Nous y sommes, le gouvernement a dégainé l’article 49-3 pour faire passer une réforme des retraites très majoritairement impopulaire. Un geste qui pourrait relancer la mobilisation et avoir l’effet opposé à celui recherché : entériner l’échec du gouvernement.
En dégainant l’article 49-3 de la Constitution, en début d’après-midi, pour faire adopter sans vote sa réforme, le gouvernement passe en force. Mais pourrait aussi creuser sa tombe, puisqu’il ne peut plus revendiquer une légitimité issue de la représentation nationale à opposer à celle de la rue et des grèves. Une séquence d’instabilité institutionnelle et politique s’ouvre.
Certes, à ce stade, le projet de réforme est validé et pourrait poursuivre son parcours normalement. D’abord devant le Conseil constitutionnel, puis par la promulgation de la loi et enfin avec ses décrets d’application qui attendent d’être publiés au Journal officiel. Mais l’utilisation de l’article 49-3 implique la possibilité pour les oppositions de lancer des motions de censure sous 24 heures. Déjà, celle du groupe parlementaire LIOT est sur la table si Élisabeth Borne ne démissionne pas. Cette motion pourrait agréger les votes de toutes les oppositions. Si elle était votée ce lundi 20 mars, cela contraindrait la Première ministre à la démission.
Or, selon le comportement des députés Les Républicains, un vote majoritaire n’est pas complètement exclu. D’autant que la rue et la grève continuent à peser sur l’hémicycle comme elles ont pesé sur le vote de la loi, contraignant le gouvernement au 49-3. Sans se lancer dans trop de spéculation, la question d’une dissolution de l’Assemblée revient dans le paysage comme une possible sortie de crise. A moins quelle n’en ouvre une nouvelle.
Un 49.3 pour relancer la grève ?
L’intersyndicale a déjà annoncé deux moments. Ce week-end, pour de nouvelles manifestations, et jeudi 23 mars avec une grande journée de grève interprofessionnelle. Pendant ce temps, les grèves reconductibles continuent et pourraient même se renforcer.
Pour les cheminots, ce 49-3 est une première victoire. « C’est la colère sociale qui a fait que des députés se sont débinés et que le gouvernement y a été obligé », explique Julien Troccaz. Dès demain, ce syndicaliste de Sud-Rail compte retourner auprès de ses collègues pour remobiliser les troupes. Il espère un rebond de la grève dès lundi, les personnels roulants étant soumis à une obligation de déclaration préalable de grève de 48 heures. Vendredi, les quatre fédérations syndicales CGT, CFDT, Unsa et Sud-Rail doivent se réunir pour définir les suites de la mobilisation.
Chez les dockers et portuaires l’annonce du 49.3 est aussi une bonne nouvelle et confirme une fois de plus que le gouvernement est minoritaire et souhaite passer en force. Dans ce secteur, où la CGT est hégémonique, les salariés ont observé trois jours de grève cette semaine et organisaient même une journée « ports morts » ce jeudi. Rien de précis n’est annoncé pour la suite « mais il y aura des suites, nous nous réunirons demain pour en décider », confie Pascal Galéoté, de la CGT du port de Marseille.
Bien sûr, la motivation n’est pas égale partout. Six des sept raffineries françaises sont toujours en grève reconductible ce 16 mars. Mais cette grève ne satisfait qu’à moitié ses initiateurs. Car, si l’expédition de carburant est à l’arrêt, le raffinage lui, continue. « D’habitude après 3 ou 4 jours de blocage des expéditions, c’est plié : les grévistes actent l’arrêt du raffinage. Là ça fait plus d’une semaine et force est de constater que les gars ne veulent pas. C’est ce qui ressort d’une réunion qu’on a eue ce matin », regrette Eric Sellini, coordinateur CGT Total. L’annonce du 49-3 peut-elle changer la donne ? « Cela va peut-être nous permettre de faire tenir la grève jusqu’au vote de la motion de censure… », complète le cégétiste.
Répression des éboueurs et des énergéticiens
Surtout : les grévistes de longue date commencent à faire face à la répression. Le secteur de la propreté parisien, en grève reconductible jusqu’à lundi prochain au moins, vient d’être réquisitionné par Laurent Nunez, le préfet de police de Paris. Mais les syndicats du secteur savent que cette réquisition n’aura pas d’effet immédiat.
« La préfecture doit être plus occupée à gérer les manifestations spontanées qui ont lieu à Paris depuis l’annonce du 49-3 que la réquisition des éboueurs », sourit François Livartowski, secrétaire général de la CGT services publics. Il sait surtout combien cette réquisition s’annonce complexe à mettre en œuvre. « La maire de Paris a transmis une liste de 5000 noms à la préfecture. Cela fait beaucoup de monde. En plus de ça, les salariés des incinérateurs ne sont pas réquisitionnés et on ne peut toujours pas brûler les déchets ».
Les énergéticiens, fortement mobilisés depuis le début du conflit, sont également ciblés par la répression. Ce 16 mars, ils organisaient d’ailleurs un rassemblement en soutien à 6 des leurs, placés en garde à vue pour des faits de grève. Quatre d’entre eux y sont toujours. La FNME-CGT appelle pourtant à durcir la grève. Dans son dernier communiqué elle indique que « le roi macron fait basculer le pays dans une crise politique et sociale majeure ».
Article : Stéphane Ortega, Guillaume Bernard
Crédit photo : Ricardo Parreira
Faisons face ensemble !
Si les 5000 personnes qui nous lisent chaque semaine (400 000/an) faisaient un don ne serait-ce que de 1€, 2€ ou 3€/mois (0,34€, 0,68€ ou 1,02€ après déduction d’impôts), la rédaction de Rapports de force pourrait compter 4 journalistes à temps complets (au lieu de trois à tiers temps) pour fabriquer le journal. Et ainsi faire beaucoup plus et bien mieux.