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Marche du 23 septembre : « Tout l’enjeu est dans la mobilisation des quartiers populaires »

Deux mois après la mort de Nahel, abattu par un policier à Nanterre, et les révoltes qui ont suivi dans les quartiers populaires de France, l’unité politique autour des violences policières doit se concrétiser dans la rue ce samedi 23 septembre. Mais sur le terrain de la mobilisation, le travail reste immense.

 

À la cité des Marguerites, à Nanterre, tout le monde est encore marqué par la mort de Nahel. Les murs des bâtiments aussi : « Nahel, 27/06 Allah y rahmo » (“Que Dieu lui accorde sa miséricorde”, invocation en arabe utilisée couramment pour dire “repose en paix”), peut-on lire sur l’un d’eux. Un paquet de tracts sous le bras, Mornia Labssi, de la Coordination des collectifs des quartiers populaires, et deux militants, sortent de leur voiture. Il est 16 heures, les parcs se remplissent d’enfants pendant que les mamans viennent s’asseoir sur les bancs.

« On organise une marche le 23 à Paris, contre les violences policières, contre le racisme, on parlera du voile et des abayas, faites circuler ou même soyez là ! », lancera-t-elle des dizaines de fois, récoltants des « mercis » ou « bon courage », déclenchant quelques conversations sur le clientélisme de la mairie, les jeunes dépolitisés par les réseaux sociaux ou le sentiment d’être chez soi nulle part, ni en France, ni au bled. Un échantillon d’opinions du quotidien, qui sortent parfois de la doxa de la gauche qui cherche pourtant désespérément à s’implanter ou se maintenir dans les quartiers populaires. Un homme accepte un tract, un peu gêné : « c’est compliqué, je suis policier », dit-il en souriant timidement. « C’est pas grave, vous pouvez être contre les violences policières ! », lui répond Mornia Labssi. « C’est vrai, c’est vrai », admet-il.

« Dans ce mouvement, tout l’enjeu est dans la mobilisation des quartiers populaires », soulève Farid Bennaï, militant au Front uni des immigrations et des quartiers populaires (FUIQP), membre de la coalition à l’appel de la marche du 23. « Mais on a très peu de moyens, et les difficultés que vivent les quartiers, nous aussi, en tant que militants, on les vit », enchaîne Mornia Labbsi, en sortant d’une imprimerie avec des centaines de tracts, payés de sa poche. “Nous on mobilise plus sur les réseaux sociaux mais on a aussi des associations qui font le relais dans notre ville », confie Assetou Cissé, la sœur de Mahamadou Cissé, tué par un ancien militaire le 9 décembre 2022 à Charleville Mézières.

 

Islamophobie, logement : mobiliser au delà des violences policières

 

Assis sur son scooter, un jeune homme, la trentaine, discute avec Mornia Labbsi des contrôles au faciès, des violences policières, de l’islamophobie. « Au final ils gagnent toujours les policiers », lâche-t-il. « Je ne vais pas te vendre du rêve et te dire qu’on va gagner samedi. Mais si on en est arrivé là, c’est par ce que l’État pensait qu’on était incapable de se bouger. Mais ils ont eu peur pendant les révoltes », répond la militante. « C’est vrai, sur l’islamophobie je suis d’accord. On a besoin de gens comme vous ! », lance-t-il. « Nous aussi on a besoin de gens comme toi. Essaie de passer samedi ».

La militante connaît son sujet et aussi son terrain. Elle a grandi ici, aux Pâquerettes, dans un HLM construit sur les cendres d’un des bidonvilles de Nanterre dans les années 60. « Les gens ici vivent plusieurs  discriminations. Si tu ne parles que des violences policières, tu neutralises toutes ces femmes qui vivent ici, qui se lèvent à quatre heures du mat’ pour trois francs six sous, il y a plein de formes de violence », explique-t-elle en pointant l’un des bâtiments de la cité. « Ici, l’immeuble a été rénové, c’est grâce à l’action de plein de femmes ! Le toit était troué pendant un an, de l’eau s’écoulait dès qu’il pleuvait. Et c’est l’action de ces femmes, bien seules, qui a fait bouger le bailleur. Le racisme systémique c’est aussi ça, on ghettoïse des Arabes et des Noirs et ne fait plus rien », poursuit la militante.

 

Nahel révoltes
Marche blanche pour la mort de Nahel à Nanterre le 29 juillet. Crédit photo : Serge d’Ignazio.

 

Un cadre unitaire tiraillé entre la gauche institutionnelle et les collectifs de quartiers

 

Initiée dans les jours qui ont suivi la mort de Nahel, la marche unitaire du 23 septembre a dû très vite chercher un débouché politique à la révolte des quartiers populaires, mais surtout à rassembler au-delà de la gauche institutionnelle. « Au début, on était une cinquantaine d’organisateurs, dont très peu de racisés, les principaux concernés n’étaient pas là. Ça s’est crispé, ça s’est braqué, puis on a fait venir des gens, des collectifs, habituellement défiants envers les organisations institutionnelles », se félicite Mornia Labbsi. Au total, près de 150 organisations se sont rassemblées pour organiser cette marche, une alliance qui rassemble les partis politiques (LFI, EELV, NPA..), syndicats (CGT, Solidaires, FSU..) et collectifs de quartiers et de victimes de violences policières.

« Les mouvements sociaux sont passés à côté d’une grande partie de la population prolétaire et racisée des quartiers, mais je ne vois pas une possible transformation sans eux, ce serait une faute politique majeure pour la gauche de passer à côté de ça », analyse Farid Bennaï.

Face à des organisations de gauche parfois frileuses sur les questions antiracistes, les collectifs de quartiers populaires ont dû taper du poing sur la table pour renverser le rapport de force au sein du cadre unitaire, sans toujours y parvenir : « On a dû batailler pour que soit inscrit « racisme systémique » dans les revendications », se remémore Mornia Labbsi, qui a aussi plaidé pour une manifestation en banlieue, plutôt que dans Paris. En vain, la marche partira de la gare du Nord. L’interdiction des abayas à l’école est d’ailleurs venue percuter cette fragile alliance. « Ces violences racistes et islamophobes doivent être combattues avec la plus grande fermeté. C’est un combat essentiel. Nos amis à gauche ne semblent pas avoir pris la mesure de la violence islamophobe d’une telle mesure. L’histoire nous regardera », avait déclaré le 13 septembre dernier Adel Amana, élu municipal de Villiers-sur-Marne et initiateur du collectif d’élus du Val-de-Marne contre l’islamophobie, comme pour remettre les pendules à l’heure.

 

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Crédit : Serge D’ignazio. Manifestation à Nanterre suite à la mort de Nahel.

 

Le 23 septembre, « une première étape »

 

Face au manque d’accroche des organisations de gauche auprès des quartiers populaires, les collectifs comptent bien ancrer la marche du 23 septembre dans une dynamique plus large. « Le point de bascule ne se fera pas sur cette marche, mais après : il y a tout à revoir, notamment le rapport qu’ont les organisations politiques avec les gens dans les quartiers », soutient Farid Bennaï. Mornia Labbsi abonde : « Je ne vois que la suite. Pour cette marche, il faut déjà des gens qui mettent la main dans le cambouis. Si on laisse ça aux autres, ça va tourner autour des libertés publiques et ça va faire un truc gnangnan ». Mais pour elle, la suite sera déterminée par les moyens mis sur la table pour organiser des assemblées, des réunions, des colloques et d’autres mobilisations. « Ça demande beaucoup d’énergie et on a très peu de moyens. Et quand on n’a pas l’argent, on n’a pas le rapport de force », soulève-t-elle.

La marche à Paris partira de la Gare du Nord à 14h, ce samedi 23 septembre. Une centaine de marches sont organisées le même jour partout en France.