Le mouvement anti-pass autoproclamé « Convoi de la liberté » a tenté de bloquer Paris ce week-end à grand renfort de véhicules venus de toute la France. Olivier Ertzscheid, maître de conférences en sciences de l’information à l’université de Nantes, analyse la dynamique de ce mouvement social sur les réseaux sociaux et explique comment ces derniers ont influencé la mobilisation. Entretien.
Comment le mouvement du « Convoi de la Liberté » est-il né en France ?
Le mouvement français naît d’une tentative d’importer un mouvement social contre l’obligation vaccinale, observé au Canada. On assiste à un véritable effet « copy cat ». Or, les mouvements sociaux s’exportent souvent mal et on sait qu’il y a finalement de nombreuses différences entre le mouvement canadien et le français. Ainsi, les syndicats de routiers français n’ont pas appelé à se joindre au mouvement, à la différence des chauffeurs canadiens. En France, ils ne sont pas propriétaires de leur camions et ne sont pas non plus soumis à l’obligation vaccinale pour travailler, ce qui change radicalement la donne. Autre différence de taille : le mouvement français s’inspire, dans ses références au moins, du mouvement des gilets jaunes. Ce n’est pas le cas au Canada puisqu’un tel mouvement n’y a pas existé.
Comment expliquer l’ampleur prise par le mouvement, au moins sur les réseaux sociaux ?
Je n’ai pas les moyens de l’expliquer précisément. En revanche, je peux constater qu’à la veille de l’arrivée à Paris, le groupe Facebook « Convoi de la liberté » réunissait environ 340 000 membres, soit plus que le groupe « La France en Colère », principal groupe de gilets jaunes qui en comptait 220 000 un peu avant le 17 novembre 2018. Sans que cela ne laisse préjuger de la réussite ou de l’échec d’un mouvement, c’est déjà un événement en soi. 340 000 personnes ne rejoignent pas une page Facebook pour rien.
On note également que cette page a explosé lorsque les grands médias nationaux, notamment télévisuels, ont commencé à parler du projet français de convoi. Elle passe alors d’environ 50 000/60 000 membres à plusieurs centaines de milliers. Là encore, ce n’est pas une nouveauté.
On a vu beaucoup de personnes se revendiquant « gilets jaunes » sur les groupes Facebook liés au Convoi. Quels liens entre ce mouvement social qui proteste contre le pass vaccinal, voire le vaccin, et les gilets jaunes ?
Il y a d’abord un lien volontaire. Dans une de ses vidéos, Rémi Monde, un des leaders officieux du Convoi, connu sur les réseaux sociaux pour ses vidéos, a incité explicitement à « aller chercher les gilets jaunes ». Mais il y a un autre lien, cette fois involontaire, lié à l’algorithme de Facebook. Au plus fort du mouvement des gilets jaunes, un certain nombre de profils Facebook se sont mis à s’intéresser à des pages, à les suivre et à donner leur opinion. Ils ont, par exemple, commenté des débats sur le prix de l’essence, le pouvoir d’achat ou le Référendum d’initiative citoyenne (RIC). Or, l’algorithme de Facebook a enregistré toutes ces interactions et, aujourd’hui, quand des thèmes comme le pouvoir d’achat ou « l’autoritarisme de l’état » sont évoqués dans les groupes du « Convoi de la liberté », Facebook fait remonter ces pages dans les fils d’actualité de ces « gilets jaunes », en calculant qu’elles peuvent les intéresser. Les profils type gilets jaunes ont donc été surexposés aux publications en lien avec le Convoi.
Cela rappelle que l’on a, sur les réseaux sociaux, une multitude de comptes qui ne sont pas regroupés formellement via des pages spécifiques mais qui sont unis par leurs centres d’intérêt et par le fait que ce sont les mêmes types de publications qui les font réagir. Ces réseaux peuvent tomber en sommeil mais ils peuvent aussi se réveiller à la faveur de certains événements, ça a été le cas cette fois-ci avec une partie des gilets jaunes et le mouvement du Convoi. On peut être quasi sûr qu’à l’avenir, ça arrivera encore.
Vous écrivez, dans votre article de blog, que les revendications du Convoi portant sur les questions sociales sont des revendications « paravent ». Que voulez-vous dire par là?
Je me suis plongé dans les commentaires des publications les plus vues des groupes Facebook mais aussi des fils Telegram liés au Convoi. Ce qui génère le plus d’interactions chez leurs membres, ce sont ceux liés au pass vaccinal et aux libertés individuelles. Les questions sociales n’arrivent que dans un second temps. C’est l’inverse de ce qui s’est passé avec les gilets jaunes, où les revendications sur le niveau de vie arrivaient en premier.
Attention toutefois, cela ne veut pas dire que la majorité des membres de ces groupes Facebook sont avant tout intéressés par la question du pass vaccinal. Il y a sur les réseaux sociaux un biais dit de « tyrannie des agissants » : dans un mouvement en ligne, ceux qui parlent le plus ont une prime par rapport aux autres. Il est possible que sur les 340 000 membres du groupe Facebook, le pouvoir d’achat soit central pour la majorité des membres…mais ce ne sont pas eux qui s’expriment.
Comme à l’époque des gilets jaunes, des leaders ont émergé. On parlait tout à l’heure de Rémi Monde, mais il y a aussi Maria Cloarec et « Marisa ». Or, ces leaders sont connus pour certaines de leurs positions contre le vaccin, voir leur adhésion à des théories complotistes. Faut-il en déduire que le convoi est un mouvement antivax et complotiste ?
Effectivement, ces trois personnes ont joué un rôle important, elles ont créé des pages dès le début du mouvement et c’est autour de ces pages-là que d’autres sont nées. Cela a été détaillé sur Twitter par un internaute. Que ce soit au début du mouvement des gilets jaunes, où même du printemps arabe, on a toujours des individus isolés avec une parole forte qui produisent un post ou une vidéo virale. Leur exposition fait qu’ils deviennent, de fait, des leaders du mouvement.
Ces trois personnes ont effectivement liké des pages anti-pass voire antivax et pour certaines, partagé le film complotiste Hold Up, ou d’autres publications complotistes. Si on regarde les prises de parole de Rémi Monde, on voit bien que, chez lui, la première des revendications n’est clairement pas celle du pouvoir d’achat mais de la liberté individuelle. Or, ce type de leader d’opinion constitué en ligne donne une orientation au mouvement. De là à dire que ces personnes, voire tout le groupe du « Convoi de la liberté », est antivax, non. C’est prendre le risque d’essentialiser ce mouvement et ces personnes. De plus, sur le groupe Facebook, sous la surface des commentaires, constituées de déclarations anti-pass voire antivax, on trouve aussi des gens qui critiquent ces positions. Mais ils sont moins visibles.
Est-il possible que le « Convoi de la liberté » soit en réalité un astroturfing d’extrême-droite, comme au Canada (NDLR : un mouvement présenté comme spontané mais en réalité piloté par des militants) ?
Oui c’est possible, mais il faudra peut-être du temps pour le savoir. Pour l’heure je n’ai pas d’éléments qui me permettent de l’affirmer. Ce qui est sûr, c’est que le mouvement est clairement infiltré par le mouvement antivax, qui manifeste régulièrement dans toutes les villes de France et que des leaders politiques d’extrême droite, notamment Florian Philippot, ont tenté de récupérer.
Lire l’article d’Olivier Ertzscheid sur son blog.
Crédit photo : Serge d’Ignazio
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