Comment Stop Arming Israël mène sa campagne contre les livraisons d’armes


 

Paris, Lyon, Marseille, Saint-Nazaire… la campagne Stop Arming Israël France essaime dans les villes accueillant des lieux de production ou d‘acheminement d’armes vers Israël. Depuis six mois, ses militants dénoncent l’implication françaises dans les massacres à Gaza, en s’adressant aux travailleurs et en agrégeant une pluralité de collectifs.

 

Réprimé d’un côté, redynamisé par les étudiants de l’autre, le mouvement social pro-palestinien traverse un état paradoxal : il reste effervescent sans pour autant réussir à mobiliser massivement. Mais, si les manifestations des samedis ne rassemblent plus les foules comme dans les mois qui ont suivi le début de l’offensive israélienne sur Gaza, une multitude d’actions ciblées se poursuivent, notamment sur la question des livraisons d’armes.

Le 1er avril dernier, à l’appel d’un regroupement de 25 collectifs (dont les Soulèvements de la terre 13, Urgence Palestine Marseille, le NPA, Révolution Permanente, Tsedek!, BDS Provence, Technopolice Marseille…), près de 300 militants ont manifesté devant l’usine Eurolinks à Marseille. Cinq jours avant le rassemblement, les médias Disclose et MarsActu avaient révélé que des composantes de munitions destinées à des armes automatiques étaient fabriquées dans cette usine et expédiées vers Israël.

Des révélations médiatiques qui renforcent un travail militant déjà entamé plusieurs semaines auparavant grâce à l’alliance de ces collectifs : « A travers cette mobilisation, j’ai vu une convergence et une énergie fédératrice. Le propos c’est : “Il y a un mal commun qui est l’impérialisme et le colonialisme européen et américain”. A partir de là se dégagent des questions économiques, de guerre, d’écologie, de racisme, et ça fait que pleins de groupes différents se fédèrent pour lutter ensemble », s’enthousiasme Daniel, un militant marseillais du collectif Tsedek!, co-signataire de l’appel à la mobilisation du 1er avril.

 

Répondre à l’appel de Workers in Palestine

 

Cette manifestation Marseillaise n’est pas un cas isolé. Elle s’inscrit dans une campagne nommée Stop Arming Israël France. « C’est une réponse à l’appel Workers in Palestine lancée le 16 octobre », explique Laura, membre de l’équipe d’animation de la campagne Stop Arming Israël.

Composée de dizaines de syndicats palestiniens, l’organisation Workers in Palestine a lancé un appel aux travailleurs du monde entier afin d’entraver l’acheminement de matériel militaire vers Israël. Les 9 et 10 novembre, deux journées internationales pour empêcher les livraisons d’armes trouvaient de l’écho auprès de divers syndicats un peu partout dans le monde (voir notre article).

 

Des syndicats du monde entier tentent d’empêcher les livraisons d’armes vers Israël

 

 

Depuis, les actions n’ont pas cessé en France :

« à la Défense, devant le siège de l’entreprise Thalès qui collabore à la fabrication de drones avec l’israélien Elbit ; devant un laboratoire de l’université Paris-Saclay co-géré lui aussi par Thalès ; à Paris, devant le siège de l’entreprise Exxelia, dont les composants ont été retrouvés parmi les débris d’un missile ayant tué 3 enfants à Gaza en 2014 », égraine la tendance intersyndicale Émancipation dans son bilan de deux mois de campagne. 

« L’objectif, c’est de dire aux salariés, notamment ceux qui travaillent dans des industries en lien avec l’armement, qu’ils ont un rôle à jouer. On ne cherche pas à bloquer les usines de l’extérieur. On veut que les salariés concernés se mobilisent eux-mêmes », explique Laura, membre de l’équipe d’animation de la campagne Stop Arming Israël.

Le travail des militants qui portent cette campagne consiste donc, en partie, à sensibiliser les salariés grâce à des séances de tractage devant des entreprises ou lors de réunions dans des union locales ou des bourses du travail. « Ce n’est pas un travail facile. On doit expliquer aux salariés que l’on n’est pas contre leur emploi. On ne veut pas les culpabiliser mais les informer de ce que fait leur employeur et leur dire qu’ils peuvent agir », continue la militante.

Si les membres de Stop Arming Israël France estiment recevoir un bon accueil lors de leurs séances de tractage, ils déplorent néanmoins l’inertie des structures syndicales sur le sujet. « Les centrales syndicales tiennent à la solidarité internationaliste. Mais elles en reste souvent à de grandes déclarations de principe. Quand il faut mobiliser les gens, c’est plus compliqué », ajoute Laura.

 

Des répliques hors de France

 

La campagne menée par Stop Arming Israël France trouve sa réplique dans d’autres pays. « Mais elle n’a pas forcément le même nom : “Workers for free Palestine” au Royaume-Uni, “Unionist for Palestine” en Australie », continue Laura. Parfois, elle s’appuie parfois sur une histoire de la lutte anticoloniale.

« Depuis plus de 15 ans, les militants anglais font de la communication, de la contre information, des actions collectives de blocage et de sabotage des industries d’Elbit System, l’un des plus gros fabricants d’armes au monde », complète Mathieu Rigouste, sociologue et spécialiste du capitalisme sécuritaire. 

En janvier 2022, une usine de production de drones utilisés par l’armée Israélienne, située à Oldham dans la banlieue de Manchester, a dû fermer définitivement ses portes, après des mois de protestations. « L’action directe fonctionne, les braves individus qui ont occupé l’usine ces dernières années peuvent affirmer fièrement que les technologies de drones ne sont plus en production à Oldham », avait affirmé le collectif Palestine Action, à l’origine de ces mobilisations.

 

Guerre de l’information

 

S’il reste difficile de mobiliser massivement sur les enjeux de ventes d’armes, c’est aussi parce que l’information est déjà un terrain de lutte.

 L’opacité entourant ce secteur hautement protégé et sensible empêche tout débat démocratique, explique l’historienne Ludivine Bantigny, qui a cofondé en 2015 le collectif « Ni guerre ni état de guerre » : « déjà en 2017, le député Sébastien Nadot avait mené une bataille au seins de la commission des affaires étrangère de l’Assemblée nationale, sur le rôle de la France au Yémen. Son action a été invisibilisée », déplore-t-elle. A l’époque déjà, le média Disclose avait révélé l’implication de la France dans la vente d’armes à l’Arabie Saoudite, accusée de crime de guerre au Yémen. « Même les parlementaires n’ont pas accès aux infos qui leur seraient utiles. Sur les questions d’intervention militaire, de vente d’armes, ça échappe très largement à toute forme de démocratie représentative », se désole-t-elle.

Dans le cadre de la guerre à Gaza, le gouvernement français est longtemps resté très silencieux sur ses liens avec l’armée israélienne. « Objectivement, il n’y a pas de relation d’armement en tant que tel avec Israël », s’était justifié le ministre des armées, Sébastien Lecornu, fin février, tout en reconnaissant la vente de « composantes élémentaires », pour des dispositifs de défense. Pour les militants de Stop Arming Israël, l’enjeu est donc double : informer puis mobiliser.

Ainsi, en plus des manifestations devant les usines ou les sièges sociaux d’entreprises, Stop Arming Israël a publié un guide des entreprises françaises d’armement complice d’Israël. Une manière de diffuser l’information afin que d’autres puissent s’en emparer. 

 

Solidarité internationaliste

 

Alors qu’il semble chaque jour plus difficile pour l’Etat français de nier l’ampleur du massacre à Gaza, les appels au cessez-le-feu et à la fin des partenariats d’armement n’émanent plus seulement que de la société civile, mais aussi de députés européens, d’ONG et de l’ONU. Les militants de Stop Arming Israël entendent bien accentuer la pression sur le gouvernement après la mobilisation réussie à Marseille.

« A Marseille, ils ont réussi à créer une composition de forces depuis la gauche soc’ dem jusqu’aux frange radicales et révolutionnaires.  Et ça a eu un véritable impact, lié aux médias indépendants et d’une enquête qu’ils ont mené eux même sur cette entreprise. C’est quand même une belle démonstration de force », note Mathieu Rigouste.

Ainsi, Stop Arming Israël France organise une réunion publique à la bourse du travail de Paris le 14 mai à 19h en réaction à l’organisation d’Eurosatory, salon mondial de la défense et de la sécurité, qui aura lieu en juin 2024. Le 15 mai, la campagne encourage à soutenir la grève pour la Palestine lancée par le Fédération Générale Palestinienne des Syndicats de Gaza.

« C’est un combat internationaliste par excellence, on a vraiment besoin de solidarité internationale. C’est intéressant ce qui se dessine un peu en France, et aux États-Unis, dans un mouvement qui ressemble de plus en plus au mouvement contre la guerre du Vietnam », souligne Ludivine Bantigny, en référence au mouvement de protestation dans les universités françaises et états-uniennes.

 

 

 

Texte : Simon Mauvieux et Guillaume Bernard

Photo : Serge D’ignazio