Premiers cobayes d’une réforme dont les enseignants ne voulaient pas, ils ont passé tant bien que mal leurs épreuves communes de contrôle continu début 2020 (E3C) et pratiquement terminé leur année scolaire en confinement. La « génération bac 2021 », à qui le ministre Blanquer promettait monts et merveilles, voit d’ores et déjà ses conditions d’accès à l’instruction fortement dégradées.
Ils sont 527 000. « Des warriors », « la génération sacrifiée ». Et les mots qu’on emploie pour parler d’eux disent à quel point leur situation est une épreuve. « Eux », ce sont ces élèves qui passeront leur bac en 2021. La première promotion à expérimenter le « nouveau lycée » et la fin des sections générales Littéraire, Économique et Sociale, Scientifique. La première à se confronter au nouveau baccalauréat, si différent de ce qu’il a toujours été : local là où il se voulait national, avec 40% de contrôle continu quand on tenait à son caractère d’examen de fin d’année. La première promotion, enfin, à qui on laisse encore penser qu’elle passera ses oraux du bac de français après 3 mois de confinement, contrairement aux actuels élèves de terminale, qui savent depuis plus d’un mois qu’ils n’auront pas d’épreuve au mois de juin.
En effet à quelques jours des annonces d’Édouard Philippe, qui pourraient mettre fin au suspens, le ministre de l’Éducation Nationale affirme encore que toutes les options sont sur la table : oraux en présentiel, oraux numériques, report… Il évoque même, devant les élus lycéens du Conseil National à la Vie Lycéenne (CNVL) la possibilité d’un oral du bac sur la base du volontariat…sans que personne ne sache à quoi cela peut vraiment ressembler. Pourtant, les syndicats enseignants et lycéens s’opposent tous à sa tenue, dénonçant une épreuve « injuste et dénuée de sens ».
« Même si ces oraux sont finalement annulés, le supplice aura été maintenu jusqu’à la fin ! Blanquer ne veut rien lâcher parce que ce nouveau bac, c’est son bébé. De la même manière qu’il a fait croire que l’opposition à sa réforme était le simple fait d’une minorité lors des grèves de 2019, il veut nous faire croire que son bac va se dérouler dans des conditions normales, qu’il n’y a pas de problème. Il en fait une affaire d’honneur », assène Claire Guéville, secrétaire nationale responsable du lycée au SNES-FSU, syndicat majoritaire dans l’enseignement. Pourtant force est de constater que le bac 2021 n’a dores et déjà rien d’habituel.
Préparer le bac en confinement
S’il est une fable à laquelle seul le ministre Blanquer fait encore semblant de croire c’est bien celle selon laquelle la continuité pédagogique maintenue pendant le confinement aurait quelque chose à voir avec une journée de cours.
« Nous n’avons pas eu d’oral blanc à cause de la crise du Covid, si on passe les épreuves cet été, on sera jeté dans l’inconnu. Il faut dire qu’on a raté presque trois mois de travail, on n’est absolument pas prêt », témoigne Laetitia, élève en première générale à Lyon. « J’ai deux professeurs qui ont fait des cours en visio régulièrement, sinon c’était surtout des choses à rendre ou à recopier dans le cahier. Je n’ai pas vraiment l’impression d’avoir appris beaucoup de choses », continue Laetitia.
« La journée type de confinement pour moi c’était plutôt levé à midi, tentative de travailler entre 15h et 16h, couché à 2h du matin. Mon profil n’est pas du tout isolé. Sans ce cadre qu’est le lycée ça a été extrêmement dur de trouver la motivation pour travailler pour beaucoup d’élèves. Dans ces conditions, passer un oral de français dans un mois ça m’angoisse », explique Yanis, secrétaire national de l’Union Nationale Lycéenne (UNL) en classe de première générale à Grenoble. Son syndicat a d’ailleurs publié les résultats d’une enquête déclarative auprès des lycéens. Elle a obtenu environ 2500 réponses et permis de documenter les inégalités d’accès à l’instruction pendant la période de confinement.
« J’avais une élève qui m’envoyait des exercices à 3 heures du matin parce qu’elle devait attendre que ses frères et sœurs soient couchés pour pouvoir travailler. J’ai dû lui interdire de m’envoyer du travail pour qu’elle dorme », abonde Clémence, enseignante en lycée en région parisienne.
« J’ai créé un groupe WhatsApp pour garder contact avec mes élèves. Au début du confinement, je recevais plus de 1000 messages par jour. J’envoyais un cours le lundi et des exercices à rendre le vendredi, ce qui faisait que toutes les semaines je me retrouvais avec environ 200 copies à corriger. Je travaillais au moins deux fois plus que d’habitude », continue-t-elle.
Cette professeure d’histoire-géo raconte également comment le confinement a modifié sa relation avec ses élèves. « Avec certains, ça nous a rapprochés, j’ai parfois eu l’impression d’être leur maman. Beaucoup m’ont envoyé des messages pour expliquer pourquoi ils ne travaillaient pas. C’est quelque chose qu’ils ne font pas d’habitude. Cela montre qu’ils ont confiance en moi, que la relation est saine. Ils me demandent aussi de mes nouvelles et ça me fait du bien. Parfois lors des cours en visio je passais énormément de temps à les rassurer par rapport à leur avenir. Parfois c’étaient eux qui me disaient : « ne vous inquiétez pas madame, ça va bien se passer pour nous. »»
Les épreuves communes de contrôle continu (E3C) déjà ratées
Le bac 2021 ne se limite pas aux épreuves de contrôle terminal, dont ces fameux oraux de français. Les épreuves communes de contrôle continu (E3C), nouvelles épreuves locales passées pour la première fois par les élèves de première en 2020 en constituent aussi une part importante. Or, très contestées par les enseignants et les lycéens, les E3C n’ont pas pu être tenues dans de bonnes conditions.
« Dès le départ, on voulait les annuler pour des raisons de bon sens, personne n’était assez préparé », rappelle Yanis de l’UNL. Avant la rentrée de janvier, l’ensemble des syndicats enseignants et lycéens se fendait d’une lettre au ministre Blanquer pour demander le report des épreuves. Confrontés à la surdité du ministre, les épreuves ont été perturbées dans de nombreux lycées et des manifestations ont entraîné le report de certaines épreuves. Enfin, la génération 2021 s’est parfois rendue en salle d’examen sous l’œil de la police et à Lyon un lycéen a même été blessé au visage par un tir de LBD lors d’une manifestation devant son lycée.
Selon Fabrice*, professeur de philosophie dans l’Académie de Rouen qui a tenu un décompte de la mobilisation contre les E3C, 60 établissements n’auraient toujours pas fait passer certaines de leurs épreuves, dont la totalité des lycées de Martinique. Plus d’un millier d’élèves sont également concernés par des passations partielles, « Ils ont refusé de se rendre dans leur classe et l’examen s’est tenu sans eux, il faut savoir que les élèves qui refusaient de composer étaient parfois majoritaires dans les salles », précise Fabrice. La deuxième session des E3C, qui devait se tenir en avril a, elle, été annulée. La note obtenue à cette épreuve devrait être la moyenne des deux autres notes obtenues aux deux autres sessions d’E3C.
Jean-Michel Blanquer n’a rien épargné aux élèves de première qui n’ont toujours pas passé leur première session d’E3C et a annoncé qu’ils passeraient ces épreuves dès leur retour en classe, donc potentiellement cet été.
*Le prénom a été modifié sur demande de l’intéressé.
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