Lyon

Lyon, un laboratoire permanent de l’extrême droite en France

 

Agressions, ouverture de locaux, virées nocturnes violentes, création de squat et manifestations de rue, Lyon subit régulièrement le poids de l’extrême droite. Julien, militant à la Coordination des groupes anarchistes (CGA), expose la réalité du laboratoire lyonnais à l’occasion de la journée « Organisons nous contre l’extrême droite » du 11 novembre 2017.

 

Samedi 11 novembre près de 200 personnes ont participé aux débats et ateliers de la journée d’information sur l’extrême droite. L’occasion de faire le point avec les organisateurs (Collectif vigilance 69, Acrimed, Amis du Monde diplomatique et la CGA) sur la présence de l’extrême droite dans les médias, les mairies FN, l’éducation et évidemment dans la capitale des Gaules. Julien, militant lyonnais de la CGA, nous brosse un panorama de la situation.

 

La forte présence de l’extrême droite à Lyon est-elle le fruit d’une longue tradition ?

Ce n’est pas pour rien que Lyon est un laboratoire de l’extrême droite aujourd’hui. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Lyon a été la capitale de la Résistance, mais il y avait aussi une forte présence de la Gestapo, de la collaboration et de la milice. Plus tard, avec la création des universités de Lyon 2 et Lyon 3, il y a eu beaucoup de recrutement dans la nouvelle droite, avec des soutiens de thèses négationnistes et des enseignants proches ou adhérant au Front national ou au Groupe de recherche et d’étude sur la civilisation européenne (Grece). Ces professeurs ont pu officier sur Lyon pendant 20 ou 30 ans, malgré leur ancrage à l’extrême droite.

 

Pour autant, il y a eu un réel regain des groupes d’extrême droite

Début 2010, il y a eu une explosion des agressions, notamment contre des militantes et militants. Celle particulièrement violente contre trois militants de la CNT en plein 5e art dans le quartier Saint-Jean a été un électrochoc. Nous nous sommes aperçus qu’ils commençaient à se restructurer avec des groupes qui se remontaient et tentaient d’intimer une terreur de rue. Dans les années suivantes, nous avons pu observer une véritable stratégie d’implantation dans ce quartier du vieux Lyon. C’est là qu’ont ouvert les principaux locaux entre 2010 et 2014. Pendant cette période, une cinquantaine d’agressions ont été comptabilisées par le Collectif vigilance 69. Le groupe le plus important, et à l’époque le plus actif, est le Bloc identitaire, fondé après la dissolution d’Unité radicale. Ils se sont très vite lancés sur l’ouverture d’un local.

 

Les bons résultats électoraux du Front national de Marine Le Pen à partir de 2015 ont-ils produit des changements dans cette mouvance radicale ?

Oui pour certains groupes comme les identitaires. Ils s’inscrivaient jusque là en dehors du champ électoral dans ce qu’ils nommaient la métapolitique. Il s’agissait de faire passer leurs idées en menant une bataille idéologique et culturelle. Ensuite, il y a eu un rapprochement très clair avec le FN. Depuis deux ans, ils essaient de se démarquer des autres groupuscules en montrant qu’ils ne sont pas violents, même si plusieurs identitaires sont encore impliqués dans des affaires non jugées pour des faits de violence. La violence et les agressions dans la rue sont aujourd’hui portées par d’autres groupes vraiment en marge du FN, comme le GUD ou le Parti national français (PNF).

 

Comment l’extrême droite se structure-t-elle aujourd’hui à Lyon ?

Les catholiques intégristes reprennent du poil de la bête parce qu’ils savent qu’ils vont ressortir dans la rue bientôt sur des manifestations contre l’avortement ou la PMA. Ces groupes se sont restructurés à l’occasion des manifestations contre le mariage pour toutes et tous. Ils ont pu réapparaître dans la rue lors des défilés en plus de leurs actions violentes. L’extrême droite reste très implantée dans le 5e art de Lyon, mais a la volonté d’en sortir. L’an dernier, nous avons observé plus d’incursions dans les 1er et 4e art, sur le plateau ou les pentes de la Croix-Rousse, avec par exemple l’attaque de la librairie La Plume noire (locaux de la CGA) par une vingtaine de personnes casquées. Même chose dans le 7e art, le soir du premier tour de l’élection Présidentielle, avec une attaque contre des militants. Cette année, ils se sont lancés dans la création d’un nouveau mouvement politique : le bastion social.

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De quoi s’agit-il ?

C’est un mouvement à caractère social-national, avec la volonté affirmée de venir en aide aux défavorisés, Français exclusivement. Animé par le GUD au départ, ils s’inspirent de CasaPound (squat et centre social néofasciste de Rome) en Italie, de la Hogra sociale en Espagne et de l’Aube dorée en Grèce. Ils ont pris un bâtiment dans le centre-ville pour le squatter. L’objectif affiché publiquement est de loger des SDF français. Mais c’est aussi d’avoir un lieu pérenne, visible sur la ville, pouvant loger des militants venant de partout et les former à leur idéologie. Ils ont occupé un bâtiment à Lyon pendant quelques jours, duquel ils ont été expulsés. Ils ont tenté de le réoccuper au mois de juillet et de faire une manifestation début octobre sur ce thème. Ils n’ont pas réussi de nouvelles occupations, mais ont lancé officiellement le Bastion social comme mouvement national. Cette initiative fédère localement les groupes d’extrême droite. On retrouve côte à côte des membres du GUD du PNF et de l’Action française.

La stratégie de terreur de rue se poursuit parallèlement. La dernière grosse agression dont nous avons été informés s’est produite à Saint-Jean le soir de la conférence de presse des identitaires, à La Traboule pour le retour du C-star, le bateau affrété par « Defend Europ » pour entraver le travail des humanitaires auprès des réfugiés en Méditerranée.

 

Les identitaires ont-ils été détrônés par le GUD en termes de présence et de violence ?

Il y a eu un changement stratégique des identitaires qui s’affichent maintenant très clairement aux côtés du Front national. Bruno Gollnisch a été invité dans leurs locaux il y a deux ou trois ans, chose impensable avant. Quand Marine Le Pen est passée sur Lyon, tout ce beau monde s’y est retrouvé. Plusieurs cadres identitaires ont travaillé dans des mairies FN avant d’y adhérer comme Damien Rieu, Damien Lefèvre ou Philippe Vardon. Cependant, ils ont toujours des relations avec les groupes les plus radicaux comme le GUD, même si publiquement les identitaires essayent de se démarquer.

 

Lyon occupe-t-elle une place particulière en France et en Europe ?

Nous disons depuis 2010 que Lyon est le laboratoire national. Énormément de groupuscules y sont représentés. Au niveau européen, les identitaires ont monté l’opération Défend Europ cet été. Un Lyonnais a été à la commande et un autre présent sur le C-Star. La conférence de presse a eu lieu à Lyon. Des réunions régulières ont lieu avec des Autrichiens, des Suisses, des Italiens et des Allemands. Le GUD fait la même chose et entretient des liens avec l’Italie, l’Espagne et la Grèce. L’extrême droite se rassemble à l’échelle européenne et gagne en visibilité. Ses Français ont probablement participé à la manifestation nationaliste du 11 novembre en Pologne qui a rassemblé 60 000 personnes. Je ne serais pas étonné qu’il y ait eu des Lyonnais.

 

Il y a-t-il une volonté d’exporter le modèle lyonnais vers d’autres villes de France ?

Un temps, il y a eu une reproduction du modèle lyonnais à Lille avec la création de deux locaux ouverts au public. Ils essaient d’exporter ce modèle un peu partout. À Marseille, c’est un local de l’Action française. Parfois, cela reste très privé quand c’est des groupuscules très proches du milieu néonazi, mais d’autres fois ce sont des lieux ouverts avec des activités et des conférences. Le Bastion social a clairement l’ambition d’être national.

 

Assiste-t-on à une recomposition de l’extrême droite radicale ?

Il y a une forme d’institutionnalisation pour certains comme les identitaires, même si la poursuite des agressions n’est pas à exclure. La violence fait partie de l’ADN de l’extrême droite. Ils ont un local qui fait bar et salle de conférence et une salle de sport. Elle est ouverte aux Français bien blancs avec des entraînements au combat. Aujourd’hui, une partie de l’extrême droite lyonnaise prend un modèle social national pour profiter de la crise pour enrôler des gens autour d’une pseudo aide humanitaire. Ils tentent de fédérer autour d’un projet national.

 

Comment ont réagi les pouvoirs publics depuis 2010 ?

Le maire de Lyon, Gérard Collomb n’a fait aucune déclaration publique pour condamner les agressions entre 2010 et son départ au ministère de l’Intérieur cette année. Plutôt que d’intervenir sur les locaux dans le quartier Saint Jean, il a préféré renvoyer dos à dos extrême droite et extrême gauche. Pour lui, c’est la même chose. Pourtant les preuves contre les agressions venant unilatéralement des militants d’extrême droite se sont accumulées. Même discours à la préfecture du Rhône.

Aujourd’hui, le nouveau maire de Lyon a pris position pour la première fois pour condamner la nouvelle agression dont a été victime un horloger dont le magasin est coincé entre la boutique de vêtement du GUD, leur salon de tatouage et La Traboule. Cela peut changer un peu la situation et donner le signe, à celles et ceux qui en ont marre des violences et de l’image donnée au quartier (commerçants, associations…), que leurs interventions auprès de la mairie peuvent être suivies d’effet. Pour autant, nous ne sommes pas naïfs. L’année dernière, l’attaque de notre local en plein jour a été perpétrée par une grosse vingtaine de personnes casquées et armées. Ils se sont baladés près de deux heures sur les pentes de la Croix Rousse malgré les nombreuses caméras de surveillance. Il n’y a pas eu de volonté réelle de la part des pouvoirs publics de retrouver les personnes qui ont participé à cette attaque.