Camion d'une manifestation du 8 mars avec une banderole siglée grève féministe

8 mars : Pourquoi les femmes sont moins payées que les hommes ?

« Comment on continue de moins payer les femmes en toute bonne conscience ». C’est le sous-titre de l’essai de Marie Donzel, qui raconte la manière dont la société organise l’appauvrissement des femmes. Elle livre des pistes pour en finir avec les inégalités de salaires. Entretien publié initialement sur Basta!.

Marie Donzel : Ça prend d’abord racine dans l’invisibilisation du travail des femmes. Les femmes ont toujours bossé. Mais elles n’appartiennent au salariat qu’à partir du début du 20e siècle. Avec cette idée que « le salaire féminin » n’est pas le revenu principal du ménage, mais un revenu complémentaire.

Très vite, on se met d’accord sur le fait que « à travail égal », une femme ne peut pas être payée complètement comme un homme. On va donc avoir des négociations dans les conventions collectives, entre 1905 et 1945, et appliquer des décotes de 10 % ou 20 % en fonction du genre. C’est ce qu’on appelle « le salaire féminin ».

C’est fou ! Des gens se sont mis autour d’une table pour s’accorder sur le rabais à appliquer sur le boulot des femmes… On grave l’inégalité dans le marbre, alors même que la France est cofondatrice et signataire de l’Organisation internationale du travail (OIT) qui déclare en 1919 : « À travail égal, salaire égal. »

Les mobilisations des femmes de la CGT vont conduire le général de Gaulle à mettre fin à ce « salaire féminin » en 1945. Mais pendant les vingt ans qui suivent, les femmes n’ont pas d’accès direct au salaire qui leur est versé ! Il faut attendre 1965 pour que les femmes aient la possibilité d’ouvrir un compte bancaire ou de travailler sans l’autorisation de leur mari. Depuis, l’idée que le revenu des femmes est un salaire d’appoint est restée dans les esprits.

On parle d’égalités expliquées et inexpliquées. Ce calcul consiste à prendre tous les salaires des femmes et tous ceux des hommes, puis de comparer la moyenne pour arriver à cet écart de 24 %. 

On retire ensuite tout ce qui, dans ce chiffre, constitue des marqueurs de travail inégal : les écarts de temps de travail – là, on sort toutes les femmes à temps partiel –, mais aussi les différences de grades, en oubliant que le grade est complètement dépendant de la carrière qu’on a faite. Par exemple, à partir du moment où vous êtes en congé maternité, le travail cesse d’être égal : les études montrent qu’un congé maternité de quelques mois fait prendre en moyenne trois ans de retard sur une carrière.

On va ainsi faire de la décote et raboter ce chiffre des 24 % pour aboutir à seulement 4 %. Cette méthode de calcul permet de justifier que les femmes sont moins bien payées que les hommes parce qu’elles travaillent dans les métiers du care [du soin, ndlr] ou dans l’économie sociale et solidaire. Mais c’est précisément cela le sujet ! Pourquoi est-ce que ces métiers sont moins payés ? De toute évidence, il y a du sexisme dans les inégalités salariales. Les raisons tiennent à nos fondamentaux culturels et à nos imaginaires collectifs.

Ça dit beaucoup de choses en termes de patriarcat, cela fait partie des structures de la masculinité. Néanmoins, on n’y arrivera pas si les hommes n’interrogent pas leur « préférence pour l’inégalité », terme que j’emprunte au sociologue François Dubet. Les hommes, qu’on le veuille ou non, sont bénéficiaires des inégalités. Il y a un travail individuel et collectif, quasiment analytique, pour comprendre pourquoi on préfère les inégalités à l’égalité.

Il faut regarder les débats à l’Assemblée nationale en 1965 quand les élus débattent de la possibilité de donner ou pas le droit aux femmes mariées d’accéder à leur rémunération. Le débat ne cherche pas à savoir si c’est juste. Il tourne autour du fait que si les femmes célibataires ont plus d’avantages que les femmes mariées, les femmes ne voudront plus se marier. C’est pour sauver le mariage qu’on a donné aux femmes leur moyen de paiement !

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Victor Hugo, déjà, disait que les hommes ne pouvaient jamais être sûrs que les femmes les aiment vraiment tant qu’elles étaient dans la dépendance. C’est là-dessus qu’il faut interroger la masculinité. Il va falloir faire progresser la préférence réelle pour l’égalité. Dans les entreprises, j’entends râler les hommes sur les quotas de femmes, car ils ne vont pas pouvoir décrocher « le poste » dont ils rêvaient. Cette préférence pour l’égalité, c’est aussi se dire qu’il y a des moments où on perd.

Les femmes ont tendance à raisonner le salaire en ces termes : « De quoi ai-je besoin pour vivre ? » Titiou Lecoq l’identifie dans son livre Le Couple et l’argent : les femmes vont ensuite dépenser leur argent pour vivre et faire vivre leur famille. Les hommes ont un rapport à la rémunération qui repose plus sur cette question : « Quelle est la valeur de mon travail ? » Ce qui fait qu’ils ont davantage le réflexe du placement et de la constitution de patrimoine, que de remplir le frigo qui se vide au fur et à mesure qu’on le remplit – un puits sans fond de l’argent des femmes.

Ce rapport au salaire prend racine dans l’argent de poche. Chacun d’entre nous est persuadé qu’il donne autant d’argent de poche à sa fille qu’à son fils. C’est faux. Car non seulement nous donnons moins d’argent de poche à nos filles, mais nous ne donnons pas l’argent de la même façon à nos filles et nos garçons. Là-dessus il y a une étude britannique cruelle : elle montre que les garçons, très tôt, sont habitués à avoir de l’argent de poche en récompense de leur résultat oscolaire et de leur participation aux tâches domestiques et familiales.

Les petites filles, très vite, sont habituées à négocier un fixe qui va leur permettre d’assurer leurs petites dépenses. Elles compensent en se faisant offrir des cadeaux. À l’arrivée, ça fait moins ! Et ça n’intègre pas l’idée que « mes efforts ont une valeur qui doit être récompensée ». Il y a donc des femmes qui, quand elles veulent négocier leur salaire, me disent : « Je n’ai pas besoin de plus. » Ce n’est pas le sujet.

Dans les politiques publiques, le dénominateur commun des femmes est une variable d’ajustement fréquente. L’insuffisance, par exemple, des politiques publiques en matière de prise en charge de la petite enfance ou du grand âge repose sur le fait qu’on sait – consciemment ou cyniquement – que ça tiendra : les femmes vont, malgré tout, s’occuper des mômes et des vieux.

Et on sait, les études le montrent aussi, que les femmes vont également s’occuper de leurs beaux parents ; que dans une fratrie, les sœurs s’occupent davantage des parents vieillissants que les frères ; que dans un couple, les femmes s’occupent davantage des aînés, que ce soit leurs parents ou pas. 

Ça tient par le travail gratuit des femmes. Ce « travail domestique » non rémunéré des femmes a quand même été évalué par l’économiste Joseph Stiglitz à 33 % de la valeur du PIB de la France ! Que ce soit des arbitrages cyniques et conscients, ou pas, le résultat est qu’on compte sur les femmes pour tenir la société, sans être payées.

C’est la plus grosse variable et je la trouve effroyable quand on voit à quel point les femmes sont fatiguées, tout particulièrement les mères. C’est démontré que les femmes travaillent plus que les hommes – si on prend tout le travail, pas seulement celui rémunéré.

Et pourtant, elles en arrivent à demander un temps partiel parce que ça ne tient plus dans des journées qui font 24 heures. Et c’est tout bénef pour les hommes et les entreprises. Pour autant, on est là à pouvoir donner une explication au fait qu’elles sont moins riches. Ces 24 % d’écart racontent comment la société et l’économie organisent l’appauvrissement des femmes.

La première raison, c’est que les femmes en couple, surtout hétérosexuel, sont davantage dépendantes des évolutions de carrière de leur conjoint. Si ce dernier prend un poste à très haute responsabilité, la conjointe va se dire que ce n’est pas le moment pour elle de faire de même. La deuxième raison, c’est le sexisme. Il y a plus de turn-over féminin que de turn-over masculin.

Le plafond de verre les empêche de progresser professionnellement : plus de 8 femmes sur 10 reconnaissent avoir été confrontées à des agissements sexistes en entreprise. Cela les amène à quitter leur emploi davantage que les hommes. Elles perdent donc en ancienneté.

La mode du leadership féminin, de l’empowerment, du développement personnel dans les années 2010 a conduit à dire aux femmes d’aller apprendre en formation, ce que les hommes sauraient faire « naturellement », c’est-à-dire savoir négocier, se faire comprendre… Mais on a complètement éludé ce qui fait système : nous sommes dans un environnement où on est habitués à ce que les femmes soient dociles, sages, plus patientes, qu’elles n’en demandent pas trop, donc qu’elles ne soient pas hyper bonnes en négociation. Il faut former les personnes décisionnaires : lutter contre les biais, c’est de l’humilité. On est en retard sur l’admissibilité sociale de l’exigence au féminin, surtout pécuniaire. Il y a encore le spectre de la vénalité.

Pourquoi un ingénieur est-il mieux payé qu’une aide-soignante ? On ne m’a pas donné de réponse satisfaisante à ça. Quand on est hospitalisés, la création de valeur d’une aide-soignante est immédiatement visible et évidente, à de multiples points de vue. Je sais que les ingénieurs ne font pas rien, mais l’écart de valeur sociale est insensé. Pourquoi y a-t-il un tel différentiel ? Beaucoup vous disent que le plus important ce sont leurs enfants. Mais on rechigne à bien payer l’infirmière scolaire, la surveillante de collège, les profs qui sont en majorité des femmes…

Les inégalités de salaires entre les femmes et les hommes se croisent avec la valeur des métiers, qui est complètement incohérente. Ce n’est même plus une question genrée qui se pose, mais une question du bon sens et de ce qu’on veut : ça veut dire quoi le travail ? À quoi on le dépense ? Dans quoi on investit collectivement ? La question a été posée au moment du Covid pour mieux être refermée. Est-ce qu’on ne peut pas faire mieux que de taper sur des casseroles à 20 heures ? Il y a dans cette remise à plat de la valorisation des métiers une solution face aux inégalités de genre.

Et si demain on valorise vraiment à la hauteur le métier d’aide-soignante, on n’est pas à l’abri du fait qu’il se masculinise. On a eu l’expérience avec l’informatique où, jusque dans les années 1980, on a plus de femmes que d’hommes parce que c’est réputé être une extension de la dactylographie. Quand ça devient un secteur qui a de la valeur, les femmes en sont littéralement chassées. Et on peine aujourd’hui à recruter des femmes dans le secteur.

Propos recueillis par Sophie Chapelle