble manifestement illicite, né de la violation des dispositions des articles 342 à 345 du Code du travail ». Saisi par l’Organisation nationale des employés du pétrole (ONEP) suite à la convocation préalable au licenciement fin juillet de six employés de la compagnie, le juge des référés ordonne à Total Gabon de mettre fin à la procédure, même en cas de recours, et de payer les frais de justice.

En vain. Dans une communication en date du 10 août, la direction générale de la compagnie pétrolière affirme que le licenciement de six collaborateurs pour faute lourde « est irrévocable » avant de préciser que « ces derniers ne font plus partie des effectifs de Total-Gabon ». L’entreprise, qui a fait appel de la décision du tribunal, leur reproche la mise à l’arrêt des installations évoquant « des manœuvres dans le but de porter atteinte à l’exercice de l’industrie ». De son côté, l’ONEP dénonce un « affront envers la justice gabonaise » et constate que les décisions de Total Gabon se placent au-dessus des institutions judiciaires de la République.

Sur le fond du dossier, le secrétaire général du syndicat, Sylvain Mayabi Binet, affirme qu’au début de la grève les travailleurs licenciés par Total « ont entamé la sécurisation des installations conformément aux consignes écrites de l’ONEP » fondées sur un arrêté du ministère du Travail gabonais du 22 mars 2010 réglementant le service minimum dans ce secteur d’activité. Celui-ci stipule : « dans les entreprises où l’activité à un impact sur la santé, la vie et la sécurité des hommes, le personnel en grève devra tout mettre en œuvre pour que les installations soient protégées conformément aux standards de l’industrie ».

 

Grève sous pression chez Total en juillet

 

La procédure de licenciement des six employés de Total trouve sa source dans un mouvement de grève de quinze jours lancé début juillet par l’ONEP, après l’échec de négociations au printemps. L’inquiétude grandit chez les salariés de cette filiale détenue à 58 % par le groupe Total et à 25 % par l’État gabonais, selon le syndicat. Les restructurations commencées il y a quatre ans, ainsi que les récentes cessions d’actifs onshore (terrestre) au franco-britannique Perenco, ou à l’entreprise Assala Upstream Gabon S.A au mois de juillet, leur font craindre un désengagement du groupe Total. La multinationale réoriente une partie de ses activités vers l’offshore et l’exploitation en eau profonde, dans un contexte de volatilité des prix du pétrole. De plus, Total Gabon a mis en œuvre un nouveau mode de rémunération qui rogne les avantages sociaux des travailleurs de la compagnie selon le syndicat des employés du pétrole.

Dans ce contexte, la grève démarre le 9 juillet et les tensions avec la direction sont immédiates. « Alors que les opérations de sécurisation des installations étaient en cours, le chef de la division exploitation a demandé aux travailleurs de stopper les opérations et de quitter les installations sous l’escorte des agents de sécurité », relate Sylvain Mayabi Binet. Le secrétaire général d’ONEP affirme qu’ils ont été remplacés pendant toute la durée de la grève par des travailleurs de sociétés extérieures. Une pratique dont Total Gabon serait coutumière selon lui, et qui aurait entraîné des pollutions maritimes lors d’un autre conflit du travail en 2014. L’ONEP a saisi la justice le 17 juillet pour « entrave au droit de grève ».

Ensuite, le principal syndicat du secteur pétrolier a mis fin au mouvement le 20 juillet, après 11 jours de grève. Butant sur une absence de discussions avec la direction de Total Gabon, l’ONEP justifie la suspension des arrêts de travail par un « souci d’apaisement », espérant ainsi l’ouverture de négociations. Une stratégie qui ne s’est pas avérée payante puisque, cinq jours plus tard, Total engageait six procédures de licenciement contre des grévistes. Désavouée en première instance par le tribunal de Port-Gentil, la compagnie attend le jugement en appel prévu pour le 28 août. La veille du rendu de la plainte du syndicat ONEP pour entrave au droit de grève fixé lui au 29 août.

 

La grève qui vient

 

« L’ONEP ne laissera jamais Total Gabon licencier illégalement les six salariés visés », promet Sylvain Mayabi Binet. En plus des actions en justice, le syndicat a lancé le 12 août un « appel à la mobilisation générale du secteur pétrolier » et prépare une nouvelle grève à Total Gabon, suivi d’un préavis touchant l’ensemble du secteur. Depuis, des consultations internes ont commencé, interrompues momentanément par une succession de jours fériés du 15 au 19 août, fête de l’indépendance oblige. Mais dès cette semaine, des assemblées générales sont programmées et l’ONEP doit rencontrer d’autres organisations syndicales afin de « préparer une mobilisation efficace », annonce son secrétaire général qui, en plus de la réintégration des six salariés licenciés, souhaite la révocation du directeur général de Total Gabon.

La grève pourrait donc commencer à la fin du mois ou début septembre. À moins que la justice gabonaise ne donne raison à l’ONEP les 28 et 29 août. À condition également que la filiale de Total décide cette fois-ci de se conformer aux décisions de justice de la République du Gabon. Un scénario que le syndicat des employés du pétrole n’envisage pas sereinement. Pour eux, l’attitude de la compagnie est le signe d’une volonté d’interdire les grèves dans l’entreprise. « Ces actions de Total Gabon sont soutenues par le patronat et encouragées par le silence de l’administration », avance Sylvain Mayabi Binet qui imagine une généralisation de ces pratiques à toutes les entreprises pétrolières du pays.

Une inquiétude accrue par des « bruits de couloirs » à propos d’un lobbying que ferait Total Gabon auprès de l’État, dont le syndicaliste se fait l’écho. Ce dernier évoque des rencontres entre la direction générale de l’entreprise et la présidence, ainsi que les ministères de l’intérieur, de la Justice, du Travail et du Pétrole. Une suspicion qui intervient dans un contexte de crise économique et d’une cure d’austérité annoncée au début de l’été par le gouvernement. « L’état providence est terminé », a claironné le président Ali Bongo Ondimba, le jour de la fête d’indépendance.

Malgré cette crise et les incertitudes planant sur le secteur pétrolier, le conseil d’administration de Total Gabon a proposé le 22 mai une augmentation de 22 % de la rémunération de ses actionnaires pour 2018, soit 24,75 millions de dollars de dividendes à verser sur un résultat net de 106 millions. Ainsi, la filiale du groupe pétrolier ne semble pas contrainte par la crise à réduire la rémunération des actionnaires. En tout cas, pas plus qu’elle ne semble l’être par les décisions de justice du Gabon.